Le Roman du MA au XXIe siècle Honoré de Balzac, La Peau de Chagrin, 1831 AL1 L’
Le Roman du MA au XXIe siècle Honoré de Balzac, La Peau de Chagrin, 1831 AL1 L’incipit La Peau de Chagrin est un roman publié par Honoré de Balzac en 1831 qui tient à la fois du conte fantastique et de l’étude sociale et philosophique. Balzac y montre la désorientation de la société française au début de la Monarchie de Juillet, la destruction de l’énergie vitale d’un personnage en perte de repères sous l’influence d’une mystérieuse peau magique qui exauce les souhaits. Nous sommes ici à l’incipit du roman. Il y est question du rituel de la rentrée dans une maison de jeu de l’époque. L’identité du personnage central n’est toujours pas révélée ; par contre le narrateur est bien présent dans son texte à travers ses multiples interventions. 5 10 15 Vers la fin du mois d'octobre dernier, un jeune homme entra dans le Palais-Royal au moment où les maisons de jeu s'ouvraient, conformément à la loi qui protège une passion essentiellement imposable. Sans trop hésiter, il monta l'escalier du tripot désigné sous le nom de numéro 36. − Monsieur, votre chapeau, s'il vous plaît ? lui cria d'une voix sèche et grondeuse un petit vieillard blême, accroupi dans l'ombre, protégé par une barricade, et qui se leva soudain en montrant une figure moulée sur un type ignoble. Quand vous entrez dans une maison de jeu, la loi commence par vous dépouiller de votre chapeau. Est-ce une parabole évangélique et providentielle ? N'est-ce pas plutôt une manière de conclure un contrat infernal avec vous en exigeant je ne sais quel gage ? Serait-ce pour vous obliger à garder un maintien respectueux devant ceux qui vont gagner votre argent ? Est-ce la police, tapie dans tous les égouts sociaux, qui tient à savoir le nom de votre chapelier ou le vôtre, et si vous l'avez inscrit sur la coiffe ? Est-ce, enfin, pour prendre la mesure de votre crâne et dresser une statistique instructive sur la capacité cérébrale des joueurs ? Sur ce point, l'administration garde un silence complet. Mais, sachez-le bien, à peine avez-vous fait un pas vers le tapis vert, déjà votre chapeau ne vous appartient pas plus que vous ne vous appartenez à vous-même : vous êtes au jeu, vous, votre fortune, votre coiffe, votre canne et votre manteau. En quoi cet incipit annonce-t-il une œuvre déconcertante prenant acte de la destruction de l’ancienne littérature pour mieux créer un nouveau rapport au lecteur ? (toute reformulation plus simple est certes acceptée) Dans les trois premiers paragraphes (l. 1 à 9), Balzac propose au lecteur une œuvre complexe et insaisissable puisqu’elle est à la fois réaliste et fantastique, novatrice et satirique ; puis il propose dans le dernier paragraphe (l. 10 à 19) un véritable jeu au lecteur. Il le plonge lui-même dans l’univers fictionnel décrit et mêle les tons, les références, les codes littéraires. I- Nous entrons d’abord (l. 1 à 9) dans un incipit troublant entre réaliste et fantastique, récit traditionnel et critique politique. La première phrase du roman nous plonge apparemment dans un univers profondément réaliste, le Paris de 1830. Le roman commence de façon assez traditionnelle en délivrant des informations spatio-temporelles « À la fin du mois d’octobre dernier », « dans le Palais-Royal ». Balzac semble également reprendre un héros traditionnel. Le personnage principal est « un jeune homme » très peu caractérisé. Il agit « Sans trop hésiter », signe de détermination et cela le rapproche bien du personnage type du roman d’apprentissage. L’indéfini « un » (dans « un jeune homme ») permet d’entretenir le mystère et de susciter ainsi l’intérêt du lecteur. Par ailleurs, les verbes au PS dont il est le sujet « entra », « monta » révèlent ses déplacements et confèrent du dynamisme à cet incipit in medias res. Le lecteur, qui suit les pas du personnage, entre à son tour dans le roman. Mais quelques éléments novateurs et critiques s’insinuent dans cette description réaliste. - D’abord Balzac pousse le réalisme très loin, beaucoup plus loin que ne le font les romans de l’époque, par la précision de l’enracinement dans le Paris de l’époque : le narrateur précise le « numéro 36 » du tripot par exemple et surtout par le rapprochement entre le temps des évènements racontés « octobre 1830 » et le temps de l’écriture puisque le roman est publié en 1831 alors qu’il a été écrit probablement en 1830 lui-même. - Plus encore, le narrateur suggère en même temps un certain rapport au lecteur. L’adjectif « dernier » dans « le mois d’octobre dernier » fonctionne comme un déictique (= il prend son sens par rapport à la situation d’énonciation du narrateur). Le narrateur suggère en même temps que son propre temps coïncide avec celui du lecteur puisqu’ils ont un repère temporel commun. C’est bien sûr un leurre : lorsque nous lisons ce texte aujourd’hui, nous savons bien qu’« octobre dernier » renvoie à octobre 1830. Mais cette indication crée tout de même un rapprochement, une complicité avec le lecteur. On remarque aussi un jeu stylistique. En effet, tout en affectant d’adopter la phraséologie juridique « conformément à la loi qui protège une passion essentiellement imposable », le narrateur exprime une critique sévère contre le nouveau régime de la monarchie de Juillet, régime avide et immoral. - L’adjectif « imposable » est accentué par l’adverbe modalisateur « essentiellement » : le gouvernement autorise voire encourage le jeu – qui détruit pourtant les joueurs et les réduit à la misère – parce qu’il y trouve un intérêt financier (il récupère, par l’impôt, une partie des sommes jouées). - Il est vrai que la révolution de Juillet 1830 qui a mis fin à la Restauration n’est à aucun moment mentionnée ; toutefois cet évènement hante le texte. Le choix du Palais-Royal par exemple, qui appartient historiquement à la maison d’Orléans qui succède aux Bourbons sur le trône est une allusion détournée au nouveau régime. Le choix de commencer ce roman dans ce lieu et surtout dans une maison de jeu, un tripot, est hautement symbolique. Balzac associe immédiatement l’argent et la débauche au nouveau régime. En deux phrases, nous sommes donc plongés dans un univers réaliste, une actualité brûlante par un narrateur ironique qui joue avec les références. Or dans le paragraphe suivant, nous basculons presque dans le fantastique. Nous entendons résonner « une voix sèche et grondeuse » rapportée au discours direct. - L’interrogation et l’apostrophe donnent au récit une vivacité qui réveille le lecteur et capte son attention. - Nous avons alors un personnage inquiétant, presque inhumain qui surgit face à nous « un petit vieillard blême ». Les trois termes connotent la maladie, la mort, la disparition. Sa voix « sèche et grondeuse » semble minérale, inhumaine. Il est « accroupi dans l’ombre », il se tient donc davantage comme une bête plutôt que comme un homme. Le choix de l’ombre donne également au vieillard une connotation démoniaque, maléfique. Or son apparition à la lumière est encore plus effrayante puisque le narrateur évoque « une figure moulée sur un type ignoble », faisant du visage de cet homme une figure horrible, contre nature. - Mais là encore, alors que le roman frôle le fantastique, le « petit vieillard » pouvant être pris comme une incarnation du diable, il sera plus loin l’incarnation du jeu - Enfin, l’allusion discrète à « la barricade » qui le protège, peut être une référence implicite aux barricades de la Révolution. Le romancier semble donc se plaire à nous tenir sur une frontière instable. S’agit-il d’un roman réaliste, politique, historique ou bien fantastique ? II- Dans la deuxième partie de ce texte (l. 10 à 19), le narrateur s’adresse directement au lecteur et propose une digression sur les maisons de jeu. Il interrompt donc son récit pour s’interroger sur la règle qui exige du joueur qu’il laisse son chapeau au vestiaire en entrant. Il interpelle constamment le lecteur à travers de multiples interrogations et l’emploi du pronom « vous » et des marques de deuxième personne : « Quand vous entrez dans une maison de jeu, la loi commence par vous dépouiller de votre chapeau ». Le présent donne à cette observation un caractère incontestable, universel. Le narrateur semble quitter le domaine de la fiction pour parler du monde réel ou bien en tout cas, il brouille les frontières entre ces deux univers. La « loi », de par sa fonction de sujet grammatical, est ouvertement accusée de vol « vous dépouiller ». Le verbe « commence » sous-entend que l’acte criminel se poursuivra et ne fera que s’accentuer. Le narrateur s’interroge par la suite sur les raisons de cette loi et propose cinq hypothèses : Les deux premières sont d’ordre moral et religieux mais elles sont formulées dans deux sens opposés « Est-ce une parabole évangélique et providentielle ? N’est -ce pas plutôt une manière de conclure un contrat infernal avec vous uploads/Litterature/ al1-incipit-la-peau-de-chagrin.pdf
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Gratuit pour un usage personnel Attribution requise- Détails
- Publié le Mar 23, 2022
- Catégorie Literature / Litté...
- Langue French
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