LES ADOLESCENTS PARLENT DE LA PÉDAGOGIE FREINET na 14-15 COMPTE RENDU D'UN DÉBA
LES ADOLESCENTS PARLENT DE LA PÉDAGOGIE FREINET na 14-15 COMPTE RENDU D'UN DÉBAT PAR JEAN DUBROCA second degré 23 Ce dossier n'est que le premier d'une série qUI pa- raîtra au fil des mois et qui s'enrichira grâce a vous. Il a semblé intéressant de publier des conversations avec des adolescents, de tout âge et de tout milieu, de façon à donner aux éducateurs qui nous lisent une vision aussi exacte que possible des jeunes avec lesquels ils travaillent et que souvent, faute de temps, ils connaissent si maL Mais il est bien évident que la masse de débats, de textes libres ou d'entretiens que nous voyons surgir dans nos classes ne doit pas être laissée de côté et qu'elle constitue, au contraire, une prodigieuse source d'observations utiles à tous. Nous. souhaiterions donc que nos lecteurs nous fassent parvenir tous les documents qu'ils possèdent illustrant ces divers visages de l'adolescence que nous publierions ici régulièrement. Nous commençons par des témoignages portant sur la pédagogie Freinet, telle que l'ont vécue des jeunes de diverses classes et en diverses disciplines. Nous pensons que ce premier dialogue donnera le ton de ce que nous voudrions voir se développer et qu'il rendra service, non seulement à nos camarades pra- tiquant cette pédagogie, mais aussi à tous ceux qui veulent la défendre ou la promouvoir. 24 second degré no '4-15 LES ADOLESCENTS PARLENT DE LA PEDAGOGIE FREINET L'entretien dont vous alle~ lire le compte rendu s'est déroulé lors d'une rencontre organisée par le Groupe Girondin de l'Ecole Moderne le r 5 octobre r970' Il rassemblait: - une dou~aine d'adolescents et d'adolescentes ayant vécu pendant un ou deux ans des moments de péda- gogie Freinet dans diverses disciplines et dans diverses. classes (4e, 3e, re) d'enseignements classique et moderne, - une cinquantaine d'enseignants n'appartenant pas, pour la plupart, à l'ICEM. Cet entretien fut l'occasion de faire un bilan lucide à travers les questions qui furent posées, à la fois pour les éducateurs et pour les jeunes qui se retrouvaient généralement, en cette rentrée, dans des classes traditionnel- les. Nous avons, dans le compte rendu, conservé le style parlé de façon à ne pas trahir la pensée des interlocuteurs. Nous nous abstiendrons, pour l'ins- tant, de tout commentaire car, s'il s'agit de témoignages dégageant cer- taines lignes de force de la Pédagogie Freinet, il serait prématuré de géné- raliser les conclusions qui apparaissent, celles-ci devant être confrontées aux op1nlOns qui s'expriment dans d'au- no '4-15 tres entretiens que nous publierons sur ce sujet. LES DEBUTS: Question: Vous avez vécu une année dans une classe pratiquant la pédagogie Freinet, au main< dans une discipline. Pouvez-vous nous parler de cette ex- périence ? J.F. re (r) : Le plus difficile a été d'a- voir une t( ambiance » décontractée et allègre. Dans les classes précédentes le problème ne se posait pas du tout: on allait au cours, on n'avait aucun contact entre nous, on repartait ... La classe Freinet nous a permis de mieux nous connaître: c'est peut-être le plus important au début. G. 3e : Après avoir subi plusieurs années d'enseignement traditionnel et une certaine éducation dans la famille, il est très difficile de ne plus se censu- rer, enfin ... de s'exprimer. On a été habitué, de par l'enseignement que nous avons reçu, à refouler nos ins- tincts et ce qu'on avait à dire. Le plus dur a donc été de se livrer " à fond ». (1) Lire: J.F. l e: Jeune fille d'une classe de Première. G. 3e : Garçon d'une classe de Troisième. second degré 25 Question: Qu'est-ce qui vous y a aidés? G. 3" : D'abord ça a été le texte libre. Nous, qui avions été habitués à écrire sur des sujets et à qui on disait: « Vous écrivez ce que vous voulez, quand vdus le vouleZ )l, nous étions bloqués. Nous écrivions bien sûr, mais nous ne dépassions pas certaines limites. Puis nous sommes arrivés à nous livrer plus complètement dans nos opinions et même dans nos pro- blèmes personnels et cela nous a aidés à nous mieux comprendre entre nous. Question: Cette meilleure compréhen- sion vient-elle du texte libre ou de l'attitude du maître? G. 3" : Des deux ... Un professeur qui nous ferait faire des textes libres parce qu'il a entendu dire que ça existait mais qui n'irait pas plus loin, ne nous aiderait pas car il faut avoir confiance dans la personne qui va lire le texte libre. Mais pour briser le blocage qui existait au début, il faut aussi avoir confiance, non seule- ment dans le maître, mais aussi dans les autres élèves de la classe devant qui on va lire. Question: Il y a donc une adaptation nécessaire. Ce temps d'adaptation est-il long? Pensez-vous qu'il faille plusieurs années pour que la technique Freinet devienne, non seulement efficace, mais fructueuse? J.F. 4" : Ce temps dépend des élèves lorsqu'on commence en 4e. Ceux qui sont « renfermés » arrivent difficile- ment à se libérer en une année. J.F. l e ! Nous avons commencé en classe de première. Certains éléments, à cause de leur passé scolaire, n'ont pas pu s'adapter. Mais le texte libre 26 second deaN a permis de créer une « ambiance )) dans la classe. Toutefois il faut re- connaître que tout n'allait pas bien. C'était, par exemple, toujours les mêmes qui parlaient. Si tout le monde avait commencé plus tôt, il n'y aurait pas eu de silencieux. D'ailleurs, leur nombre a diminué considérablement au cours de l'année. La technique Freinet est déjà très valable pour aider les gens à parler. Question: Quelle est la durée de l'adap- tation? J.F. 1 " : On ne peut pas parler d'adap- tation complète. Il s'agit plutôt d'une évolution de chacun vers la liberté d'expression. Or, cette évolution est lente, et a-t-elle une fin? Question: Nous pensions aussi à adap- tation (( matérielle )) puisqu'on sort du cadre des choses imposées et d'une certaine régularité, parfois artificielle d'ailleurs. J.F. l e : Nous n'avons rencontré au- cune difficulté " matérielle )). Non ... Non, l'adaptation est d'ordre psycho- logique uniquement. Question: Avez-vous relevé des diffi- cultés dans le fonctionnement de vos classes ou dans votre propre adaptation? G. 3" : Une grosse difficulté de la classe est venue du passage de la méthode Freinet, qui n'est utilisée qu'une heure sur cinq, à la méthode ordinaire. Il faut alors, sans arrêt, faire face à une situation nouvelle. Pendant une heure on a droit de parler et puis après censure, rideau: il faut écouter le professeur et se taire. Cela nous a gênés car nous ne com- prenions pas pourquoi on pouvait s'exprimer pendant une heure et ne pas le faire ensuite. no 14.15 G. 3e : Si nous avons été genes, les professeurs qui appliquaient les mé- thodes traditionnelles l'ont été aussi. Car nous n'avons pas très bien accepté de nous plier à certaines formes de discipline autoritaire. Oui: il y a eu des problèmes dans ce domaine-là. G. 4e : Oui. C'était vrai chez nous aussi: c'est très dur de faire des exercices imposés après avoir fait une heure de pédagogie Freinet. Question: Cela vous a-t-il handicapés? J.F. le: Non ... Non car nous nous no 14-15 entendions très bien entre nous. Alors nous pouvions nous aider à supporter ce qui se passait. Et puis nous faisions « bloc » : c'était même parfois amu- sant ... Question: N'y a-t-il pas eu, inverse- ment, une attitude aidante envers d'au- tres professeurs? J.F. l e : Oui, eest arrivé. Mais c'est très difficile car bien souvent les professeurs refusent de discuter et de comprendre. Ils ont leur personnalité qui n'est souvent que de l'orgueil et ils ne veulent rien changer. second degré 27 Question: Mais n'est-ce pas là un constat d'échec car, si la méthode Freinet aboutit à un contrôle de sa personnalité à travers la liberté, elle doit fournir une possibilité de réagir de façon positive à des situations sem- blables à celle du professeur « imbu- vable )) ? En somme la méthode Freinet permet-elle de s'adapter à des situations dIfficiles? G. 3e : Tout dépend de la manière dont on considère la méthode Freinet. Si c'est un but ou si c'est un moyen. Moi, je crois que ' ct est un moyen. L'enseignement traditionnel a un rôle: nous intégrer à une société. Si nous voulons changer cette société, il faut aussi changer · les méthodes d'ensei- gnement. Question: Ce changement ne pourra se faire que lentement, avec beaucoup de continuité et de courage. La méthode Freinet permet-elle de fabriquer des « caractères )) qui pourront apporter leur pierre à un édifice long à se construire? Votre personnalité s'est-elle développée grâce à la pédagogie Freinet? J.F. 4e : Oui. Nous nous sommes trou- vés face à la vie. G. 3e : Nous avons pu confronter nos idées à celles du groupe et ainsi parvenir à les clarifier, à les consolider ou à les rejeter. On développe nos idées propres et notre personnalité, mais par rapport uploads/Litterature/ adolescents-parlen-pedag-freinet.pdf
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- Publié le Sep 16, 2022
- Catégorie Literature / Litté...
- Langue French
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