Conférence du 21 septembre 2013 - CIEP - Renaud Ferreira de Oliveira 1 L'ADAPTA
Conférence du 21 septembre 2013 - CIEP - Renaud Ferreira de Oliveira 1 L'ADAPTATION LITTERAIRE AU CINEMA: UNE VIE DES OEUVRES. ------------------ Introduction L'adaptation désigne à la fois un ensemble d'opérations complexes visant à transformer un objet littéraire en objet cinématographique ET le produit de ces opérations, à savoir un film. Opérations et produits répondent à des besoins vitaux. Par ex au besoin d'histoires et de sujets du cinéma (tel grand cinéaste comme Truffaut reconnait n'avoir aucune imagination). L'adaptation "textes littéraires - images cinématographiques" fait resurgir au XXème siècle le questionnement soulevé par le topos "ut pictura poesis", e t le débat sur la compétition poésie VS Peinture. De ce point de vue, un certain nombre de questions émergent, auxquelles il est impossible de répondre de manière définitive, générale et théorique. Le film trahit-il sa source? Cherche-t-il à transcrire ou à interpréter sa source? S'il s'en éloigne, est-ce en raison de nouveaux contextes historiques et culturel? Un film peut-il recréer, sous de nouvelles formes, ce qu'on croyait jusqu'alors spécifiquement littéraire? etc.. Questions différemment abordées par les cinéastes et théoriciens. En France, on a plutôt des cinéastes théoriciens de l'adaptation et peu de théoriciens purs, voir pour cela les anglo-saxons, Thomas Leitch par ex. Parmi ces questions, il conviendrait d'éviter deux écueils. 1° L'idée d'une adaptation-vol ou trahison, ou déperdition (l'idée du fameux "crime parfait" ; 2° l'idée d'une fermeture de l'imaginaire par le cinéma (les lettres ouvriraient car non actualisante; le cinéma présentifierait et donc fermerait et apauvrirait), idée très répendue y compris chez des "grands", qui conçoivent un soupçon vis à vis des arts visuels. Gracq par exemple. Pour ce faire, envisageons la question de l'adaptation au delà de celle d'un procédé ou d'une technique qui vise à sauvegarder "bourgeoisement" les champs respectifs. Nous proposons d'envisager l'adaptation comme un cas particulier d'intertextualité, de transfert consubstantiel à la vie des formes. L'adaptation est une lecture et une relecture de l'oeuvre, souvent assumée. Plutôt qu'une trahison, pensons l'adaptation comme un relais des formes qui a toujours existé, et qui dépasse la notion juridique fermée d'oeuvres, laquelle n'est que très limitée dans le temps. De l'émergence de l'autonomisation d'un "champ" (au sens bourdieusien) culturel et littéraire à nos jours, où la notion d'oeuvre est remise en question par les nouveaux médias. Plutôt qu'une trahison, l'adaptation relève d'un marché, d'un système d'échanges, d'un commerce (trade) dont Francis Ramirez et Christian Rolot ont donné une approche d'ordre anthropologique particulièrement convaincante : "... la problématique de l'adaptation prend sa place dans l'une des questions fondatrices de l'anthropologie générale, celle de la transmission Conférence du 21 septembre 2013 - CIEP - Renaud Ferreira de Oliveira 2 de richesses et des obligations qui en découlent.." in "Le larcin magique", Cinémathèque n°11, printemps 1997. L'adaptation serait donc un ensemble de contraintes et de libertés assumant une mission de transmission et d'échanges tout en se singularisant et en payant le tribut de cette singularité. Un tribut et acte essentiel à la vie des oeuvres. Voyons-en les caractéristiques, déclinées / envisagées sous un angle historique, rhétorique et typologique. I° L'adaptation et l'affirmation du cinéma comme art: bref rappel historique Remarquons, sans entrer dans une histoire longue et mouvementée de l'adaptation littéraire, que l'autonomisation du champ artistique cinématographique, la constitution du cinéma comme art, s'est constamment appuyé de manière paradoxale sur le geste de l'adaptation. Tension constitutive tout au long de l'histoire du cinéma. A) Au début du XX siècle, le cinéma est un spectacle forain. 1er manifestations/tentatives pour l'en extraire relève du "Film d'art" (1908): puiser dans le patrimoine littéraire à adapter, exhausser la dignité du médium par la dignité des sujets. Le cinéma à ses débuts a eu ainsi besoin de prendre appui sur l'art littéraire afin de prouver sa légitimité. En 1908, Paul Laffitte fonde, sur sollicitation des sociétaires de la Comédie-Française, la société Le Film d’Art pour assurer la production à l'écran de scènes historiques, mythologiques ou théâtrales filmées à partir d'adaptations authentiques et renommées. Le but principal de la création de cette société est à la fois d'élargir le public du cinéma et de donner une forme de dignité au médium. Le cas de L'assassinat du Duc de Guise, d'après Dumas. Face à cette entreprise, ce "classicisme" jugé dommageable, la réaction des cinéastes d'avant- garde, tous issus des rangs de la littérature, va être de promouvoir les moyens propres du cinéma, d'inventer un langage (VS les sujets). C'est la naissance de la première avant garde, qui récupère les avancées de Griffith. Mais le paradoxe, c'est que ces auteurs vont promouvoir leurs recherches en se mesurant à des adaptations littéraires, non pour usurper la gloire littéraire, mais pour manifester une sorte de relais de formes, de transfert linguistique (dans la lignée d'une réflexion post symboliste sur l'autonomisation du pouvoir des formes): comment le médium cinéma surclasse et sublime le topos littéraire, ici la mélancolie envisagée comme synthèse de sentiments contradictoires qui contraint le personnage à l'immobilité. Voir Epstein et La chute de la maison Usher. Exemple dans La Chute de la maison Usher. Le visage de Roderick Usher hanté par la disparition de sa sœur et l’angoisse de son « retour » : filmage en gros plan et ralenti, montage alterné avec la silhouette de Madeleine qui sort du tombeau. Epstein va décomposer là l’extrême complexité du sentiment humain. Conférence du 21 septembre 2013 - CIEP - Renaud Ferreira de Oliveira 3 Sous ce visage assez inexpressif, une multiplicité de « phases » émotionnelles se succèdent : la douleur et l’espoir d’un retour, la culpabilité et le désir, le vertige de la Révélation et l’horreur sacré. Tout est entremêlé et c’est ici le « mouvement » des sentiments qui est décomposé, l’ « émotion » étant analysée comme s’il s’agissait d’un mouvement physique : le visage est filmé comme un « bouillon de culture ». Le cinéma devient un microscope temporel. B) Cette tension se retrouve au moment de la nouvelle vague. Contre le refus du "cinéma de Papa", d'un cinéma de scénario, représenté par la qualité française, Jean Aurenche et Pierre Bost, la nouvelle vague refuse le cinéma littéraire. Mais paradoxalement, les "auteurs" vont chercher à faire des adaptations, et des adaptations qui servent le texte, le font entendre, le mette au coeur de leur dispositif, mais comme un moyen parmi d'autres pour engager une confrontation et une polyphonie des langages au sein d'un film qui devient caisse de résonnance et Art total. Moyen pour eux de montrer que l'on est auteur par la mise en scène et non par l'histoire. C) On retrouve encore cette opposition constitutive entre un cinéma de sujet et un cinéma de mise en scène, où l'enjeu est la définition du périmètre de la notion d'auteur, et pour laquelle l'adaptation est un champ de bataille. D'un côté les Tavernier qui veut éclairer, servir le sujet; de l'autre les héritiers de la Nouvelle Vague de Assayas à Desplechin en passant par Coppola ou de Palma, auteurs post modernes, pour lesquels l'enjeu n'est pas tant le produit de l'adaptation que le geste et la confrontation des langages qu'ils entretiennent comme tension dynamique. II° La confrontation des langages On sait qu'adapter entraine des métamorphoses, fait appel à une conversion des imaginaires et des langages. Engage une confrontation et une mutation des rhétoriques, contrainte par la programmation du texte adapté, par les impératifs techniques et sémiotiques du cinéma, par la liberté du créateur. Il faudrait envisager le sujet sous l'angle d'une économie générale comparée des figures, dans le sillage de Nicole Brenez, couplée avec des analyses cognitives. On sait que certaines choses sont faciles et simples à adapter; d'autres non, voire impossibles. Par ex la question de l'itération. Naturelle en littérature (l'imparfait itératif); elle suppose une inventivité prodigieuse au cinéma. Le cas de l'itération dans In the mood for love. Sans s'engager de manière ennuyeuse dans la théorie, l'on peut citer Brian McFarlane, Novel to film: An Introduction to the Theory of Adaptation, Oxford, Clarendon Press, 1996. Selon McFerlane, plutôt que d'être fidèle au texte, le film doit "jouer avec", (play around = tourner autour), le transmettre de manière indirecte, périphrastique. Il s'agit de rester fidèle à ce qui fait l'essence du texte (intrigue, personnages, retournements) mais également d'opérer les Conférence du 21 septembre 2013 - CIEP - Renaud Ferreira de Oliveira 4 transpositions, échanges/conversions, nécessaires afin de na pas tomber dans une logique d'illustration. McFerlane en vient à ce qui constitue sa contribution principale au débat, la différence entre ce qu'il considère comme étant transferable de l'écrit à l'image, et ce qui doit être adapted. Il propose le schéma suivant: les éléments de l'histoire pourront être transférés plus ou moins tels quels d'un médium à l'autre, l'intrigue, la topographie, les personnages. L'adaptation intervient donc sur ce qui n'est pas transférable et qui repose sur des signifiants différents: l'énonciation, le style, l'inscription dans le temps et l'espace, etc... Voyons qques uns de ces éléments, relevant de la nécessaire "adaptation" qui nécessite échanges, conversions, jeux. 1) L'espace et le temps: Bête humaine (1938) de Renoir, chap. uploads/Litterature/ adaptation-litteraire-au-cinema-conference-r-ferreira 1 .pdf
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- Publié le Fev 01, 2022
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