Adnés, Pierre. “Visions”. Dictionnaire de Spiritualité. Vol. 16. Paris: Beauche

Adnés, Pierre. “Visions”. Dictionnaire de Spiritualité. Vol. 16. Paris: Beauchesne, 1995. Colonnes, p. 949-1002. — Le mot vision désigne, à proprement parler, la perception du monde extérieur par l'organe de la vue, qui constitue un des « cinq sens » communément admis. Abstraitement, on l'appliquera à l'action de se représenter les choses en esprit ou à une façon particulière et personnelle de les concevoir. Dans le langage surtout religieux, qui seul intéresse ici, une vision est la manifestation sensible ou mentale de réalités tenues pour naturellement invisibles et insaisissables à l'homme dans les circonstances actuellement données. En fait, le terme de visions embrasse un ensemble de phénomènes de connaissance très variés, qu'on ne peut facilement ramener à un commun dénominateur si ce n'est par l'impression qu'ils donnent de venir d'ailleurs, d'un au-delà du sujet, lequel n'a pas le sentiment de les produire et d'y coopérer activement, mais de les recevoir gratuitement, comme un don, une faveur inattendue. Entre vision et rêve nocturne les anciens ne faisaient guère de distinction, car le songe, qui échappe au contrôle de la raison critique et de la volonté, leur paraissait pouvoir être porteur de communications divines. Voir art. Songes-rêves (DS, t. 14, col. 1054-66). Il y a, d'autre part, entre vision et poésie de grandes affinités. On parlera ainsi aujourd'hui de poètes visionnaires, et les visions religieuses relèvent souvent de la littérature. I. L'ANTIQUITÉ GRÉCO-ROMAINE Parler des visions est parler d'un fait universel, qui se retrouve dans toutes les cultures et toutes les religions : le bouddhisme, le taoïsme, l'Inde, l'islam et le soufisme, le judaïsme. Voir à ce propos les diverses contributions du Colloque sur Les visions mystiques (dans Nouvelles de l'Institut catholique de Paris, n. 1, février 1977). Mais du monde grec et romain il n'est en général guère question. Il a eu pourtant, lui aussi, ses visions, et c'est le milieu dans lequel le christianisme va se développer. Les plus vieilles traditions grecques affirment que les dieux apparaissent souvent dans l'histoire des humains. Ces apparitions divines ou « épiphanies » s'accompagnent parfois de phénomènes physiques : feux, nuées. Elles ont pour but de demander la fondation 950 d'un temple ou d'en préserver l'intégrité, ou encore de mettre les ennemis en fuite au cours d'une bataille (Marathon, Salamine…). Les « énergies » ou « vertus agissantes » des dieux s'y manifestent par des miracles (Ch. Picard, Theoi epiphaneis. Note sur les apparitions des dieux, dans Xénia, Hommage international à l'Université nationale de Grèce, Athènes, 1912, p. 67-84). Pour les Anciens, il n'y avait rien d'inouï à jouir de la vue d'un dieu, et c'était très désirable. A cet égard, « nulle époque ne semble avoir été plus crédule que les quatre premiers siècles de notre ère », écrit A.-J. Festugière (La révélation d'Hermès Trismégiste, t. 1, 2e éd., Paris, 1950, réimpr. 1989, p. 310). Il s'agit ici des païens (mais d'une certaine manière cela vaudrait également des chrétiens). La vision peut se produire au cours d'un songe, spécialement dans les lieux de culte où se pratiquait l'incubation, nom de l'acte religieux par lequel on provoquait durant le sommeil l'apparition d'une divinité, afin d'obtenir d'elle soit une révélation de l'avenir, soit une guérison. Ou bien alors le dieu guérissait instantanément le malade par un effet direct de sa volonté, ou bien il indiquait les remèdes à prendre, le régime à suivre. C'est principalement à Épidaure, dans le temple dédié à Asclépios, qu'on se livrait au rite de l'incubation, car celui-ci était, à sa façon, un dieu sauveur, guérissant les maux inguérissables à l'art humain. Mais la pratique existait dans d'autres nombreux sanctuaires (H. Lechat, art. Incubatio, dans le Dictionnaire des antiquités grecques et romaines de Daremberg-Saglio, t. 3, 1900, p. 458-60 ; H. Leclercq, art. Incubation, DACL, t. 7/1, 1926, col. 511-17 ; A. Taffin, Comment on rêvait dans les temples d'Esculape, dans Bulletin de l'Association G. Budé, 1960, p. 325-66). L'incubation a persisté dans le christianisme longtemps après la chute du paganisme. Seulement elle se fait à présent dans des églises. Ce sont les saints titulaires de ces églises qui apparaissent. Cf. art. Pèlerinages, DS, t. 12, col. 908. Mais la vision peut parfois avoir lieu au cours d'une extase. Un exemple caractéristique est le début du Poimandrès hermétique. « Un jour que j'avais commencé de réfléchir sur les êtres et que ma pensée s'en était allée planer dans les hauteurs tandis que mes sens corporels avaient été mis en ligature comme il arrive à ceux qu'accable un lourd sommeil (extase et sommeil sont souvent comparés)…, il me sembla que se présentait à moi un être d'une taille immense, au-delà de toute mesure définissable, qui m'appela par mon nom… » (Corpus Hermeticum I, 1, éd. A.D. Nock et A.-J. Festugière, coll. Budé, t. 1, Paris, 1945, p. 7). Un peu plus loin, l'extatique se met à voir d'abord une lumière, « sereine et joyeuse », puis une obscurité, « effrayante et sombre », roulée en spirales comme un serpent, d'où jaillit un cri inarticulé, pareil à « une voix de feu » (I, 4, p. 7-8). Enfin, la vision peut consister en une rencontre et un entretien avec un dieu, à l'état de veille et sans extase proprement dite. Typique de ce cas est le récit du médecin Thessalos, conservé dans un papyrus qu'a traduit et commenté A.-J. Festugière (L'expérience religieuse du médecin Thessalos, dans Revue Biblique, t. 48, 1939, p. 45- 77). Évoqué par un prêtre égyptien à l'aide de paroles magiques, Asclépios apparaît à Thessalos, « anéanti de corps et d'âme à la vue d'un spectacle si merveilleux, car nulle parole humaine ne saurait rendre les traits de ce visage ni la splendeur des ornements qui le paraient » (p. 62-63). Cf. A.-J. Festugière, La révélation d'Hermès Trismégiste, t. 1, ch. 3, La vision de Dieu, p. 45-66. 951 Le néo-platonicien Jamblique († v. 330 ap. J.-C.), qui enseignait à Alexandrie, décrit longuement dans Les mystères d'Égypte (éd. É. des Places, coll. Budé, Paris, 1966) les apparitions des êtres supérieurs (II, ch. 3) et les dons qu'elles apportent (ch. 6 et 9). Ces apparitions diffèrent les unes des autres. Celles des dieux « resplendissent dans la beauté de leur aspect, celles des archanges sont à la fois solennelles et tranquilles, plus douces sont celles des anges, celles des démons effrayantes » (II, 3, p. 80). Héliodore (3e s. ap. J.-C.) explique dans son roman Théagène et Chariclée, sous-titre des Éthiopiques (éd. J. Maillau, coll. Budé, Paris, 1935), que la forme humaine des êtres supérieurs dans leurs apparitions n'est en réalité qu'empruntée. « Quand les dieux et les demi-dieux… viennent vers nous…, ordinairement ils revêtent la forme humaine pour que leur ressemblance avec nous permette à notre imagination de les reconnaître plus aisément. Les profanes ne s'en rendent pas compte, mais un sage ne s'y trompe pas » (III, 13, 1-2, p. 115). Selon Plotin († V. 270 ap. J.-C.), qui enseigne à Rome tout en étant de formation alexandrine, les démons, pour apparaître, « revêtent des corps d'air et de feu ». Mais même alors, « leur nature doit être différente de ces corps ; un être pur ne s'unit pas immédiatement et complètement à un corps » (Ennéades III, 5, 6, 38-43, éd. É. Bréhier, coll. Budé, Paris, 1925, p. 82). Le paganisme tardif connaissait en effet les anges et les démons qui se façonnent des corps « aériens » afin de pouvoir se manifester. Cela deviendra un donné traditionnel de la théologie chrétienne. Impossible, toutefois, dans ces écrits de discerner la part de la fiction littéraire ou de la spéculation et celle de l'expérience psychologique authentique. Comment savoir où finit l'une et commence l'autre ? La vision dans l'Antiquité revêt d'ailleurs parfois la dignité d'un genre littéraire, qu'illustre le Songe de Scipion, passage célèbre du traité de la République de Cicéron, au 1er s. av. J.-C. (livre VI, IX, 9 à XXVI, 28, éd. E. Bréguet, coll. Budé, Paris, 1980, p. 103-18). Scipion l'Africain se présente la nuit et pendant son sommeil à son petit-fils Scipion Émilien, surnommé « le second Africain », futur destructeur de Carthage, l'instruit des secrets du monde, de la marche harmonieuse des corps célestes, de la nature et de l'immortalité de l'âme, et lui apprend la destinée glorieuse à laquelle il est appelé. Transporté en esprit dans la Voie lactée, celui-ci contemple d'en haut l'univers entier, et voit la terre si petite que l'empire romain y apparaît gros comme un point (VI, 16, p. 108-09). Cf. P. Boyancé, Études sur le Songe de Scipion, Essais d'histoire et de psychologie religieuses, Bordeaux-Paris, 1936 ; A.-J. Festugière, La révélation d'Hermès Trismégiste, t. 2, Le Dieu cosmique, 2e éd., Paris, 1950, réimpr. 1990, p. 441- 59 ; P. Courcelle, La postérité chrétienne du Songe de Scipion, dans Revue des Études latines, t. 36, 1958, p. 205-34. Moins connue est la fiction imaginée par l'empereur Julien, dit l'Apostat † 363, pour dépeindre l'itinéraire spirituel qui le ramena au culte des dieux. La scène se situe au flanc uploads/Litterature/ adnes-visions.pdf

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