1 La formation du Pentateuque selon l'exégèse historico-critique L'exégèse hist

1 La formation du Pentateuque selon l'exégèse historico-critique L'exégèse historico-critique et l'exégèse juive traditionnelle ont un présupposé en commun: pour les deux types d'approche, la Torah, le Pentateuque constitue la pierre angulaire dont dépend la compréhension du "reste", à savoir la deuxième et de la troisième partie de la Bible hébraïque ("Prophètes" et "Ecrits"), mais aussi de la conception de l'histoire de la Révélation, ou pour parler avec la terminologie de l'exégèse critique: l'évolution des conceptions religieuses dans l'Israël ancien. Pour l'exégèse historico-critique il est alors indispensable de posséder une théorie performante pour expliquer le devenir des cinq premiers livres de la Bible. Au début de ce siècle une telle théorie fut élaborée, qui avait presque reçu dans la suite le statut de certitude. Or, depuis une vingtaine d'années, ces certitudes se sont effondrées auprès de la plupart des exégètes. Les mises en question diverses de l'ancien consensus ont obligé la recherche biblique scientifique de se renouveler et de s'interroger sur ses présupposés idéologiques. La vision nouvelle concernant la naissance du Pentateuque, qui semble actuellement se profiler chez certains exégètes, implique un déplacement radical dans l'explication de l'ancien consensus. Pour saisir l'enjeu de ce déplacement une brève histoire de la recherche s'impose1. Les débuts de l'exégèse critique La question de l'auteur Le Pentateuque, dans une perspective chrétienne, se caractérise comme une œuvre narrative relatant l'origine du monde et du peuple hébreu jusqu'à la veille de l'entrée en terre promise, veille qui coïncide avec la mort de Moïse. Pour le judaïsme, la Torah est avant tout un "enseignement", son centre étant constitué des différents codes législatifs dont les récits servent d'illustrations. Les textes narratifs sont de la littérature anonyme, non signée. Par contre, de nombreux textes législatifs, notamment le code deutéronomique et son introduction (Dt 1,1; 4,45 etc.), ainsi que le code de l'alliance (Ex 24,4) sont attribués à Moïse. C'est cette attribution de la Loi à Moïse qui a permis à la tradition juive et chrétienne d'en faire l'auteur de tout le Pentateuque (cf. Philon d'Alexandrie, De vita Mosis, I § 8; Flavius Josèphe, Ant. Prooem. 4 §18-26; Mc 12,26; 2 Cor 3,14, etc.). Même si l'idée d'une origine mosaïque de la Torah ne fut guère ouvertement contestée jusqu'au XVIII° siècle, quelques apories de cette conception se firent jour très tôt. Il y avait d'abord le récit de la mort de Moïse et de son enterrement par Dieu en Dt 34. Est-ce que l'on pouvait s'imaginer que Moïse lui-même eût décrit sa propre mort? Certains rabbins en doutaient, suggérant que les derniers versets du Pentateuque ont été ajoutés après coup par Josué, le successeur de Moïse (cf. Talmud bab. Baba Bathra 14b). Même si cette différenciation diachronique à l'intérieur du Pentateuque ne concernait que quelques versets, nous avons ici en quelque sorte l'origine de la critique littéraire2, dans la mesure où une observation de logique littéraire est utilisée pour postuler un devenir du texte. Les pères de l'Eglise défendent farouchement l'authenticité mosaïque du Pentateuque contre les critiques (notamment Origène, Contre Celse3), déclarés hérétiques par définition. En effet, dans le judaïsme comme dans le christianisme, mettre en doute l'attribution du Pentateuque à Moïse équivaut à une excommunication. Au Moyen Age, 1 Pour une histoire de la recherche plus détaillée, cf. A. de Pury & T. Römer, "Le Pentateuque en question. Position du problème et brève histoire de la recherche", in A. de Pury (éd.), Le Pentateuque en question, Genève, 1991, 2° éd., p. 9-80, et également R.N. Whybray, The Making of the Pentateuch (JSOT Suppl. 53), Sheffield, 1987. 2 Il s'agit ici de la "Literarkritik" allemande, méthode dont l'exégèse histori-critique se sert pour décéler les différentes couches à l'intérieur d'un document et qui se base sur des observations de logique interne, (rupture de) cohérence, etc. 3 Celui-ci considère, dans son Discours véritable, le Pentateuque comme "une histoire fort invraisemblable et grossière", composée par des juifs (IV, 36). 2 les savant juifs Issac ben Jesus et Ibn Esra dressent des listes des "post-mosaica", des textes qui ont dû être écrits à des moments plus tardifs de l'histoire d'Israël (p.expl. Gn 36,31 présuppose l'époque de la monarchie, Nb 22,1 désigne la Tansjordanie comme le pays au-dela du Jourdain, ce qui est en contradiction avec un Moïse écrivant en Transjordanie, etc.). Cependant, ils n'osent pas critiquer ouvertement la tradition reçue. Ce pas sera franchi dans le "tractatus theologico-politicus" du philosophe juif Spinoza (1670). Celui-ci observe que le Pentateuque forme avec les livres historiques (Jos à Rois) une unité organique et ne peut par conséquent être rédigé avant la fin du royaume de Juda (relatée en 2 Rois). Pour lui, le vrai auteur du Pentateuque est Esdras cherchant à donner une identité au peuple juif à l'époque perse. Une approche similaire se trouve chez Hobbes (Leviatan, 1651) et Simon (Histoire critique du Vieux Testament, 16784). Déjà en 1520, le théologien protestant Carlstadt avait, dans le contexte de la valorisation du texte hébreu par la Réforme, insisté sur le différences stylistiques entre les textes législatifs et les textes narratifs, et en avait conclu que Moïse ne pouvait être l'auteur des deux. La contestation de l'authenticité mosaïque du Pentateuque à l'époque des Lumières était clairement liée à un combat anticlerical ainsi qu'à un jugement de valeur. En effet, seule une origine mosaïque semblait garantir la valeur du Pentateuque, alors que la thèse d'une édition sous Esdras lui enlevait, pensait-on, non seulement toute crédibilité historique mais aussi toute portée théologique. L'acceptation de la diachronie et la question des sources En plus des anachronismes dont il a été question, ce fut la découverte des ruptures dans la logique littéraire qui amena les exégètes à se poser la question des sources à partir desquelles le Pentateuque aurait été constitué. Il y avait d'abord l'observation de nombreuses tensions, voire de contradictions, dans les textes du Pentateuque. Ainsi, selon Gn 7,15, Noé fait entrer dans l'arche une paire d'animaux de chaque espèce; par contre Gn 7,2 parle de sept paires. Selon Gn 4,26, l'humanité invoque le Dieu d'Israël sous son nom Yhwh5 dès les origines, tandis qu'en Ex 3,13ss, ce nom n'est révélé à Israël qu'au moment de la vocation de Moïse. Le comportement du Pharaon face aux plaies d'Egypte est expliqué de deux manières, selon Ex 7,3, p. expl., c'est Yhwh lui- même qui rend inflexible le cœur du roi d'Egypte, alors que d'autres textes insistent sur le fait que Pharaon lui-même endurcit son propre cœur (Ex 8,11 etc.). On constate également la présence de nombreux doublets. Le Pentateuque comporte deux récits de création (Gn 1,1-2,3; Gn 2,4-3,24), deux récits de conclusion d'alliance entre Dieu et Abraham (Gn 15 et 17), deux récits de l'expulsion de Hagar (Gn 16 et 21,9ss), deux récits de vocation de Moïse (Ex 3 et 6), deux versions du Décalogue (Ex 20 et Dt 5), etc. La revalorisation des langues bibliques au moment de la Réforme permettait de se rendre compte des différences de style, de vocabulaire et de syntaxe, différences qui ne permettaient guère de mantenir l'idée d'un seul auteur. Ce qui frappa surtout les esprits, c'était le recours variable dans les textes à "Yhwh" et à "Elohim" pour désigner le Dieu d'Israël. C'est à partir de ces deux noms différents que le pasteur et orientaliste allemand Witter et le français Jean Astruc, médecin de Louis XV et huguenot reconverti au catholicisme, élaborèrent, vers le milieu du XVIII° s., pour la première fois et chacun de manière indépendante, une théorie des sources du Pentateuque6. En 1753 Astruc publia les "Conjectures sur les mémoires originaux dont il paraoit que Moyse s'est servi pour composer le Livre de la Genèse". Son but était apologétique. Pour défendre l'authenticité mosaïque du Pentateuque, Astruc postulait que Moïse aurait eu à sa disposition deux documents principaux, le "mémoire A", utilisant le nom d'Elohim et débutant en Gn 1 et 4 Cf. J. Steinmann, Richard Simon et les origines de l'exégèse biblique, Paris, 1959. 5 Nous rendons le tétragramme par ses consonnes, étant donné le fait que la prononciation "Yahwéh" reste hypothétique. 6 Cf. A. Lods, "Un précurseur allemand d'Astruc, Henning Bernhard Witter", ZAW 42, 1925, pp. 134-135; R. de Vaux, "A propos du second centenaire d'Astruc. Refléxions sur l'état actuel de la critique du Pentateuque", SVT 1, 1953, pp.182-198. 3 le "mémoire B" caractérisé par l'empoi de "Yhwh" et commençant en Gn 2,4. Ainsi la première version d'une théorie documentaire était née, théorie qui allait profondément marquer l'exégèse historico-critique moderne. Soixante ans plus tard Goethe émit dans son "West-östlicher Divan" la théorie d'une trame narrative de base pour les livres d'Exode à Nombres. Ce fil narratif aurait été détérioré par une rédaction "extrêment triste et incompréhensible" qui aurait inséré de nombreuses lois obscures. Goethe poursuit, commentant la marche d'Israël dans le désert selon les textes d'Ex et de Nb: "On ne comprend pas pour quelle raison on se serait chargé pour une marche rencontrant tellement d'obstacles, avec du bagage religieux qui ne pouvait que rendre encore plus difficile toute avancée"7. Il convient de souligner que la prise en compte du problème uploads/Litterature/ formation-du-pentateuque-bible 1 .pdf

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