Érudit est un consortium interuniversitaire sans but lucratif composé de l'Univ

Érudit est un consortium interuniversitaire sans but lucratif composé de l'Université de Montréal, l'Université Laval et l'Université du Québec à Montréal. Il a pour mission la promotion et la valorisation de la recherche. Érudit offre des services d'édition numérique de documents scientifiques depuis 1998. Pour communiquer avec les responsables d'Érudit : info@erudit.org Article « Femmes d’Orient, entre paganisme et christianisme : Hypatie selon Jean Marcel » Rachel Bouvet Voix et Images, vol. 31, n° 1, (91) 2005, p. 33-45. Pour citer cet article, utiliser l'information suivante : URI: http://id.erudit.org/iderudit/011923ar DOI: 10.7202/011923ar Note : les règles d'écriture des références bibliographiques peuvent varier selon les différents domaines du savoir. Ce document est protégé par la loi sur le droit d'auteur. L'utilisation des services d'Érudit (y compris la reproduction) est assujettie à sa politique d'utilisation que vous pouvez consulter à l'URI https://apropos.erudit.org/fr/usagers/politique-dutilisation/ Document téléchargé le 9 février 2017 05:51 RÉSUMÉ Hypatie ou la fin des dieux de Jean Marcel joue savamment de superpositions. Un premier niveau affecte l’espace méditerranéen, donnant lieu à deux configurations antagonistes : celle de l’Empire romain, étalé sur le pourtour des rives méditerranéennes, et celle d’aujourd’hui, marquée par la ligne de force de l’imaginaire séparant l’Orient de l’Occident. Un second se rapporte au temps : le roman joue sur la confusion de deux périodes historiques, correspondant à la disparition de la culture grecque en Égypte (cinquième siècle) et à la défaite de ce pays contre Israël (1967). Un troisième affecte les personnages d’Hypatie, philosophe et mathématicienne, et de sainte Catherine d’Alexandrie, entremêlées dans une figure double, située à la croisée des imaginaires païen et chrétien. V O I X E T I M A G E S , V O L U M E X X X I , N U M É R O 1 ( 9 1 ) , A U T O M N E 2 0 0 5 F E M M E S D ’ O R I E N T , E N T R E P A G A N I S M E E T C H R I S T I A N I S M E . H y p a t i e s e l o n J e a n M a r c e l 1 + + + RACHEL BOUVET Université du Québec à Montréal + + + 1 Je tiens à remercier le Conseil de recherches en sciences humaines du Canada (CRSH), qui a rendu cette étude possible. Je remercie également mon assistant de recherche, Julien Bourbeau, qui a effectué les recherches documentaires, et Marie-Hélène Le May, qui a contribué à l’analyse. La distinction entre l’Orient et l’Occident apparaît actuellement comme une importante ligne de force de l’imaginaire. Conçue essentiellement sous l’angle de l’antagonisme, elle génère des conflits armés, sanglants, terrifiants, s’enracinant sur des conflits idéologiques qui s’étendent à la planète entière. Tout en donnant nais- sance à des solidarités nouvelles et inattendues, ces conflits ont réveillé des tensions, des haines et des souvenirs de l’époque coloniale. Comme si quelque chose était resté de ces différends que l’on avait crus éteints, comme si la décolonisation n’avait pas achevé son œuvre, du moins sur le plan de l’imaginaire. Si la frontière qui sépare ces deux espaces s’est émiettée sur le plan géopolitique, puisque de nouveaux ensembles ont été instaurés, tout aussi hétérogènes — le Proche, le Moyen et l’Extrême-Orient, le Maghreb —, l’impression qui perdure est qu’ils s’affrontent depuis toujours. Dans sa critique de l’orientalisme, Edward Saïd a révélé les rouages du discours basé sur la distinction entre l’Orient et l’Occident, ayant servi à justifier la domination de ce dernier et à affecter aussi bien la sphère politique et administrative que les domaines scientifique et littéraire 2. Une telle critique de l’orientalisme, radicale s’il en est, s’imposait pour pouvoir mesurer l’ampleur du problème. Mais si cet ouvrage a suscité la controverse, ce n’est pas uniquement parce qu’il venait ébranler certaines certi- tudes, c’est aussi parce que, en dénonçant toute production de l’époque comme nécessairement biaisée et en prenant comme support unique la distinction Orient/ Occident, il en reproduisait sans le vouloir le clivage. Néanmoins, ce conflit d’inter- prétation a eu un impact positif puisqu’il a donné lieu à une série d’études, aussi bien en ce qui concerne les dimensions politique et historique que littéraire. Des auteurs comme Lisa Lowe, Dennis Porter et Thierry Hentsch, pour ne citer que ceux-là, ont montré que l’on ne saurait confondre l’orientalisme anglais et l’orientalisme français, que les nuances sont plus nombreuses et plus subtiles qu’il n’y paraît au premier abord, notamment en ce qui concerne le champ littéraire, et que la fracture entre Orient et Occident n’est pas aussi ancienne qu’on veut bien le croire 3. En fait, c’est surtout à la Renaissance que se développe l’Orient imaginaire, cet « immense fourre-tout de notre imaginaire », comme l’explique Thierry Hentsch : «L’Orient est dans notre tête. Hors de nos têtes d’Occidentaux, l’Orient n’existe pas. Pas plus que l’Occident lui-même. L’Occident est une idée qui nous habite au même titre que son terme opposé 4 ». La mer Méditerranée joue à cet égard un rôle de premier plan puisqu’elle apparaît comme une frontière naturelle, séparant deux mondes opposés l’un à l’autre. Mais il n’en a pas toujours été ainsi : c’est ce que nous rappelle à sa manière le roman de Jean Marcel, Hypatie ou la fin des dieux 5, qui V O I X E T I M A G E S 9 1 3 4 + + + 2 Edward Saïd, Orientalism, New York, Vintage Books Edition, 1994 [1978]. 3 Voir Lisa Lowe, Critical Terrains : French and British Orientalisms, Ithaca, Cornell University Press, 1991 ; Dennis Porter, Haunted Journeys : Desire and Transgression in European Travel Writing, Princeton, Princeton University Press, 1991 ; Thierry Hentsch, L’Orient imaginaire. La vision politique occidentale de l’Est méditerranéen, Paris, Minuit, coll. «Arguments », 1988. 4 Thierry Hentsch, L’Orient imaginaire, op. cit., p. 7. 5 Jean Marcel, Hypatie ou la fin des dieux, Montréal, Leméac, 1989. Désormais, les références à ce roman seront indiquées par le sigle H, suivi du folio, et placées entre parenthèses dans le texte. superpose deux configurations antagonistes de l’espace méditerranéen — celle de l’Empire romain, dont le territoire s’étend tout autour des rives méditerranéennes, et celle que nous véhiculons sans trop nous en apercevoir, lecteurs piégés que nous sommes parfois par les lignes de force de notre propre imaginaire — ; deux périodes de l’Histoire, l’une marquant la disparition de la culture grecque en Égypte, ce pays du Proche-Orient si lourdement chargé d’histoire, de légendes et de mythes, l’autre correspondant à la défaite de l’armée égyptienne à l’issue d’une guerre contre Israël ; deux personnages féminins : Hypatie, la célèbre philosophe et mathématicienne, associée à la ville et au paganisme grec, et sainte Catherine, patronne des philo- sophes, associée au désert et au christianisme. Un jeu savant de superpositions qui n’est pas sans générer au cours de la lecture une sensation de confusion. Lire Hypatie ou la fin des dieux constitue en effet une véritable épreuve : le non-initié peut rapidement se sentir dépassé par tant d’érudition, déstabilisé par les nombreux changements narratifs et temporels, et achever la traversée du livre avec une impression tenace, celle de la confusion. À l’issue de cette lecture où les liens entre les différentes lettres et manuscrits qui composent le roman sont difficiles à établir, le secret résiste encore, il ne se dévoile pas totalement. C’est comme si l’ombre se levait peu à peu, dans la dernière partie, mais en laissant dans l’obscurité un certain nombre de détails, de rapprochements hasardeux, d’hypothèses encore fragiles. Le roman ne propose pas une sortie vers la lumière, mais plutôt un sentiment de désordre, dû à la difficulté de rendre cohérent un ensemble aussi dense. Plusieurs motifs sont à l’origine de cette impression de confusion : première- ment, le cinquième siècle est une période historique mal connue, sur laquelle il n’existe que très peu de documentation, en raison notamment des troubles poli- tiques importants qui ont entraîné la destruction de nombreux documents ; deuxiè- mement, le récit met à contribution une érudition à la fois en matière d’histoire — de l’Égypte, de l’Empire romain, de la chrétienté —, de philosophie grecque, de mathématique, d’hagiologie, de théologie, de philologie, un savoir si étourdissant qu’il donne parfois le vertige ; troisièmement, l’hypothèse qui gouverne le récit, à l’effet que sainte Catherine d’Alexandrie et Hypatie d’Alexandrie seraient une seule et même personne, pose le problème de la véracité des faits historiques. L’évocation de ces manuscrits anciens — illisibles pour nous, mais dont nous percevons des bribes à travers le récit —, ouvre la voie à des interrogations sans fin sur l’Histoire et nous en révèle des dimensions insoupçonnées 6. L’auteur, Jean Marcel, a rapporté dans une entrevue qu’il a passé vingt ans de sa vie à faire des recherches sur le cinquième siècle pour écrire Hypatie ou la fin des dieux 7. Rien d’étonnant dès lors à uploads/Litterature/hypathie-ou-la-fin-des-dieux.pdf

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