JOURNAL DES SAVANTS CHEVREUL 1 PREMIER ARTICLE. MAI 1851 Beaucoup de gens croie

JOURNAL DES SAVANTS CHEVREUL 1 PREMIER ARTICLE. MAI 1851 Beaucoup de gens croient qu’il n’y a plus d’alchimistes : le titre de cet article donne un dément! à cette opinion, dès lors on peut se demander comment il se fait que l’alchimie se soit propagée jusqu’à notre époque qu’on dit être peu favorable aux croyances, contraire aux préjugée et disposée à n’admettre que ce qui est positivement susceptible d’une démonstration? Cette question nous a déterminé à rendre compte d’un ouvrage qui, considéré absolument en lui-même, indépendamment de l’origine et de la propagation de l’alchimie, devrait être abandonné à l’oubli. Nous espérons lier ce que nous nous proposons de dire sur l’alchimie à nos articles sur l’histoire de la chimie, et, pour cela, dans cet article, nous passerons en revue les principaux auteurs alchimistes, et les personnes les plus connues dans l’histoire de l’art hermétique, puis nous traiterons de la question de savoir si l’idée de la transmutation des métaux communs en métaux précieux est absurde. § 1. REVUE DES PRINCIPAUX AUTEURS ALCHIMISTES ET DES PERSONNES LES PLUS CONNUES DANS L’HISTOIRE DE L’ART HERMÉTIQUE. Pour juger l’alchimie au point de vue théorique et au point de vue pratique, et en apprécier l’influence sur la marche de l’esprit humain, il faut, conformément à ce que nous avons dit dans ce journal (octobre 1849, page 595), reconnaître que la partie spéculative qui correspond à ce qu’on appelle la, théorie d’une science est tout à fait étrangère à la pratique de ses procédés, par la raison quelle dérive non de ces procédés, mais d’un vaste système d’idées qui comprend la science sacrée et profane de l’antiquité et du moyen âge ; nous disons sacrée et profane, parce que nous comprenons dans un même ensemble la religion chrétienne avec les autres religions de l’Orient, et, en outre, toutes les connaissances du domaine du raisonnement qui étaient présentées alors sous la forme dogmatique, et conformément à l’esprit de la méthode a priori. En définitive, aucune liaison réellement scientifique n’existait entre les procédés de l’art alchimique et sa partie spéculative, puisée dans le vaste système d’idées dont nous parlons ; mais cette partie spéculative inspirait d’autant plus d’estime, que l’origine en paraissait plus respectable : aussi la faisait-on remonter tantôt à des êtres divins ou sacrés, tantôt à des personnages de la plus haute antiquité, Les écrivains alchimistes ont assigné à leur art; une antiquité qu’il n’a pas, et la preuve en est dans leur dissentiment même sur l’époque à laquelle on doit en rapporter l’origine. Quelques- uns ont pensé que les procédés de transmutation des métaux avaient été communiqués aux mies des premiers hommes par des anges ou des démons, qui, épris de leur beauté, s’étaient servis de cette communication même comme d’un moyen de séduction ; il en est d’autres qui n’ont pas hésité attribuer à Tubalcaïn on à Vulcain l’invention de l’alchimie. On a prétendu aussi que la chimie remonta à Cham, fils de Noé, ou à son fils aîné Mezraïm (Osiris des Egyptiens), ou bien au fils de Mezraïm, Thot 1er (Athotis, Hermès ou Mercure), roi de Thèbes. On a prétendu encore que cette science se répandit peu à peu de l’Egypte dans le reste du monde, sous, le nom de chimie, d’art sacré, d’alchimie. 1 JOURNAL DES SAVANTS CHEVREUL 2 D’autres écrivains, en faisant remonter l’origine de la chimie ou des connaissances alchimiques à une époque moins reculée, ne motivent pas davantage leur opinion. Suivant eux, elle ne daterait que de XIX à XVII siècles avant J. C., au lieu de XXV à XXIV. Le roi Siphoas ou Thot II (Hermès, Mercure Trimégiste des Grecs), aurait découvert la chimie en même temps que toutes les autres sciences et les arts, C’est cette dernière opinion qui a compté le plus de partisans dans les premiers siècles du christianisme et le moyen âge, et c’est conformément à elle que tant d’écrits ont été attribués à ce personnage pour les recommander au respect des hommes. Les Arabes, en les traduisant du Grec dans leur langue, et en y ajoutant des commentaires, ont beaucoup contribué à en répandre la connaissance. . Pour rejeter l’opinion qui attribue à Thot 1er la découverte d’une science expérimentale, il suffit de réfléchir aux travaux nombreux sur lesquels une science quelconque repose, à la faiblesse de l’intelligence de l’homme et à la brièveté de sa vie. A plus forte raison rejettera-t- on l’opinion de ceux qui font honneur d’une telle découverte à Thot II, lequel serait encore, disent-ils, l’inventeur de l’écriture, de l’arithmétique, de la physique, de l’astronomie et des arts, Les ouvrages de chimie ou d’alchimie attribués à Hermès Trismégiste sont : La table d’émeraude ; Les sept chapitres ; Des poisons et de leurs antidotes ; Des pierres précieuses. La table d’émeraude est un écrit si vague, qu’on pourrait le prendre pour une allégorie absolument étrangère à l’alchimie, s’il n’était pas accompagné d’un commentaire attribué à un auteur qu’on désigne sous le nom d’Hortulain, le Jardinier, qui en développe un sens tout à fait hermétique, Hortulain passe pour avoir vécu au XIV e siècle. Les sept chapitres ont évidemment un sens tout à fait alchimique et d’accord en beaucoup de points avec le commentaire d’Hortulain. Nous allons rappeler les cents alchimiques les plus connus d’après l’ordre chronologique qu’on a assigné à leurs auteurs respectifs, afin de pouvoir citer ensuite les sources d’où nous déduirons des considérations générales sur les principales idées spéculatives auxquelles les alchimistes se sont livrés. On a attribué des livres alchimiques à un Mède du nom d’Ostanès, que l’on a prétendu avoir été un élève de Sophar le persan qui aurait vécu 540 avant J.C., mais il est plus vraisemblable qu’un Ostanès égyptien, qui vivait au V e siècle de notre ère, en est l’auteur. On a attribué à un prêtre païen nommé Jean un manuscrit alchimique écrit en langue grecque. Démocrite d’Abdère passe pour être l’auteur d’un manuscrit ; grec alchimique on suppose qu’étant à Memphis il rencontra une juive nommée Marie qui s’occupait d’alchimie avec succès. Cette Marie, considérée comme sœur de Moïse par quelques auteurs, figure à ce titre dans un dialogue intitulé Dialogue de Marie et d’Aros. Morien, qui vivait du VIIe au VIIIe siècle, cite Marie comme alchimiste. Il est difficile de croire que les écrits précédents aient été composés avant l’ère chrétienne par les auteurs dont ils portent les noms ; il est donc bien probable qu’ils sont apocryphes ; en outre, l’opinion d’après laquelle on attribue des idées alchimiques à Hermès, a Moïse, à 2 JOURNAL DES SAVANTS CHEVREUL 3 Sophar, à Ostanès le Mède, au prêtre Jean, à Démocrite, etc., n’est qu’une conjecture dénuée de toute preuve, surtout lorsqu’on se rappelle les efforts que l’on fît au moyen âge pour faire croire à l’ancienneté de l’alchimie afin de persuader de la sublimité de son œuvre le vulgaire, dont le respect pour la tradition était si grand alors ! Les écoles d’Alexandrie qui se rattachaient à l’institution du Musée, les écoles juives, les écoles néoplatoniciennes et les écoles chrétiennes des premiers siècles de notre ère n’ont jamais montré qu’elles se soient occupées de quelque chose de semblable à la pratique de la chimie ou de l’alchimie. Mais, incontestablement, à partir du christianisme jusqu’au IXe siècle, époque où écrivait Geber, l’alchimie avait fixé l’attention d’un grand nombre de personnes au point de vue spéculatif comme au point de vue pratique. Si on se rappelle les idées générales qui occupaient les esprits dans les premiers siècles du christianisme, la manière dont on envisageait les phénomènes du monde visible comme subordonnés aux esprits du monde invisible, il était tout simple que les personnes animées du désir de travailler la matière avec l’intention d’en modifier les propriétés, dussent chercher à changer les pierres les plus communes en pierres précieuses, les métaux les moins chers en argent et en or ; enfin il était tout simple encore que, pour obtenir la santé, comparable à la richesse, comme chose souhaitable pour le bonheur de celte vie terrestre, la recherche des remèdes en général et particulièrement celle d’une panacée à tous les maux ; devînt le but des efforts d’un grand nombre d’hommes. Nous allons continuer la revue des personnes les plus célèbres dans les fastes de l’alchimie, soit comme auteur d’écrits ou simplement comme ayant travaillé au grand œuvre. L’empereur Caligula est cité par les alchimistes pour s’être occupé de la transmutation i mais, en reconnaissant qu’il l’a opérée, ils avouent qu’il n’y trouva aucun avantage. On a dit que saint Jean l’Evangéliste faisait de l’or, et changeait les pierres les plus communes en pierres précieuses pour secourir les pauvres. On a attribue le savoir hermétique à Athénagore, parce que, dit-on, il en a fait preuve dans un roman intitulé le Parfait amour. Sinésius de Cyrène, évêque de Ptolémaïde, est auteur d’écrits alchimiques. Zozime de Panopolis, qui vivait au Ve siècle, écrivit sur la, chimie et l’alchimie. Enfin, nous citerons encore jusqu’à Geber, Pélage, Olympiodore, Démocrite (Pseudo-), Archélaüs ; Ostanès l’Egyptien, Théophraste le chrétien, Stéphanus, uploads/Litterature/ alchimie-e-chevreul.pdf

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