Revista de Estudios Africanos, 0 “ORPHÉE NOIR” DE JEAN-PAUL SARTRE: UNE LECTURE

Revista de Estudios Africanos, 0 “ORPHÉE NOIR” DE JEAN-PAUL SARTRE: UNE LECTURE PROGRAMMATIQUE DE LA NÉGRITUDE* Jean Paul Sartre’s “Orphée noir”: Aprogrammatic reading of Négritude “Orphée noir” de Jean Paul Sartre: una lectura programática de la negritud OZOUFS. AMEDEGNATO & IBRAHIM OUATTARA University of Calgary & Université de Moncton samedegn@ucalgary.ca Recibido: agosto 2018; Aceptado: abril 2019 Cómo citar: Amedegnato, Ozouf S. & Ouattara, Ibrahim (2019). “Orphée noir” de Jean- Paul Sartre: une lecture programmatique de la négritude. Revista de Estudios Africanos. Número cero, páginas.23-50http :// doi . org /10.15366/ reauam 2019.0.002 Résumé En 1948 paraît aux Presses Universitaires de France l’Anthologie de la nouvelle poésie nègre et malgache de langue française de L.S. Senghor, préfacée par J.-P. Sartre. Cet article se propose de revenir sur ce texte, « Orphée noir » parce qu’il nous apparaît rétrospectivement comme l’une des lectures les plus originales de la négritude, comme un prolongement aussi, tout à fait naturel, non seulement de la pensée de Sartre, mais aussi de son expérience de l’aliénation pendant l’occupation. L’expérience existentielle de l’occupation est structurellement similaire à l’expérience vécue de la colonisation, dans la mesure où elles mettent, l’une et l’autre, les individus dans la nécessité de faire face aux mêmes douleurs, aux mêmes vexations et aux mêmes exigences. Voilà pourquoi il nous semble que Sartre a pu si bien comprendre et, dans une certaine mesure, développer un attachement authentique pour cette poésie et cette littérature. Et c’est ce qui nous autorise à dire que sa lecture n’est pas une lecture parmi d’autres, mais une lecture lucide et profonde de ce qui est (encore) à l’œuvre dans la négritude ; une lecture programmatique, en somme. La négritude devient alors, non pas un mouvement achevé ou assigné à un moment de l’histoire : elle est toute cette histoire ; ce qui signifie qu’elle est aussi le devenir de la littérature noire. Ce qui fait que l’on peut décrire toute l’histoire de cette littérature suivant plusieurs modèles ternaires de l’autoréalisation dialectique (c’est-à-dire, sur le modèle Position de domination du maître / Révolte de l’esclave / OzoufS. Amedegnato & Ibrahim Ouattara doi: 10.15366/reauam2019.0.002 Dépassement de la contradiction). On obtient alors des déclinaisons intéressantes, aux plans idéologique, philosophique, littéraire et linguistique. Mots clés: Négritude, Senghor, Sartre, aliénation, émancipation, historicisation. Abstract In 1948, Senghor published his Anthologie de la nouvelle poésie nègre et malgache de langue française (Presses Universitaires de France), with a preface by Jean-Paul Sartre. The current article proposes to take a closer look at this preface, entitled “Orphée noir”, which, in retrospect, offers one of the most original readings of the Negritude movement, and demonstrates a natural prolongation not only of Sartre’s thought, but also of his experience of alienation during the Occupation. The existential experience of the Occupation is structurally similar to the lived experience of colonization, to the extent that both force individuals to face the same pain, harassment and constraint. This is why, it seems to us, Sartre was able to solidly understand, and to a certain degree, develop an authentic attachment to the poetry and literature of the Negritude movement. From this perspective, we permit ourselves to suggest that Sartre’s reading is not simply one among many, but rather a lucid and profound reading of what is still at work in the movement; a programmatic reading, in short. Sartre’s “Orphée noir” reminds us that the Negritude movement cannot be ‘completed’ or assigned to a moment in history – it is all of history. It necessarily continues to inform the higher level of actuality (the becoming) of Black literature, which in turn means one can describe the entire history of that literature following the ternary model of dialectical auto-realization (i.e., the Domination position of the master / the Revolt of the slave / the Overcoming of that contradiction), with all the interesting ideological, philosophical, literary and linguistic variations that result. Key Words: Négritude; Senghor; Sartre; alienation; emancipation; historicization. Resumen En 1948 Senghor publicó su Anthologie de la nouvelle poésie nègre et malgache de langue française (Presses Universitaires de France), con un prólogo de Jean-Paul Sartre. El presente artículo propone una mirada más detenida a ese prefacio, titulado “Orphée noir”, que, en retrospectiva, ofrece una de las lecturas más originales del movimiento de laNegritud, y da muestras de una prolongación natural no solo del pensamiento de Sartre, sino también de su experiencia de alienación durante la Ocupación. La experiencia existencial de la Ocupación es estructuralmente similar a la experiencia vivida de la colonización, en la medida en que ambas obligan a los individuos a enfrentar el mismo dolor, hostigamiento y restricción. Por eso, nos parece, Sartre pudo comprender en cabalidad y, hasta cierto punto, desarrollar un apego auténtico a la poesía y la literatura del movimiento de la Negritud. Desde esta perspectiva, nos permitimos sugerir que la lectura de Sartre no es simplemente una entre muchas, sino más bien una lectura lúcida y profunda de lo que todavía funciona en el movimiento; una lectura programática, en definitiva. El “Orphée noir” de Sartre 24 OzoufS. Amedegnato & Ibrahim Ouattara doi: 10.15366/reauam2019.0.002 nos recuerda que el movimiento de la Negritud no 24 OzoufS. Amedegnato & Ibrahim Ouattara doi: 10.15366/reauam2019.0.002 puede ser "completado" o asignado a un momento en la historia, es toda la historia. Sigue informando necesariamente el mayor nivel de actualidad (el devenir) de la literatura negra, lo que a su vez significa que cabe describir toda la historia de esa literatura siguiendo el modelo ternario de autorrealización dialéctica (es decir, la posición de dominación del maestro / la revuelta del esclavo / la superación de esa contradicción, con todas las interesantes variaciones ideológicas, filosóficas, literarias y lingüísticas implicadas. Palabras clave: Negritud; Senghor; Sartre; alienación; emancipación; historicización. 1. PETITE CHRONOLOGIE Selon Jean-Paul Sartre, la négritude, terme qu’il trouvait en fait «assez laid» (xviii)1, se conçoit comme la négation de la négation du nègre. L’historiographie des lettres africaines fait remonter le mouvement au contexte précis de la colonisation et à un moment psychologique bien défini, à savoir l’aliénation2. Le vocable apparaît dès 1935 sous la plume d’Aimé Césaire, notamment dans un article de la revue L’Étudiant Noir3, intitulé «Conscience raciale et révolution sociale »; avant d’être repris massivement et systématiquement par les autres chantres, nombreux, du mouvement. La négritude désigne traditionnellement un ensemble de caractéristiques et de valeurs culturelles appartenant aux peuples noirs et revendiquées comme telles. Ou pour le dire comme Senghor: «c’est l’ensemble des valeurs économiques, politiques, intellectuelles, morales, artistiques et sociales des peuples d’Afrique et des minorités noires d’Amérique, d’Asie, d’Europe et d’Océanie» (1977). Cette valorisation du patrimoine culturel noir s’accompagne d’un rejet de la civilisation 1Dans cet article, toutes les citations en chiffres romains renvoient au texte «Orphée noir», préface de Sartre à l’Anthologie de la nouvelle poésie nègre et malgache de langue française de Léopold Sédar Senghor, initialement publiée en 1948. Nous utilisons la troisième édition, de 1972. 2Le mouvement s’inspire d’un autre: la Negro-Renaissance, développé aux États-Unis par W.E.B. Dubois, Langston Hughes et Richard Wright. 3« Plus qu’une revue, dit Senghor, Légitime Défense fut un mouvement culturel. Partant de l’analyse marxiste de la société des «Isles», il découvrait en l’Antillais le descendant d’esclaves négro-africains maintenus, trois siècles durant, dans l’abêtissante condition du prolétaire » (Sartre: xxv). 25 OzoufS. Amedegnato & Ibrahim Ouattara doi: 10.15366/reauam2019.0.002 européenne, du dieu blanc, del’assimilation culturelle, del’image du nègre «banania» (cf. «Mais je déchirerai les rires banania sur tous les murs de France» (Senghor, «Poème liminaire»: 1948)). La négritude, c’est le moment historique où «des Nègres osèrent proclamer le droit à l’existence autonome du Noir en rappelant bruyamment et sauvagement le passé africain, la civilisation et la culture africaines» (Adotevi 1998: 31); un moment explosif aussi, de l’avis de Sartre: «La densité de ces mots, jetés en l’air comme des pierres par un volcan, c’est la négritude qui se définit contre l’Europe et la colonisation» (xxvii), qui se traduit en acte poétique. Et c’est la raison pour laquelle sa définition est devenue si emblématique du mouvement. L’abolition de l’esclavage rappelle cet autre fait historique: la Rédemption. Le paternalisme doucereux de l’homme blanc après 1848, celui du Dieu blanc aprèsla Passion se ressemblent. Seulement la faute inexpiable que le noir découvre au fond de sa mémoire, ce n’est pas la sienne propre, c’est celle du blanc; le premier fait de l’histoire nègre, c’est bien un péché originel: mais le noir en est l’innocente victime. C’est pourquoi sa conception de la souffrance s’oppose radicalement au dolorisme blanc. Si ces poèmes sont, pour la plupart, si violemment anti-chrétiens, c’est que la religion des blancs apparaît aux yeux du nègre, plus clairement encore qu’à ceux du prolétariat européen, comme une mystification: elle veut lui faire partager la responsabilité d’un crime dont il est la victime; les rapts, les massacres, les viols et les tortures qui ont ensanglanté l’Afrique, elle veut le persuader d’y voir un châtiment légitime, des épreuves méritées. Direz-vous qu’elle proclame, en retour, l’égalité de tous les hommes devant Dieu ? Devant Dieu, oui. Je lisais hier encore dans Esprit ces lignes d’un uploads/Litterature/ 28834.pdf

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