Annales du Midi : revue archéologique, historique et philologique de la France

Annales du Midi : revue archéologique, historique et philologique de la France méridionale Les oeuvres d’un humaniste : Pierre Gilles d’Albi, amoureux du savoir (1490-1556) Coralie Miachon Citer ce document / Cite this document : Miachon Coralie. Les oeuvres d’un humaniste : Pierre Gilles d’Albi, amoureux du savoir (1490-1556). In: Annales du Midi : revue archéologique, historique et philologique de la France méridionale, Tome 120, N°261, 2008. Minorités religieuses. pp. 113-133; doi : 10.3406/anami.2008.7212 http://www.persee.fr/doc/anami_0003-4398_2008_num_120_261_7212 Document généré le 14/03/2016 Des noms comme ceux de Rondelet, André Thévet, Nicolas de Nicolay, Pierre Belon du Mans, évoquent tous un domaine particulier au lecteur passionné par les œuvres des humanistes français, qu’il s’agisse d’éthologie, de récits de voyage ou de missions diplomatiques. Celui de Pierre Gilles est en revanche très peu connu de ces mêmes érudits, malgré la richesse d’une expérience unique. L’Albigeois de naissance a fait l’objet de plusieurs articles1, mais son œuvre publiée n’a été ni traduite ni étudiée et il reste de grandes lacunes dans sa biographie. On connaît pourtant bien le souffle enthousiaste qui a animé le haut Languedoc dans cette période et donné naissance à ce véritable réseau qui reliait Boyssonné, Pac, les d’Estaing et les Daffis, Alain de Varènes, Dolet, Bunel, le président Minut… Cet humanisme littéraire sous influence italienne, gravitant autour de Toulouse, a fait l’objet en 2004 d’un colloque international. Du reste, Pierre Gilles d’Albi s’est intéressé à de nombreux domaines et la diversité de son travail reste à découvrir. Je laisserai volontairement de côté deux des ouvrages les plus connus de l’auteur, le De Bosphoro Thracio2, et la traduction de l’Histoire naturelle3 d’Élien. Dans le premier, l’auteur livre une description de Constantinople et des terres que baigne le Bosphore. Les obser- Coralie MIACHON* LES ŒUVRES D’UN HUMANISTE : PIERRE GILLES D’ALBI, AMOUREUX DU SAVOIR (1490-1556) Coralie Miachon est conservateur des bibliothèques et directrice de la Médiathèque du Pays de Flers. * Coralie Miachon, 9 rue du Collège, 61100 Flers. coralie.miachon@enssib.fr 1. HAMY (E.-T.), « Le père de la zoologie française, Pierre Gilles d’Albi », Toulouse, Privat, 1900. Aussi publié dans les Nouvelles Archives du Museum d’histoire naturelle, 4e série, tome XII, 1900 ; ainsi que dans la Revue des Pyrénées, tome XII, 1900. JOLIBOIS (E.), « Matériaux pour un dictionnaire généalogique et biographique », Annuaire du Tarn, 1887, p. CXLV. TAMIZEY de LARROQUE (P.), « Lettres inédites du Cardinal d’Armagnac », Paris, A. Claudin (ou Bordeaux, Ch. Lefebvre), 1874. Coll. Méridionale, tome V. 2. GILLES (P.), De Bosphoro Thracio. Annexe 1, n° 9. Pour toutes les références bibliogra- phiques des œuvres de Pierre Gilles citées dans l’article, se référer à l’annexe 1. 3. GILLES (P.), Ex Aeliani historia. Annexe 1, n° 6. MÉLANGES ET DOCUMENTS 114 CORALIE MIACHON (2) 4. PUJOL (V.), Pierre Gilles : le découvreur de l’Orient Byzantin, mémoire de maîtrise d’histoire sous la direction de DUCELLIER (A.), Université Toulouse-Le Mirail, 2001. 5. JACOB (C.), « Le voyage de Pierre Gilles et la tradition des géographes grecs mineurs », Voyager à la Renaissance, actes du colloque de Tours, 30 juin-13 juillet 1983, organisé par le Centre d’études supérieures de la Renaissance de Tours. Textes réunis par CEARD (J.) et MARGOLIN (J.-C.) et édités à Paris par Maisonneuve et Larose, 1987, p. 65-85. 6. Jacques Colin, né à Auxerre vers 1490, était lecteur et secrétaire de François Ier, qui lui accorda de nombreux bénéfices, dont l’abbaye de Saint-Ambroise de Bourges. Traducteur du Courtisan de Castiglione, il connut la disgrâce et quitta la cour puis mourut vers 1547. Gilles le prie d’intercéder auprès du roi en faveur de la ville de Marseille. 7. Sur Georges d’Armagnac (1500-1585), les écrits de Charles SAMARAN sont complétés par ceux de Nicole LEMAITRE, Le Rouergue flamboyant : le clergé et les fidéles du diocése de Rodez (1417-1563), Paris, Cerf, 1988. De la brillante carrière du prélat, on retiendra les quelques aspects qui éclairent le parcours de Pierre Gilles : l’évêché de Rodez en 1530, le poste d’ambassadeur du royaume de France à Venise de 1536 à 1538, puis à Rome de mars 1540 à 1545, la seconde mission à Rome de 1547 à 1549, puis deux autres plus tardives. Georges d’Armagnac fit copier pour sa bibliothèque de nombreux manuscrits grecs et latins, et avait en commun avec Gilles cet intérêt renaissant pour l’Orient byzantin qui poussera Gilles dans ses voyages méditerranéens les plus tardifs. La vaste correspondance de Georges d’Armagnac, dont une partie a été conservée, atteste des relations qu’il entretenait avec des lettrés comme Bandello, Guillaume Budé, Simon Grynoeus ou Jean de Pins. Certaines font mention de Gilles parfois envoyé comme émissaire et recommandé par le prélat auprès de ces illustres correspondants. Sur la perméabilité de ces cercles d’érudits, on peut également consulter Les échanges entre les universités européennes à la Renaissance, actes du colloque international de Valence, 15-18 mai 2002 (Société française d’étude du XVIe siècle, Association Renaissance-Humanisme-Réforme, éd. par Michel BIDEAUX et Marie-Madeleine FRAGONARD). 8. Précepteur de François Ier, puis évêque de Condom, François Molin aurait guidé et conseillé Gilles dans la rédaction de ses Discours à Charles Quint. vations de Gilles sur cette partie de l’Orient méditerranéen ont été l’objet d’étude d’un diplôme universitaire4 et d’un article5, mais le reste de son œuvre est resté inexploité. Dans le second, l’auteur traduit et commente une somme de naturaliste qui lui a donné le goût de la zoologie. Il a d’ailleurs rédigé une nomenclature des noms de poissons méditerranéens, dédiée à Jacques Colin6 et saluée pour sa précision. Gilles a réalisé cette enquête lors de ses voyages, en s’informant auprès des pêcheurs de diverses régions des noms qu’ils utilisaient. Les motivations de cet exil volontaire restent obscures, et le départ de Gilles intervient à une époque où voyager seul signifie risquer sa vie à chaque instant. Ce précepteur érudit est devenu à la fois traducteur, commentateur, polémiste en politique, mais aussi voyageur bibliophile, un peu géographe et un peu enquêteur, soldat par nécessité et naturaliste par goût. Né vers 1490 et mort en 1556, Gilles a fait ses premières études à Albi, mais il en est très tôt parti pour suivre son élève à peine plus âgé que lui, Georges d’Armagnac7, futur évêque de Rodez. Leur vie durant, les deux hommes n’ont jamais rompu ce lien oscillant entre une réelle amitié et une relation plus clien- téliste. Pierre Gilles, dont les origines sont encore à ce jour mal connues, a côtoyé des personnages illustres comme Lazare de Baïf, François Molin8, Jean (3) PIERRE GILLES D’ALBI 115 9. Jean de Pins, prélat, diplomate et humaniste français (1470-1537) mit à profit ses missions à Rome et à Venise pour acquérir de très nombreux manuscrits aujourd’hui conservés à la Bibliothèque Nationale de France. C’est d’ailleurs dans sa bibliothèque que Pierre Gilles aurait trouvé les commentaires de saint Théodoret « sur les douze petits prophètes » (Annexe 1, n° 5). 10. LESTRINGANT (F.), André Thévet, cosmographe des derniers Valois, Genève, Droz, 1991. 11. THEVET (A.), La Cosmographie Universelle…, Paris, chez G. Chaudière, 1575, livre VIII, ch. IX, t. II, f° 261. de Pins9, mais aussi Conrad Gesner ou encore Gabriel de Luetz, seigneur d’Aramon, l’ambassadeur itinérant du roi de France. Ses contacts fréquents avec des aventuriers comme Guillaume Postel et André Thévet, ou de grands bibliophiles comme Guillaume Budé sont attestés par de la correspondance et des journaux. Pierre Gilles a parcouru les rivages de l’est de l’Italie et porté une affection particulière à Venise, mais ses voyages lointains ne débutent que vers 1544. Il est alors âgé de plus de cinquante ans, et se lance dans l’aventure orientale. Onze ans auparavant, Gilles a publié, en tête d’un de ses ouvrages, une lettre adressée à François Ier, dans laquelle il exhorte le souverain à financer une expédition visant à rechercher des manuscrits anciens byzantins pour les rapporter en France. On ignore quelle fut la décision de François Ier, mais lorsque Gilles part en 1544, il considère comme sa mission de ramener en Europe d’anciens manuscrits, grecs de préférence. Jamais il ne fait allusion à un pèlerinage : son but est purement scientifique, son esprit ne s’occupe que d’observer la faune, la géographie et les vestiges de la civilisation byzantine. Un témoignage en particulier permet de penser que le roi a bel et bien envoyé Gilles en mission en Orient. Il s’agit d’un passage de La Cosmographie Universelle d’André Thévet10, cosmographe du roi, qui voyagea entre 1544 et 1547 avec Gilles. Voilà ce qu’il écrit au sujet de l’Albigeois : « Petrus Gillius, homme excellent de grand savoir, lequel pour la seule occasion de remarquer les choses les plus rares de ce même pays avait été envoyé avec bonne pension par ce grand roi François premier du nom, et pour faire amas entre ce peuple de quelques vieux livres grecs antiques et autres ; cet homme, dis-je, amateur de toute vertu, me voyant convoiteux des choses dignes d’être vues, me mena et associa le premier, moi qui n’étais qu’un simple philosophe, visiter ce pays et terre asiatique. Or, ès ruines de uploads/Litterature/ miachon-coralie-les-oeuvres-d-x27-un-humaniste-pierre-gilles-d-x27-albi.pdf

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