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Alain Viala Stylistique et sociologie : Classe de postures In: Revue belge de philologie et d'histoire. Tome 71 fasc. 3, 1993. Langues et littératures modernes — Moderne taal- en letterkunde. pp. 615-624. Citer ce document / Cite this document : Viala Alain. Stylistique et sociologie : Classe de postures. In: Revue belge de philologie et d'histoire. Tome 71 fasc. 3, 1993. Langues et littératures modernes — Moderne taal- en letterkunde. pp. 615-624. doi : 10.3406/rbph.1993.3893 http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/rbph_0035-0818_1993_num_71_3_3893 Stylistique et sociologie : Classes de postures. Alain Viala Sociologie et questions de style ont partie liée : évidence. Au point que le terme de style tend à prendre place dans le discours commun sur la chose sociale : styles vestimentaires, styles de vie, bien sûr, ou encore d'habitat, ou de comportement, dont les sociologues font un objet et un moyen de description des pratiques (*). Il y aurait large matière à discussions ; mais ici nous ne parlerons que de littérature, et c'est déjà beaucoup. On y admettra sans peine que, face à la formule traditionnelle (mais point fausse en un sens) selon laquelle « le style, c'est l'homme », une inverse est possible et tout aussi justifiée : « le style, c'est du social », entendant ainsi que les manières d'écrire répondent à des facteurs collectifs (soit à peu près, même si la notion serait à retravailler sensiblement, ce que Barthes appelait « écriture »). Ce caractère collectif est aisé à percevoir, qu'il soit revendiqué, comme les romantiques le faisaient avec leur « bonnet rouge au dictionnaire », ou construit après coup, comme pour le baroque par exemple. Reste qu'il y a là une immense part de flou. Aussi, sur une telle question, un ample panorama de l'existant serait utile à coup sûr. Ce n'est pourtant pas ce que je me propose ici : les réflexions me semblent loin d'être parvenues à un suffisant degré de maturation pour que le panorama savant les fasse progresser effectivement ; en revanche, les lumières plus focalisées sur quelques expériences ou exemples peuvent avoir, en l'instant présent, plus d'utilité. Les quelques pages qui suivent évoquent donc deux entreprises récentes, encore partiellement en cours, mettant en jeu la question des rapports entre données sociales et données formelles en littérature. Ces deux séries de travaux seront brièvement présentées, avec indication de leurs principales conclusions, ou au moins hypothèses ou problématiques. De là adviendront quelques propositions pour des avancées possibles des liens entre stylistique et sociologie à propos de la littérature. 1 . Une première expérience de recherche qui peut être ici évoquée à propos concerne un travail sur Le Clézio, récemment achevé. Il s'agissait d'une expérience au sens propre. Elle consistait en ce que deux chercheurs, chacun avec leurs séminaires, abordent un même texte, l'un du côté de la stylistique, l'autre du côté de (1) Ainsi par exemple, pour n'évoquer qu'un cas récent, R. Establet et G. Felouzis, dans leur étude Livre et télévision : concurrence ou interaction ? (Paris : PUF, 1992), utilisent pour décrire les attitudes en face de ces deux médias la notion de « style »(pp. 86 sqq.). À noter aussi que c'était au nom de la recherche d'un « style » que Greimas, à ses débuts, a été frappé par Le Moyen Âge fantastique de Baltrusaïtis : voir le compte rendu qu'il en fit en 1956, édité en français dans Lettres actuelles, 1 (printemps 1993). 616 ALAIN VIALA la sociologie littéraire. Le but étant de tester les rapports de convergences ou divergences des deux démarches, chaque part de l'investigation était d'abord menée séparément. Les résultats obtenus par l'un et l'autre ont été ensuite confrontés, c'est-à-dire au sens propre : mis en regard, en face à face (2). L'ouvrage choisi pour matière de l'expérience devait répondre à quelques critères : il devait ne pas être situé dans les zones historiques ou génériques usuellement fréquentées par les deux expérimentateurs, ou par l'un ou l'autre ; il devait, d'autre part, consister en un ou des textes assez courts pour que l'analyse en soit menée et exposée par le menu. C'est ainsi que fut choisi le recueil de nouvelles de Le Clézio intitulé La Ronde et autres faits divers (3). Pour ce qui est des résultats, comme il serait trop long d'exposer les divergences constatées et peu signifiant de résumer les cas de convergences ou de complémentarités, je me bornerai à évoquer trois aspects mis en jeu par l'un et l'autre au fil des explorations. L'un réside dans la caractérisation de ce que l'on peut entendre par « modernité » en littérature. Un autre, plus « technique », réside dans le constat convergent de l'importance capitale dans ces nouvelles des effets de « style indirect libre » explicites ou implicites. Le troisième enfin, et peut-être le plus important pour le présent propos, tient à une égale préoccupation, affirmée dans le fil de l'analyse, pour le rôle textuel joué par le destinataire, pour, disons en termes simples, l'inscription du destinataire dans le texte. À partir de cela, je spécifierai un peu davantage trois exemples portant sur des micro-structures textuelles. Le premier reprend la question du « style indirect ». À divers endroits de son texte, Le Clézio intègre des fragments dont l'émetteur n'est pas nettement identifié. De sorte qu'il crée pour le lecteur une indécision sur le statut énonciatif, mêlant sans transition des propos qui appartiennent au narrateur, d'autres qui sont dans les pensées des personnages. Ainsi, dans la nouvelle intitulée La Grande Vie, dans une séquence où les deux protagonistes font halte sur une plage, advient dans le récit un « peut-être » qui, syntaxiquement, peut relever du narrateur jusque-là détenteur de la parole, ou aussi bien, sémantiquement, d'une des protagonistes dont les pensées envahiraient alors le récit. Ce procédé, on le voit, n'a en soi rien d'extraordinaire, mais il fonctionne bien comme un marqueur stylistique, et comme une source d'effet. Quel effet ? Pour envisager une telle question, je ferai intervenir un second cas de micro- structure du signifiant : les titres. Dans le recueil de Le Clézio, certains titres offrent des ambivalences nettement repérables. Ainsi, une nouvelle s'intitule Ariane, sans qu'il y soit question ni du personnage mythologique — ni du Minotaure — , ni de la fusée, ni même d'un personnage féminin qui porterait ce prénom. En revanche, on découvre progressivement, à la lecture, que le récit se déroule dans le cadre des cités HLM édifiées dans le vallon de la périphérie de Nice (2) G. Molinie et A. Viala, Approches de la réception : sémiostylistique et sociopoétique de nouvelles de Le Clézio (Paris : PUF, 1993). (3) Le Clézio (JMG), La Ronde et autres faits divers (Paris : Gallimard, 1984, « Le Chemin ») a été réédité en 1988 en « Folio ». CLASSES DE POSTURES 617 appelé le quartier de L'Ariane. Jeu d'ambiguïté donc. Lequel instaure des corrélations en deux directions. L'une, qui est celle des effets d'ambiguïté dans les voix narratives évoqués ci-dessus. L'autre qui est celle du micro-système que forment les titres du recueil. On y trouve, en effet, d'autres cas relevant d'un même procédé, mais avec des dosages différents d'effets. Une nouvelle s'intitule David, et cette fois, il s'agit bien du prénom du petit garçon qui en est le protagoniste. Mais ce même petit garçon sait, le texte le dit, que son prénom est celui d'un personnage de la mythologie judéo-chrétienne, et à un moment il s'inspire (ramassant des pierres pour combattre les « grands ») du modèle que son nom lui a ainsi assigné. Une autre nouvelle porte pour titre, elle, Moloch : et dans son cas la référence au mythe repose tout entière sur la compréhension que le lecteur aura, ou non des relations possibles, selon qu'il connaîtra, ou non, le mythe de Moloch. Ne détaillons pas plus, et n'allongeons pas les évocations d'exemples : le principal est de discerner là que le recueil construit un espace où l'ambiguïté fonctionne, et fonctionne comme un moyen de signaler, par des choix de signifiants, une indécision qui ouvre la voie à une dimension mythique. D'où — troisième micro-structure convoquée ici — une mise en perspective du genre pratiqué. Le recueil s'annonce comme La Ronde et autres faits-divers, et désigne son registre générique comme celui des Nouvelles. De la nouvelle au fait divers, on voit sans peine et la proximité formelle, et la distinction essentielle : là où le fait divers instaure pour cadre de référence le réfèrent vrai, et l'écriture de la relation journalistique, la nouvelle, marquant l'entrée en littérarité, implique l'ouverture vers d'autres possibles. L'indécision instaurée par la syntaxe narrative et la titulature prend alors effet de faille dans le code du réel, par laquelle peut advenir du fantastique. Ainsi Ariane relate bien un fait divers : dans la cité HLM de L'Ariane, un jour férié de printemps, une jeune fille traîne seule, un peu trop tard, un peu trop longtemps ; elle est soudain surprise et agressée par un bande de voyous, qui l'entraînent dans les souterrains — pardon : les caves — de la cité, et uploads/Litterature/ alain-viala-stylistique-et-sociologie-classe-de-postures.pdf

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