2. LES CHANSONS DE GESTE On appelle chansons de geste des poèmes épiques attest

2. LES CHANSONS DE GESTE On appelle chansons de geste des poèmes épiques attestés entre le milieu du XIe et le début du XIVe siècle. Dans ces textes, écrits en un style particulier, les valeurs guerrières sont afirmées énergiquement à partir de récits légendaires dont les personnages renvoient souvent à des héros historiques. Deux sont les thèmes les plus fréquents de ces poèmes: la défense de la chrétienté contre les musulmans, et la vengeance féodale, la faide. Le héros des chansons de geste est catégorique, excessif et cruel. Il s’exprime par l’action plus que par les paroles, mais ses paroles ne sont pas moins violentes et sont lourdes de conséquences dans l’économie du récit. La diction de ces poèmes est très caractéristique: ils sont faits de formules permettant l’improvisation orale, car ils étaient chantés par des jongleurs avec un accompagnement instrumental. Cette caractéristique évoque un type de production que nous appelons “populaire”; mais au Moyen Age les frontières entre ce qui est populaire et ce qui ne l’est pas étaient différentes de celles d’aujourd’hui. C’est une poésie appréciée des paysans, des chevaliers et de la petite noblesse en général, et qui a également une signification nationale et historique. Gui de Ponthieu (m. 1074) nous montre le jongleur Tailleferentonnant laChanson de Roland devant les troupes normandes alignées dans la plaine de Hastings; cela peut n’être qu’une légende tardive, mais on voit bien que pareils textes contribuent à une identité de groupe. Dans les chansons de geste nous voyons agir les plus célèbres héros de la France médiévale. Charlemagne attaque l’émir de Saragosse dans laChanson de Roland, voyage à Constantinople pour voir si l’empereur de Byzance est plus bel homme que lui, combat les Sarrasins en d’innombrables batailles et laisse le trône impérial à son fils Louis sous la protection de Guillaume d’Orange. Ce même Guillaume, dit au court nez parce qu’un géant musulman lui a coupé le bout du nez sous les murs de Rome, épouse la belle païenne Orable (qui deviendra chrétienne sous le nom de Guibourc) et délivre de nombreuses villes du Midi où les Sarrasins avaient établi leurs repaires. Pour prendre Nîmes, il se déguise en marchand de vins, et pénètre dans la forteresse avec une petite troupe de guerriers cachés dans les tonneaux du convoi. Il secourt son jeune neveu Vivien, blessé à mort dans les champs d’Aliscans; sa propre femme Guibourc refuse de le recevoir entre les murs d’Orange tant qu’elle ne lui voit pas frapper et transpercer les païens. Ogier le Danois, jeune otage de son père, le roi de Danemark, à la cour de Charlemagne, connaît l’exil et la prison avant de prouver dans le combat sa fidélité et sa vaillance incomparables. La faide de Raoul de Cambrai, dépossédé par le roi du fief de son père mort, et mort lui-même dans un combat contre ses rivaux, sera continuée jusqu’à la génération suivante. Les quatre fils Aymon sont poursuivis par le roi de château en château et finalement doivent se rendre, malgré le savoir magique de Maugis d’Aigremont et la fidélité du cheval ailé Bayard; l’aîné, Renaud de Montauban, se repentira et bâtira une église à Cologne. On parle volontiers des “cycles” des chansons de geste. En effet, il y a par exemple une série de chansons qui constituent le “cycle de Garin de Monglane”. Elles sont consacrées à des personnages dont le plus illustre, et le seul historique d’ailleurs, est Guillaume d’Orange, duc d’Aquitaine, un guerrier de Charlemagne, mort en 812 et qui fut canonisé. Garin de Monglane est censé être le grand- père de Guillaume. Les frères de Guillaume, sans doute des personnages fictifs, sont cités dans le plus ancien texte relatif à une chanson de geste, le Fragment de La Haye, qui est une traduction latine d’une chanson perdue. D’autres chansons racontent les aventures de ses oncles, de ses fils, neveux, petits-fils, etc. En ce sens le cycle de Garin de Monglane forme une unité, et on a pu même montrer que le mot geste signifie au XIIe siècle, entre autres, “famille”. La chanson de geste serait donc, pour certains jongleurs du moins, un poème d’une série consacrée à une famille. On ne peut pas dire la même chose des deux autres “cycles”, celui du roi et celui de Doon de Mayence. Il est vrai que Charlemagne est le héros de nombreuses chansons (Berthe aux grands pieds, Mainet, Pèlerinage de Charlemagne), et que sa vie est racontée depuis son enfance et jusqu’au couronnement de son fils Louis le Pieux. Mais les poèmes que l’on prétend rattacher, pour l’amour de la classification, à la geste de Doon de Mayence ne se laissent pas facilement relier par les personnages reparaissants. Ils se ressemblent surtout en cela que leurs sujets tournent autour de l’anarchie féodale et des vengeances de famille. L’origine de l’idée des “cycles” est certainement médiévale. Nous la trouvons par exemple chez le jongleur Bertrand de Bar-sur-Aube: N’ot que trois gestes en France la garnie: Du roi de France est la plus seignorie, Et l’autre après, bien droiz est que gel die, Est de Doon a la barbe florie. La tierce geste, qui molt fait a proisier, Fu de Garin de Monglane le fier. Nous ne devons pas croire que les “cycles” aient été l’effet d’une volonté créatrice unique, ni qu’ils aient nécessairement une quelconque unité. Les principaux personnages d’une chanson du cycle du roi peuvent être autres que Charlemagne (par exemple sa mère dans Berthe aux grands pieds). Quant à des inventions comme “le cycle de Doon de Mayence” ou “le cycle des barons révoltés”, elles ne méritent pas qu’on s’y arrête pour les réfuter. En fait les jongleurs cherchent à relier les chansons les unes aux autres pour accroître l’intérêt des spectateurs potentiels à la seule annonce du sujet. On a été tenté de soutenir que la cyclisation est un phénomène tardif dans l’histoire des chansons de geste, mais la présence de la famille de Guillaume dans le Fragment de La Haye, dans le premier tiers du XIe siècle, donne à penser que les liens de sang sont inséparables du personnage épique et que les cycles sont une virtualité du mode narratif des gestes. Il existe, en effet, des “personnages reparaissants” dans les chansons de geste. L’expression a été inventée par Balzac en parlant de ceux de ses héros qui figurent dans plusieurs romans: l’avoué Derville, le médecin Bianchon, le juge Popinot, etc. De façon analogue, dans les épopées nous retrouvons seulement deux rois, qui sont Charlemagne et son fils Louis, et cela bien que les sujets des poèmes soient tirés d’époques historiques différentes: le dernier des rois dont on raconte les exploits étant le carolingien Louis III, qui a combattu les Normands à Saucourt en Vimeu. D’ailleurs, pour les jongleurs il n’y a pas de Normands, car tous les ennemis des Français sont des “Sarrasins”. Les conseillers de Charlemagne, le duc Naimes, Ogier de Denemarche, l’archevêque Turpin reparaissent eux aussi souvent. Ogier, qui trahit Charlemagne et se repent ensuite, rappelle l’histoire du comte Autcharius, qui s’est réfugié en 771 avec les enfants de Carloman, le frère de Charlemagne, à la cour de Didier, roi des Lombards, et a été fait prisonnier avec ses hôtes. Le personnage est d’ailleurs une confusion entre l’Autcharius historique et un guerrier de légende devenu héros national des Danois, Holger Danske. Thèmes et sujets Commençons par l’analyse de la Chanson de Roland. C’est la chanson de geste la plus ancienne dont le texte nous soit conservé en entier. Cependant on peut observer qu’elle ne présente pas une unité à la façon des romans du XIXe siècle. L’empereur Charlemagne fait depuis sept ans la guerre en Espagne. Il a deux cents ans d’âge, mais il vient de prendre Cordoue. Le roi sarrasin Marsile de Saragosse souhaite éloigner ce péril et lui propose de se soumettre et de venir en France pour recevoir la loi chrétienne. Son intention, en fait, est de n’en rien faire, mais de gagner du temps, quitte à voir ses otages tués. Charlemagne assemble son conseil pour répondre à l’offre des païens. Le comte Roland, fils de la sœur de l’empereur, commence par rappeler que ce n’est pas pour la première fois que le traître Marsile feint la soumission. Il y a sept ans, le roi s’est laissé amadouer par les promesses du Sarrasin et lui a envoyé en ambassade deux de ses comtes, Basilie et Basan; ils furent décapités dans les montagnes. L’assemblée s’assombrit à ce rappel. Mais Ganelon, qui est le second mari de la mère de Roland, invoque la sagesse qui nous recommande de rechercher la paix. Le sage Naimes se rallie à ce conseil et les Français approuvent ces deux veillards vénérables. Maintenant Charlemagne demande aux barons de lui nommer les membres de l’ambassade qui iront à Saragosse signifier à Marsile cet accord. Roland, Olivier et l’archevêque Turpin se portent volontaires, mais le roi refuse leurs offres d’assez mauvaise humeur et déclare qu’il ne permettra à aucun pair d’aller en ambassade (sans doute pour ne pas exposer au danger uploads/Litterature/ 26-19-33-26ip-les-chansons-de-geste.pdf

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