À propos de Michel de Certeau Marc Guillaume Reconnaissance à Michel de Certeau
À propos de Michel de Certeau Marc Guillaume Reconnaissance à Michel de Certeau Michel de Certeau n’aurait sans doute pas aimé être qualifié de médiologue, car la fondation d’une nouvelle discipline était au plus loin de sa démarche. Pourtant, il nous a donné une étude portant exclusivement sur la communication, dans un ouvrage remarquable écrit en collaboration avec Luce Giard, L’ordinaire de la communication 1. Après avoir posé le niveau d’analyse ("La communication est le mythe central de nos sociétés"), l’introduction recense de façon complète les nombreuses recherches des vingt dernières années, mais sans les discuter. L’évocation de ce foisonnement de travaux doit, dit-il, nous protéger de "la solution simple, sinon simpliste, d’une panacée technocratique : l’extension des médias ne produira pas d’elle-même le miracle de la communication". Telle était la démarche de Certeau : il connaissait et respectait les travaux antérieurs, il en tirait une leçon de modestie, mais finalement ne s’y arrêtait pas. Il allait ailleurs, à l’essentiel et au singulier. Un singulier qui ne relevait pas du désir d’imposer sa sensibilité personnelle mais, tout au contraire, d’un souci éthique constant de faire surgir ce qui, dans le social ou dans l’histoire est oublié, occulté. Ainsi, l’ouvrage, si bien nommé, met en lumière les usages quotidiens et ordinaires de la communication, les effets positifs des médias dans les situations de pénurie, l’oralité, les pratiques urbaines, les réseaux d’immigrés, etc. Il prolonge les recherches présentées dans L’invention du quotidien et en utilise implicitement les concepts de stratégies et de tactiques qui sont constamment utilisés aujourd’hui par les chercheurs, en particulier dans le champ de la socio-ergonomie des nouvelles technologies. Ces travaux sur les usages forment l’héritage le plus accessible, la couche superficielle d’une œuvre dense et cohérente. En dessous, on trouve une véritable théorie de la transmission. Transmission des traces matérielles : au comité de rédaction de Traverses et au cours d’une recherche sur le patrimoine urbain, Michel de Certeau nous a fait comprendre la coupure qui sépare les sociétés privilégiant l’invisible ou une certaine présence de l’absence, et nos sociétés modernes organisant le théâtre de leur mémoire à partir du visible et de la matérialité. Et surtout transmission (et invention) de l’histoire, dont il montre que son statut la place entre science et fiction. En dessous encore, on trouve une anthropologie du croire et du faire-croire, qui prend son origine dans l’anthropologie religieuse mais s’intéresse aussi au régime des croyances de la société industrielle. Dans cette analyse, plusieurs textes importants mais d’un accès difficile 2 sont consacrés au statut ontologique de l’image et du voir. Partant d’une lecture attentive de Merleau- Ponty, ces textes visent à montrer la réversibilité du visible et du voyant : je vois parce que je suis regardé par les choses , voir est une expérience qui brouille les limites du monde, qui "inassure" la place du sujet et de l’objet, qui défait le socle des positions de savoir et le sens qui semble organiser le visible. Pour ouvrir à la connaissance, à la communauté et au croire : « Le regard s’inscrit dans le discours et dans la socialité par un "croire" 3 ». On ne peut donc lire le médiologue de l’ordinaire qu’en rattachant cete lecture à une œuvre qui fonde une véritable ontologie de la médiologie. Trop dense pour attirer les médias, cette œuvre majeure irriguera longtemps les communautés d’historiens, d’ethnologues et de philosophes. Au titre de médiologue, Michel de Certeau aurait sans doute préféré celui de passeur. Il était un passeur dans sa pratique d’écriture et de lecture, comme il l’était avec ses amis – passeur dans un sens profond et énigmatique qui l’a conduit à écrire : "Penser c’est passer à l’autre". NOTES 1. Dalloz, 1983. Il s’agit d’un rapport commandé par le Ministère de la Culture. 2. "La folie de la vision", Esprit, juin 1982 ; La fable mystique, Gallimard, 1982. 3. "Nicolas de Cues : le secret d’un regard", Traverses, mars 1984. Article paru dans les Cahiers de médiologie N°6 Gallimard, 2ème semestre 1998 uploads/Litterature/ a-propos-de-michel-de-certeau.pdf
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- Publié le Mar 16, 2022
- Catégorie Literature / Litté...
- Langue French
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