1 Quelques caractéristiques de la production littéraire Du point de vue littéra

1 Quelques caractéristiques de la production littéraire Du point de vue littéraire, la production judaïque a subi l’influence des aléas de l’histoire. Cette histoire littéraire qui est née quelques temps avant la première guerre mondiale reprenait les formes et les caractéristiques de l’écriture et de la littérature française. Si la colonisation fut une libération des juifs qui leur a permis de revendiquer le moi et la collectivité, par l’écriture, comme une revanche sur la domination arabe. L’événement suivant qui va changer la conception de l’écriture comme revendication et comme un moyen de conservation de la mémoire sera la seconde guerre mondiale. D’une entité reconnue les juifs vont subir une vague antisémite sans précédent. Le changement de leur statut en Europe en général et au Maghreb a influencé leur expression littéraire. Le génocide perpétré par les nazis a engendré un traumatisme tenace qui a poussé plusieurs écrivains, sinon leur totalité, à cacher ou à effacer toute trace de leur appartenance juive. Ce choc les a poussés à s’insérer dans les sociétés où ils vivaient. La citation suivante corrobore cet esprit : « Ces mêmes artistes qui, avant-guerre, revendiquent une inspiration spécifiquement juive, paraissent après celle-ci n’avoir d’autre aspiration que d’intérioriser, où qu’ils se trouvent, les pratiques, l’idéologie et l’imaginaire du groupe dominant. »P : 16. L’exil vers la France et vers la Palestine (terre de Sion) va être une rupture avec une réalité vécue, avec une culture et une civilisation ancestrales. Les générations qui sont nées au Maghreb et qui ont immigrés, vont pratiquer une écriture de la mémoire. 2) Convergences et divergences culturelles a) Origine et développement de la littérature judéo-maghrébine 2 La présence juive en terre du Maghreb a favorisé la naissance de la littérature judaïque. Elle est un mélange d’héritage hébraïque, de culture arabo-musulmane et d’un paganisme antéislamique. Cet amalgame se reflète au niveau linguistique autant qu’au niveau culturel. Pour l’aspect linguistique, l’hébreu est la langue du sacré (vie des saints, explication et commentaire de la Torah…) et les dialectes judéo-arabes et judéo-espagnols servent à exprimer la vie quotidienne. Cette variation est la preuve incontournable de l’intégration de la communauté juive dans le paysage culturel maghrébin. Cependant, si le xɪxème et le xxème siècles ont témoigné d’une séparation et des différences entre les deux communautés, nous nous posons la question suivante : comment vivaient les deux communautés avant l’arrivée du colonisateur ? Nous répondrons à cette question en examinant les niveaux linguistique et culturel. 2-a) Origines et développement Avec l’installation des communautés judaïques au Maghreb, deux littératures juives sont apparues. La première est écrite en hébreu. Ses thèmes ont une empreinte religieuse (littérature hagiographique). Elle concerne spécialement les juifs puisqu’elle est l’explication et l’interprétation de la Torah. La langue hébraïque est restée vivante dans les milieux juifs du Maghreb vue l’importance qu’ils donnaient aux textes sacrés. Viendra en deuxième position, mais non pas en importance, le judéo-espagnol. Il s’agit d’une langue qui s’est formée dans plusieurs pays : au Maroc, au Balkans, en Algérie (entre autres pays). Cette langue n’existait pas en Espagne et les juifs qui y vivaient ne l’utilisaient pas avant de s’exiler au Maghreb. Leur départ vers le nord du Maghreb donnera naissance à deux langues : le judéo-espagnol parlé, il s’agit de ce qu’on appelle la haketia (haketiyya) au Maroc alors qu’en algérie (Oran surtout) on la nomme le tittawni ou titwani. Ce sont des langues vernaculaires. Le judéo-espagnol écrit est appelé : ladino. C’est une langue liturgique puisqu’elle est la traduction littérale des textes religieux hébraïques vers la langue espagnole. Cette langue était destinée aux enfants et aux femmes surtout (analphabètes) pour leur enseigner le texte sacré. Sachant que les juifs venus d’Espagne avaient perdu l’hébreu depuis longtemps. Donc, la solution était de traduire le texte hébraïque vers l’espagnol pour les rapprocher des rites et de la parole divine. Ce qui reste de ce patrimoine est la Haggadah de Pessah. 3 Le judéo-arabe est aussi une langue parlée par les juifs du Maghreb. Cette langue possède une longue histoire, elle est l’apport des berbères, juifs et arabes. En contact avec une population majoritairement arabophone, les juifs ont assimilé la langue arabe, devenue leur principal outil d’expression. Exp (attrape : en judéo-marocain= Sâbbâr, en arabe marocain= ched) (assieds-toi : en judéo marocain=gels, en arabe marocain q3ed) Les deux langues ont donné naissance à une littérature abondante qui représente la vie quotidienne des juifs au moyen de plusieurs genres : poèmes (qseda), conte (comme ceux de Djéha), novella (genre entre la nouvelle et le roman : les spécificités se voient surtout dans la longueur du texte, peu de personnages, les intrigues sont limitées et liées, sans trop de descriptions), les proverbes ( lm’touls) reflètent l’intelligence et le savoir des gens du peuple et décrivent de façon concise la réalité. Cette production s’attache au vécu des juifs et s’éloigne de la fiction. Il s’agit la plupart du temps d’une littérature de témoignage (surtout au début, la fiction entrera plus tard avec la période mimétique). L’exemple le plus signifiant est cette qseda en judéo-arabe dédiée à la sage- femme : (appelé ghnayat al-qabla) Ya qabla ya susiyya Kull ma seddit swiyya Nkum nhar as-saba’ nkherrzek maksiyya Ya qabla ya maqbula Ya mbashshra ya mimuna Bashshertini ya’tik al-khir Na’tik haja matmuna (page 54, Deux mille ans de vie juive au Maroc. Haïm zafrani) En plus de ces deux productions, la littérature de fiction va se développer vers la moitié du xɪxème siècle à partir de la traduction des chefs d’œuvre de la littérature occidentale du français (surtout en Tunisie) vers les langues judéo- arabe et judéo-espagnole (ex : les Trois Mousquetaires). Déjà à cette époque, les traductions montrent la fascination des juifs pour les valeurs occidentales. Etat qui va préparer l’acculturation de la communauté judéo-maghrébine. Ainsi, nous remarquons que cette littérature, constituée au 4 départ de traductions, sera l’étape transitoire entre la littérature de témoignage et la littérature judéo-maghrébine d’expression française qui sera la représentation de l’imaginaire et la pensée judéo-maghrébines. La littérature de mémoire est une transmission du patrimoine judaïque (recettes culinaires, danses, proverbes, etc.) des langues judéo-arabe et judéo-espagnole vers la langue française devenue un moyen pour conserver ces traditions séculaires. Cette évolution va avoir des répercussions au niveau linguistique. L’hébreu persistera en tant que langue du sacré (langue de la Torah et des sciences religieuses) alors que le judéo-arabe et le judéo-espagnol vont disparaître laissant la place à la domination de la langue française. 2-b) La période de mimétisme Cette situation historique et culturelle va préparer l’installation de la langue française au sein de la communauté judéo-maghrébine et en faire le moyen par excellence de l’expression littéraire. La préférence de la langue française est le résultat de plusieurs facteurs socio-historiques qui ont abouti à une conception spécifique du colonisateur par le juif. a- Plurilinguisme et identité Au niveau du langage, le juif maghrébin a vécu en situation de diglossie : entre l’hébreu, le judéo-arabe et le judéo-espagnol, sa langue maternelle était déjà marginalisée. En effet, la situation de l’écrivain juif est spécifique. Déjà dépossédé (la dépossession dans le sens que nous exprimons souligne le fait qu’elle n’est pas la langue officielle, nationale, c’est une langue utilisée, seulement durant l’office du samedi et durant l’enseignement, aussi pendant les fêtes religieuses) ;de sa langue originelle, considérée comme pauvre et dominée, l’entrée de la langue française –à travers l’école- ne peut être considérée comme un exil linguistique et culturel. Car, cet exil et l’acculturation qui en découle ont déjà été vécus par ces écrivains au sein de la culture arabe. Par conséquent, la langue et la culture françaises vont représenter les outils d’une libération par l’accès à cette culture prestigieuse. Les écrivains judéo-maghrébins dépassent ainsi une situation sociale rejetée. Nous remarquons que la langue est un moyen efficace capable de participer à l’acculturation puisqu’elle est l’un des vecteurs d’une culture donnée. Autrement-dit, toute langue porte en elle les germes d’une culture, elle véhicule des valeurs, un mode de vie, des traditions en somme un patrimoine. Et l’hébreu a été légué pendant longtemps à un espace restreint. La domination du judéo- arabe et du judéo-espagnol montre déjà une acculturation problématique 5 puisqu’il s’agit de signes d’appartenance à la culture arabo-musulmane. La situation est bien décrite par Guy Dugas : « …, il ne peut en être de même pour le juif, dont le dialecte vernaculaire était, de toute façon, déjà considéré comme pauvre, parfois honteux, et dominé, si bien qu’avant même les effets de son acculturation à l’occident le juif avait ressenti cet « exil dans la langue » et cette dépossession de soi… » (P :33.) b- la production littéraire Pour déclarer les commencements de la littérature judéo-maghrébine d’expression française, il faut trouver un groupe d’écrivains qui produisent de manière continue dans esprit homogène. Guy Dugas avance les débuts de cette production : « Le rôle de l’école de Tunis dans l’émergence d’une littérature judéo- maghrébine de langue française et la définition de sa spécificité, est donc selon nous incontestable. » P :58 Dès ses débuts (les premières uploads/Litterature/ 4eme-seance-judeo-2022.pdf

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