Bulletin de l'Ecole française d'Extrême-Orient XV. Un grand disciple du Buddha

Bulletin de l'Ecole française d'Extrême-Orient XV. Un grand disciple du Buddha : Sâriputra. Son rôle dans l'histoire du bouddhisme et dans le développement de l'Abhidharma André Migot Citer ce document / Cite this document : Migot André. XV. Un grand disciple du Buddha : Sâriputra. Son rôle dans l'histoire du bouddhisme et dans le développement de l'Abhidharma. In: Bulletin de l'Ecole française d'Extrême-Orient. Tome 46 N°2, 1954. pp. 405-554; doi : 10.3406/befeo.1954.5607 http://www.persee.fr/doc/befeo_0336-1519_1954_num_46_2_5607 Document généré le 28/05/2016 UN GRAND DISCIPLE DU BUDDHA SÂRIPUTRAO SON ROLE DANS L'HISTOIRE DU BOUDDHISME ET DANS LE DÉVELOPPEMENT DE UABHIDHARMA par le Dr André MIGOT A la mémoire de mon cher maître et ami Jean Przylvski. C'est lui qui fut mon premier guide dans le dédale des textes bouddhiques, et mon initiateur à l'étude des langues canoniques. C'est à lui que je dois Vidée de ce travail. C'est grâce à son enseignement, à ses conseils, à nos bonnes causeries de Paris et de Mareil, à son amitié fidèle et délicatement affectueuse, que j'ai pu le mener à bien dans une période difficile. A M. le Professeur Paul Deuievills qui s'était intéressé à ce travail. Il a été, après Jean Przyluski, mon maître le plus dévoué et le plus cher. Il m'a permis, grâce à un travail ingrat de dépouillement et de traduction, d'utiliser de nombreux textes chinois difficiles. Sa parfaite connaissance du Bouddhisme chinois et ses conseils judicieux m'ont été d'un secours inappi'éciable, et je tiens à lui en exprimer ici toute ma reconnaissance. INTRODUCTION I. De nombreux ouvrages ont été consacrés à la vie du Buddha. Les uns ont cherché à se placer sur un plan historique, en utilisant les sources pâlies, sanskrites, tibétaines ou chinoises M ; d'autres se sont efforcés de déceler dans ces documents des éléments légendaires ou mythiques (3*. Cette distinction ne doit pas faire illusion car il est évident que, dans les textes canoniques, la part de la légende est W Ce nom se présente dans les textes tantôt sous sa forme sanskrite : Sâriputra, tantôt sous sa forme pâlie : Sâriputta. Nous emploierons d'une façon générale la première, réservant la seconde aux citations de textes pâlis. (*) Les plus connus, pour ces diverses sources, sont respectivement ceux de Oldenberg, Kern, Rockhill et Wieger, auxquels il faut ajouter l'ouvrage récent de Foucher, qui fait largement usage des documents archéologiques. (s) Le plus fameux, dans cet ordre d'idées, est celui de Senart. 406 ANDRÉ MIGOT considérable. Quoi qu'il en soit, il semble bien que tous les documents actuellement accessibles aient été utilisés, et il est douteux qu'une nouvelle «Vie du Buddha я soit susceptible d'enrichir nos connaissances sur le Bouddhisme primitif. Par contre, il n'existe pas, à notre connaissance, de monographie détaillée des grands disciples : Ànanda, Kâsyapa, Sariputra, Maudgalyâyana. Ils ont pourtant vécu dans l'entourage du Buddha, ils ont été les premiers à recevoir et à répandre son enseignement, et leur rôle a été considérable dans l'évolution de la doctrine. II semble bien, en effet, que dès la mort du Buddha, et peut-être même pendant sa vie, diverses tendances se soient fait jour au sein de la communauté. Plusieurs des grands disciples paraissent s'être attachés plus spécialement à certains aspects de l'enseignement de leur maître, avoir exercé leur influence dans les milieux variés, et il est permis de voir là l'origine des diverses Ecoles qui se sont constituées de façon précoce et dont la trace est visible dans les écrits canoniques. L'étude de leur légende peut donc être fertile et donner des indications sur l'histoire ancienne des sectes. Le Bouddhisme n'est pas une religion statique créée de toutes pièces par le Bud- dha, et ne s'étant plus modifiée ; c'est un mouvement très ample dont les racines plongent jusque dans la pensée indienne pré-aryenne, qui s'est précisé et a pris corps sous sa forme primitive dans l'intellect général du Buddha, mais qui n'a cessé de se développer ensuite sous des formes diverses. On peut dire qu'il vient autant des Bouddhistes que du Buddha. Dès l'origine, la doctrine a été prêchée à des individus appartenant à des milieux très différents. Par son indifférence pour le régime des castes, le Bouddhisme a été une religion populaire, le hors-caste pouvant entrer dans la communauté au même titre que le Brahmane ; il pouvait être pratiqué par le plus pauvre, ne nécessitant pas, comme le Brahmanisme, de coûteux sacrifices. Mais il a été aussi une religion aristocratique : le fondateur était un prince, plusieurs des grands disciples furent des Brahmanes. Ceux-ci ne pouvaient avoir la même conception religieuse que l'artisan ou le montagnard anaryen, le roi du Magadha que le paysan illettré. D'où une première source de diversités. Dès que la doctrine se fut répandue hors du berceau magadhien, elle présenta aussi des différences en rapports avec sa localisation, et J. Przyluski, dans son travail sur le Concile de Râjagrha^, a montré les transformations d'une même légende en diverses régions et rattaché plusieurs mouvements sectaires à un milieu géographique déterminé. Enfin, le Magadha, à l'époque du Buddha, était un carrefour de races où se rencontraient des éléments indo-aryens, proto-dravidiens, kol, mundâ, madra, sàkya, le Buddha lui-même appartenant à ce dernier clan. Ces populations étaient bien différentes à tous points de vue, et il faut tenir compte de ces différences de milieu. Tout cela contribue à expliquer les diversités d'aspect que l'on rencontre très vite dans le Bouddhisme. Or, comment le connaissons-nous? Non par l'enseignement direct du Buddha, que nous ignorons, mais par des textes qui expriment la façon dont les divers groupes avaient compris et retenu cet enseignement. Ces textes canoniques ont été compilés beaucoup plus tard aux environs de l'ère chrétienne et, à côté d'un fond de doctrine bien fixé, ils décèlent de grandes variétés d'interprétations et de tendances. Il en résulte des contradictions apparentes qui seraient incompréhensibles si le Bouddhisme était sorti tout formé de l'intellect du Buddha, J. Przyluski, Le Concile de Râjagrha, Paris, Geuthner, 1946. UN GRAND DISCIPLE DC BUDDHA : SÀRIPUTRA 407 mais qui sont inévitables lorsqu'on songe à la façon dont les Canons ont été rédigés. La besogne qui s'impose au chercheur est donc de faire l'histoire des dogmes et des sectes, d'étudier comment le Bouddhisme s'est développé dans le temps et dans l'espace. II. Comment y parvenir? L'étude des légendes relatives au Buddha permet difficilement d'y retrouver les diverses couches d'apport. Chaque fois qu'une école rédigeait son Canon, elle s'efforçait de mettre l'ensemble du système en accord avec la nouvelle orthodoxie, attribuant au Buddha sa propre interprétation. L'étude des légendes des grands disciples peut être plus fructueuse. Ils ont été mêlés de très près à la formation des mouvements sectaires dont ils ont souvent été les instigateurs, ou auxquels ils ont été rattachés ultérieurement. Bien souvent, chaque école a une dévotion spéciale pour un certain saint, particulièrement représentatif de ses idées; c'est le cas de Sâriputra, vénéré des abhidharmistes, bien qu'il soit mort avant la rédaction définitive de YAbhidharma. De plus, les difficultés que nous avons signalées pour le Buddha n'existent pas pour les saints ; on ne les jugeait pas assez importants pour tout modifier à cause d'eux. Lorsqu'on trouve dans un texte des renseignements sur la vie d'un saint, il y a donc des chances pour qu'ils n'aient pas été remaniés, car la légende s'éteint en même temps que la popularité. On peut donc avoir ainsi des renseignements exacts sur l'époque à laquelle il était en faveur, et, par recoupements, on doit pouvoir arriver à déterminer l'origine des divers mouvements d'idées. Cette méthode permet également d'étudier les luttes d'influences que l'on décèle dans les textes. Lorsqu'une certaine conception doctrinale est devenue prépondérante, elle a éprouvé le besoin de mettre en valeur le saint qui la représentait le mieux, et d'abaisser tel autre saint symbolisant une conception rivale, en lui attribuant des fautes graves ou en le mettant en mauvaise posture auprès du Buddha. Ânanda, par exemple, a été très populaire dans les débuts du Bouddhisme. Très sensible et affectueux, il a été l'ami intime du Buddha. Lorsque, sous l'influence du monachisme scolastique, se fut fixé le type de Yarhat impassible, Ânanda ne pouvait plus répondre à ce type, lui qui s'émeut et qui pleure. On le représente alors comme un faible d'esprit et un pécheur, et on lui reproche d'avoir insisté auprès du Buddha pour faire accepter les bhikkhuni dans la communauté ; pourtant, il restait encore le saint préféré des gens simples et des nonnes. On a bien ici le type de ces luttes d'influences dont nous parlions. III. Parmi les grands disciples du Buddha, une place à part peut être attribuée à Sâriputra qui, avec son ami Maudgalyâyana, est désigné dans tous les Canons comme le disciple-chef du Buddha. Son rôle est capital et nous allons essayer, dans cette monographie, de reconstituer sa vie, son rôle et son influence qui est considérable au cours de la période du Bouddhisme canonique. Il est considéré par tous comme le patron des prédicateurs, le disciple qui possède au plus haut point la sagesse, la science uploads/Litterature/ a-great-disciple-of-the-buddha-sariputra.pdf

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