Lucien Solari UN ETE AVEC MOBY DICK OU COMMENT DEPUIS UN CERTAIN MOIS D’AOUT JE
Lucien Solari UN ETE AVEC MOBY DICK OU COMMENT DEPUIS UN CERTAIN MOIS D’AOUT JE VOIS CE FICHU CACHALOT PARTOUT INTRODUCTION Pourquoi et à quel point j’appréhendais la lecture d’un roman de neuf cents pages sur la chasse à la baleine Je ne crois pas être un très bon lecteur. Ce que je veux dire par là, c’est que j’aime lire plus que j’aime faire beaucoup de choses ; je pourrais y passer mes journées, pour peu que je choisisse mes lectures et que j’aille à mon rythme, mais quand il s’agit de lire des œuvres imposées, en un temps imparti, les choses se compliquent quelque peu. Quand le cas se présente, j’ai toujours l’impression 1. Que je n’arriverai jamais à bout de l’œuvre en temps voulu 2. Qu’à accélérer mon rythme de lecture, je passe à côté de ce qui fait la force de l’œuvre 3. Que pendant tout ce temps, je pourrais lire beaucoup des livres qui sont posés sur cette étagère depuis déjà trop de semaines (parce que oui, je fais partie de ces gens, ces acheteurs littéraires compulsifs, qui se procurent bien plus de livres qu’ils n’en lisent). Tout ça pour dire que, quand il avait fallu, l’années dernière, lire Du côté de chez Swann en moins d’un mois, j’avais eu un peu de mal. Je parcourais les pages sans vraiment les lire. Les lettres agencées formaient bel et bien des mots, ces mots avaient bel et bien un sens, et ce sens, je crois, me parvenait encore. Mais le sens des interminables phrases que formaient ces mêmes mots mis les uns après les autres, lui, m’échappait totalement. Je n’avançais pas dans ma lecture, le passage étudié en cours était systématiquement bien plus loin que le dernier que j’avais lu. Pourtant j’arrivais à percevoir la qualité de l’écriture de Marcel Proust, seulement voilà, je gâchais ma découverte du roman, si bien que je crois même ne pas l’avoir entièrement terminé, persuadé qu’il valait mieux y revenir plus tard, dans quelques mois, voire dans quelques années. Alors effectivement, quand j’ai appris que l’année d’après nous allions étudier Moby Dick de Melville, et quand j’ai vu l’épaisseur du cachalot, je n’étais pas particulièrement rassuré. Je cherchais à retarder le plus possible la lecture de l’œuvre, mais tout semblait chercher à me rappeler que mon temps était compté. Je me souviens de ce jour de Mai où nous sommes allé voir avec M. le dernier film de Jim Jarmush au cinéma : The Dead don’t die (qui était une assez importante déception soit dit en passant). Dans le film, le personnage de Tom Waits, une espèce d’homme de la forêt, tombe sur un exemplaire du célèbre roman de Melville, comme pour nous rappeler à M. et à moi ce qui nous attendait. J’étais de retour dans la ville de mes parents pour l’été, où je travaillais les deux mois dans une école de surf, et je profitais en effet d’un jour de congé pour passer la journée à Bordeaux avec M., dont c’était l’anniversaire quelques jours plus tôt. Comme j’étais arrivé assez tôt et qu’elle n’était libre qu’un peu plus tard, j’en avais alors profité pour effectuer un bref passage dans ma librairie favorite (La Machine à lire, place du Parlement), afin de me procurer Moby Dick dans l’édition demandée. Ce n’est que début août que je me décide enfin à entamer l’œuvre, en essayant de relativiser sa taille de la manière suivante : le roman est composé de 135 chapitres, et je voudrais l’avoir terminé avant la rentrée, début septembre, donc dans un mois. Si l’on divise 135 par 30, on obtient 4,5. Les chapitres sont pour beaucoup très courts, il est donc aisé de lire entre 4 et 5 chapitres par jours. C’est alors avec ce très précis programme de lecture que j’entame ce qui est pour beaucoup le plus grand roman de l’histoire de la littérature américaine. Une dernière chose importante à savoir est que j’ai lu presque l’intégralité du roman sur mon lieu de travail, n’ayant que peu de choses à faire, et que je me suis autorisé quelques pauses dans mon parcours baleinier afin d’avancer dans mes lectures personnelles. I Ah ! c’était donc ça le « grand poisson » dans le livre de Jonas C’est donc avec beaucoup d’appréhensions que j’ouvre pour la toute première fois Moby Dick. Le volume s’ouvre avec une courte biographie de l’auteur, que je décide de ne pas lire. Je ne lis jamais les biographies et autres préfaces. Non pas que je les trouve inintéressante, simplement que j’aime rentrer directement dans le vif du sujet et commencer un livre sans à priori, le commencer vraiment par ce que l’auteur a établi comme en étant le commencement. Je passe donc cette biographie, et me retrouve face à un point d’étymologie. Toujours dans ma démarche de ne lire que l’essentiel, je me demande si ces pages font parties à part entière du roman de Melville, ou si elles constituent une sorte de commentaire de l’œuvre. Je me rends alors à la table située page 927, et me rends compte que ce point d’étymologie y est bien indiqué, suivi même de quelques pages remplies de citations. Autant dire que tout cela n’est pas pour rendre ma plongée dans l’œuvre plus enthousiaste. Finalement, ce point d’étymologie est plutôt bienvenu. Je m’aperçois avec étonnement que le sujet baleinier peut potentiellement m’intéresser. C’est donc un peu soulagé que je passe aux pages suivantes : les citations. Jamais je n’aurais imaginé que les cétacés tenaient une telle place dans la littérature, et même dans la culture de manière générale. Déjà, je ne m’étais jamais représenté le monstre marin du Livre de Jonas comme un cachalot. De même pour le Léviathan. Finalement c’est une évidence : quel autre animal marin aurait pu inspirer aux hommes de telles créatures ? Le moins que l’on puisse dire, c’est que ces citations m’avaient mises dans l’ambiance : cette accumulation de cétacés sur plus d’une quinzaine de pages avait créé chez moi une sorte de sentiment d’obsession. La baleine était intimement liée à l’homme, plus que pouvait l’être n’importe lequel des animaux. Je crois que j’étais désormais prêt à suivre un récit de 135 chapitres sur la chasse de cette dernière. II « Aujourd’hui, maman est morte. » Enfin, on entre dans le vif du sujet. Le premier chapitre de Moby Dick, intitulé « Miroitements » - ou « Loomings » en anglais, et j’avoue ne pas du tout avoir saisi le sens de ce titre avant de commencer l’étude du roman en cours - s’ouvre sur cette phrase : « Appelons-moi Ismahel », ou, pour faire honneur à la version originale « Call me Ismahel ». Je suis sûr d’avoir déjà entendu cette phrase quelque part. Je fais une petite pause dans ma lecture pour y réfléchir. Je n’ai pourtant pas souvenir d’avoir lu ou vu une autre œuvre dans laquelle Ismahel aurait été le nom d’un personnage. Où diable ai-je entendu cette phrase ? Impossible de m’en souvenir. Je continue alors ma lecture, me disant que je finirai bien par retrouver la mémoire. Aujourd’hui, j’ai terminé le roman depuis quelques mois déjà, et je ne peux toujours pas dire précisément où j’ai entendu cette phrase. Et pour cause : elle est partout. Moby Dick occupe une telle place dans la culture américaine que les références au roman de Melville se sont glissées dans une quantité astronomiques d’œuvres populaires. Je connaissais évidement le personnage d’Achab, je savais qu’il avait une jambe en ivoire, une cicatrice, qu’il était obsédé par la baleine blanche, qui était la cause de la perte de sa jambe, mais je connaissais aussi, sans le savoir, l’incipit. « Call me Ismahel. ». Cette phrase, toute simple, cet incipit in media res, est tout simplement à la littérature, et donc à la culture américaine, ce que la phrase, l’incipit in media res « Aujourd’hui, maman est morte. » est à la littérature, et donc à la culture française. Si j’ai mis du temps à comprendre comment je connaissais ces trois mots, les américains n’ont pas ce problème. Le simple nom d’Ismahel leur évoque le narrateur du roman de Melville presque plus que le fils d’Abraham. Les auteurs de séries, de films, de bande-dessinées, de romans américains peuvent se permettre de multiplier les références à Moby Dick, car ils seront toujours sûrs d’être compris de leur public. III Deux baleiniers ami-ami J’achève ma lecture du premier chapitre du roman. Je suis frappé par le style de Melville, ou du moins de la traduction d’Armel Guerne. Les raisons qui poussent Ismahel à prendre la mer sont décrites avec une poésie qui me touche tout particulièrement. L’aventure marine. Une alternative au suicide. Je n’avais jamais vu les choses sous cet angle. Mon emploi saisonnier m’oblige à être en contact direct avec l’océan. J’ai grandis au bord de cet océan. Je crois que c’est à ce moment que je comprends que, tout compte fait, la lecture de ce roman de 900 uploads/Litterature/ un-ete-avec-md.pdf
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- Publié le Oct 19, 2022
- Catégorie Literature / Litté...
- Langue French
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