LEXIQUE de la critique COLLECTION DIRIGÉE PAR JEAN-MARIE COTTERET LEXIQUE de la

LEXIQUE de la critique COLLECTION DIRIGÉE PAR JEAN-MARIE COTTERET LEXIQUE de la critique GÉRARD-DENIS FARCY Maître de conférences à l'Université de Limoges PRESSES UNIVERSITAIRES DE FRANCE // est possible, toutefois, que l'appareil de ces théories ne soit point familier à d'aucuns. Voici donc, à leur égard, en guise de viatique, certaines définitions sommaires. J. RICARDOU Une maladie chronique Je pense qu'il ne faut pas s'attarder à ces querelles de mots quand il y a tant de choses à faire. A.-J. GR El MAS Le Monde, 7 juin 1974 ISBN 2 13 0440290 Dépôt légal — 1 m édition : 1991, décembre © Presses Universitaires de France, 1991 108, boulevard Saint-Germain, 75006 Paris introduction QUEL LEXIQUE? Le critique littéraire vient de vivre une période d'intenses bouleverse- ments sur tous les plans : épistémologique, conceptuel et terminologi- que , une période contrastée et contradictoire, créative et crispée. Comme à toute époque révolutionnaire, cela s'est fait dans l'efferves- cence, l'intolérance et la résistance, dans un climat plus conflictuel que consensuel. Certains ont avancé à grands pas avec une jubilation volontiers iconoclaste, d'autres plus nombreux ont résisté et stigmatisé un chamboulement considéré comme une mode — et non comme un progrès. L'on a multiplié les polémiques, les procès d'intention, les pali- nodies, adoré ce qu'on venait de brûler1. Il y a eu des débats portés sur la place publique, des vulgarisations hâtives, des conversions tardives, des querelles d'écoles, des abus de langage2 ; il y a eu des contrefaçons et des surenchères. Le phénomène n'a rien épargné. Les objets ont été revisités ou actualisés, les méthodes se sont diversifiées et affinées, des concepts nouveaux se sont imposés, des mots nouveaux ont fait florès. Si l'on en juge aujourd'hui par les résultats, il est évident que le bilan est nettement positif — à quelques réserves près qu'il faut bien considérer comme la contrepartie quasi inévitable de ladite effervescence. En effet, même si la communauté scientifique en a pris son parti, la terminologie qu'elle a engendrée et que l'usage a ratifiée n'est pas toujours satisfai- 1. Ainsi de Lanson condamné pour lansonisme puis réhabilité comme fondateur de la critique textuelle et de l'histoire littéraire. 2. Voir J-P Weber, Néo-Critique et Paléo-Critique, Pauvert, 1966, et René Pommier, Assez décodé, Roblot, 1 978. 5 santé. Le plus grave étant que l'embarras grandisse à mesure que l'on quitte les sphères spécialisées pour des milieux plus vulnérables ou moins avertis, autrement dit le laboratoire pour l'agora universitaire. Dans la mesure où la critique contemporaine se voulait un savoir-faire plutôt qu'une collection de chefs-d'œuvre, on pouvait imaginer qu'elle engendrerait un langage conforme à ses ambitions. Que ce langage serait cohérent, fiable, transparent en ce sens qu'il eût laissé passer la difficulté conceptuelle sans la doubler d'un problème terminologique. Peine perdue, et l'on ne peut que le regretter : si les mots sont fluc­ tuants, les choses qu'ils désignent risquent d'en pâtir ainsi que tout le processus scientifique (création, communication, applications). Que les spécialistes s'en accommodent ou s'en tiennent quittes, rien que de très normal (ce qui ne veut pas dire qu'il faille les approuver). Par contre, que les « honnêtes gens » et les néophytes soient embarrassés par le problème est plus grave — pour eux évidemment mais aussi pour la cri­ tique qui pourrait bien donner là du grain à moudre à ses détracteurs. On l'aura compris, ce Lexique de la critique s'adresse moins à ceux dont la responsabilité est pourtant engagée qu'aux usagers qui ont droit à une mise au point et à une mise en garde. Il n'y a d'ailleurs pas lieu d'at­ tendre plus longtemps : une décennie d'apaisement et de tassement nous donne le recul nécessaire ; à l'inverse, un attentisme prolongé — sous prétexte que la science finit par décanter son langage à mesure qu'elle échappe au spécialiste1 — serait d'autant plus risqué que rien en ce sens ne s'annonce. Evidemment, il est normal que des disciplines jeunes et impatientes aient voulu se donner une terminologie nouvelle, à la mesure des concepts qu'elles élaboraient ; les précédents d'ailleurs ne manquant pas dans les sciences humaines les plus récentes. On ne s'étonnera pas, non plus, qu'il y ait eu dans l'esprit de la néologie un malin plaisir ou un empressement qui tenait à la fois du coup de force et de la pétition de principe : appeler la chose non point tant pour l'attester que pour la créer2. La vieille garde s'en effaroucha et s'en gaussa, en faisant sem­ blant de ne pas comprendre que l'irrésistible poussée valait bien quel­ ques excès, que tout nouvel us est par définition abus. Le discours jour­ nalistique en profita pour galvauder quelques mots magiques et jeter de l'huile sur le feu. Vue de l'extérieur, l'affaire était controversée ; de l'in- 1. Selon J. Dubois, in Dictionnaire de linguistique, Larousse, 1973, p. ix. 2. La discipline existant dans la mesure où elle est nommée et sa marque déposée. 6 térieur, elle était assez mal engagée. On sait que nombreux furent les emprunts directs à la linguistique ou indirects (via d'autres sciences humaines), c'est-à-dire à des disciplines dont le langage était à lui seul un problème. S. Moscovici en a fait état pour la psychanalyse1, G. Mounin pour la linguistique où de fait n'ont jamais régné l'unanimité et l'unité. Sans suivre entièrement l'opinion du gardien de l'orthodoxie, on trouve cependant dans son Dictionnaire de linguistique (PUF, 1974) l'expression de ce désaccord. L'inspiration des linguistes les plus solli- cités par la critique littéraire (Jakobson, Benveniste) — ainsi que d'au- tres (Hjelmslev, L. Tesnière) — s'y voit critiquée, au motif qu'elle n'en- gendrerait que confusions et lourdeurs inutiles. Pour ce qui nous concerne, le fait est que le transfert technologique, déjà risqué en soi, l'était plus encore s'il avait à s'accompagner d'un contentieux termino- logique. Et l'on aurait mauvaise grâce à renchérir ; qu'il suffise seule- ment de rappeler que la terminologie canonique de la linguistique saus- surienne n'est même pas employée par Saussure lui-même. Mais si cela ne suffit pas, que l'on consulte l'ouvrage récent d'U. Eco qui fait le point sur quelques notions achalandées (signe, code, métaphore) et sur leurs vicissitudes lexicales et sémantiques tout au long de l'histoire de la pensée occidentale2. Toutefois, à la différence de l'illustre transalpin désireux d'intégrer les différences dans une « archéologie » de concepts, l'usager moyen aurait bien voulu s'en tenir à un lexique sans arrière-pensées ni chausse-trapes. Mais pouvait-il en être autrement dans cette vaste nébuleuse d'ap- proches sophistiquées, métissées ou au contraire exclusives et jalouses de leur jeune identité ? Guettées qu'elles étaient par ces deux risques : la transdisciplinarité qui fait que le langage est importé et parfois en porte à faux ; la balkanisation qui peut entraîner des interférences fâcheuses. Un langage aussi spécialisé que son objet court en effet le risque d'être concurrencé par d'autres langages sur des terrains communs et — plus grave — de ne même pas s'en apercevoir. Dans le premier cas, l'inconvé- nient c'est qu'un seul terme corresponde approximativement à plusieurs concepts, dans le second que plusieurs termes désignent le même concept. Il va sans dire que ces inconvénients n'ont guère été évités et qu'ils ont été compliqués par l'internationalisation du phénomène et ses corollaires : d'une part les capacités néologiques qui peuvent varier d'une 1 In La psychanalyse, son image et son public, PUF, 1961. 2. Sémiotique et philosophie du langage, PUF, 1988. 7 langue à une autre1 et d'autre part les aléas de la traduction (différée, indi- recte2, approximative ou actualisée). C'est ainsi que les développements récents de la poétique et le regain d'intérêt pour Aristote ont abouti à retraduire muthos : non plus fable mais histoire a-t-on pu lire récem- ment3, intrigue et mise en intrigue dit ensuite P. Ricoeur4. Si l'on excepte le degré zéro (le contributeur insoucieux de néologie, genre Starobinski), l'activité terminologique est plutôt un signe des temps. Elle s'explique pour diverses raisons et s'ordonne autour de trois indications de tendance : emprunt à des savoirs contemporains ou à des nomenclatures strictement codifiées, souci de la cohérence, enfin invention et subversion. Ceci sans compter une originalité syntaxique ou stylistique — diversement comprise, c'est le moins qu'on puisse dire — dont on trouve l'exemple chez Lacan et Derrida. Les recours (jugés nécessaires) aux disciplines exogènes ont été intégrés sans grosses difficultés (la philosophie), ou bien ils ont été cantonnés dans des secteurs pointus (la logique pour la sémiotique, les mathématiques pour la sémanalyse). Mais le plus fréquent a été d'emprunter à la lin- guistique, soit en se basant sur la fameuse homologie : ce qui est vrai en deçà de la phrase l'est aussi de la grande phrase qu'est la littérature, soit en invoquant le cas de l'anthropologie et surtout de la sémiologie forte- ment emprunteuse comme l'on sait5. Outre la linguistique, la rhétorique a été prêteuse et sollicitée au nom de la même hypothèse : les méca- nismes des figures sont transposables à une autre échelle. La seconde tendance est illustrée et défendue par le Genette de Figures III, uploads/Litterature/ 2881-culturefb.pdf

  • 46
  • 0
  • 0
Afficher les détails des licences
Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise
Partager