Bulletin de l'Association d'étude sur l'humanisme, la réforme et la renaissance
Bulletin de l'Association d'étude sur l'humanisme, la réforme et la renaissance Amour précieux, Amour galant (1650-1675) - Essai sur la représentation de l'amour dans la littérature et la société mondaine J.M. Pelous Citer ce document / Cite this document : Pelous J.M. Amour précieux, Amour galant (1650-1675) - Essai sur la représentation de l'amour dans la littérature et la société mondaine. In: Bulletin de l'Association d'étude sur l'humanisme, la réforme et la renaissance, n°4, 1976. pp. 70-76; https://www.persee.fr/doc/rhren_0181-6799_1976_num_4_1_990 Fichier pdf généré le 09/04/2018 - 70 - J. M. PELOUS : AMOUR PRECIEUX, AMOUR GALANT (1650-1675) Essai sur la représentation de l'amour dans la littérature et la société mondaines. (Thèse soutenue devant l'Université de Paris IV en Juin 1976) Ainsi que le rappelle le sous-titre, cette étude est un essai d'analyse descriptive de l'amour mondain durant les premières années du règne de Louis XIV. Cette définition du sujet en marque -les limites : on s'est efforcé, à l'intérieur d'une période de quelque vingt ans, de répertorier les modes de représentation de l'amour en honneur dans un milieu déterminé , autrement dit de préciser 1 ' image que la littérature , mondaine donne de 1 ' amour , mais sans prétendre ni apporter une réponse complète au problème des rapports que cette représentation entretient avec la réalité ambiante , ni traiter de 1 ' ensemble des aspects philosophiques , religieux ou moraux de la question. En revanche, la nature du sujet et les dates retenues invitaient à rouvrir le dossier de la Préciosité et des Précieuses ; ces dernières tiennent en effet, dans les débats mondains sur l'amour, un rôle eminent, et la littérature mondaine de l'amour tend à se confondre avec la littérature "précieuse". A partir d'une définition empirique et large de la -littérature mondaine, la première partie de cette enquête essaie de repérer dans les romans, les pièces de théâtre, les recueils de lettres, et les diverses productions en prose ou en vers du temps, une ou plusieurs manières caractéristiques de représenter les relations amoureuses. Un premier aperçu global peut être donné grâce à une particularité curieuse de la littérature de l'amour des années 1654 et suivantes. On y rencontre un ensemble de "cartes" amoureuses (la plus connue étant la Carte de Tendre) dont la comparaison laisse entrevoir une organisation cohérente du monde de l'amour. Au pays de Tendre règne encore une orthodoxie qui présente l'aventure amoureuse come une suite d'épreuves qui doit mener à une perfection donnée pour a peu près inaccessible. Car, même chez ces traditionalistes, on commence à se demander s'il ne serait pas opportun d'en rabattre un peu sur un trop ambitieux programme et de se replier en bon ordre de l'Amour idéal vers l'Amitié. En face, sur les terres hérétiques de la Coquetterie ou de la Galanterie, on ne pratique plus 71 - les rites "tendres" que par habitude et dans un évident esprit de dérision, Bref, toute la "géographie" amoureuse fait encore référence a une même description de l'amour, mais un mouvement général d'abandon se dessine. Une étude plus approfondie semble confirmer ces premières constatations. Tous les auteurs sont unanimes pour affirmer qu'il existe des Lois de l'Amour et il suffit de relire les romans, tragi-comédies et tragédies du temps pour se faire une idée de cette légalité amoureuse. Le parfait amant se trouve pris dans un réseau d'obligations humiliantes et souvent contradictoires : il doit taire son amour, faire abandon de sa liberté sans grand espoii de r «c .rp ns . L'amour fonde la suprématie féminine * : grandes bénéficiaires du système , les dames , à condition de faire preuve d'une "cruauté" sans faille, sont assurées de recevoir un continuel tribut d'hommages et l'Amour leur confère un pouvoir qui efface leur infirmité sociale. La religion de l'amour tend à se confondre avec le culte de la femme. Telles sont, sans entrer dans les détails d'une jurisprudence compliquée, les grandes lignes de la représentation "tendre" de 1 ' amour . Il est alors tentant de chercher à mesurer, en dehors de la littérature de fiction, l'emprise de cet archétype amoureux et de s'interroger sur ses rapports avec la réalité ambiante. On constate d'abord que le système "tendre" détermine presque tous les comportements amoureux décrits par la littérature et imprègne tout langage amoureux. C'est à cette vision commune que renvoient les "feux", les "fers", les "martyres" ou la volonté universellement proclamée de "mourir d'amour" ; entre 1650 et 1670, de Louis XIV à Monsieur Jourdain, tous les Français parlent encore cette même langue de l'amour. Il ne s'ensuit pas que cette représentation corresponde à la réalité vécue ; les chroniques du temps, l'enseignement des juristes, des gens d'église ou des médecins persuadent aisément du contraire. Le parfait amour, l'impérialisme féminin ne sont que d1 "agréables fictions" qui donnent des réalités en vue très idéalisée et qui ne vaut plus au-delà de la sphère étroite de la -mondanité. L'amour mondain offre à chacun l'occasion d'actualiser des rêves et de prendre une revanche sur les servitudes de l'existence. - 72 - Pour ce qui est de l'origine et de l'évolution de cet archétype amoureux, bien qu'il présente d'évidentes analogies avec l'idéal courtois et une certaine tradition platonisante , il a paru sage de ne pas remonter dans le temps au-delà de l'Astrée qui, de notre point de vue, représente un modèle idéal et un point de départ absolu. Les dispositions du code "tendre" qui, dans la littérature des années 1650, paraissent artificielles, sinon absurdes, retrouvent leur pleine valeur en fonction du mysticisme platonisant d'H. d'Urfé. On assisterait donc, durant la première moitié du XVIIème siècle, à la dégradation d'un idéal dont la forme demeure alors que le sens s'estompe. Cette évolution passe par deux stades : l'idéalisme moralisant qui prétend réconcilier l'amour et la morale du siècle, le "laxime" des années 1660 qui réduit toute morale au respect des commandements de l'Amour. Au regard de cet idéal, l'esprit galant qui, après 1650, . s'impose comme mode dominant de représentation de l'amour, se définit par une attitude de contestation ; il le tourne en dérision et en donne, à la faveur d'un renversement ironique des valeurs, un contretype caricatural. Apparaît alors dans l'expression de l'amour un double registre : l'amour "tendre", sérieux et languissant, conserve son pouvoir d'émotion et continue à faire couler de douces larmes, mais ce même capital de situations et d'images est également exploité par l'ironie "galante" à des fins plaisantes. Ainsi se crée une littérature badine et enjouée dont les initiateurs furent Voiture et Sarasin ; vidés de leur substance, les rites de l'ancien amour deviennent jeux de société et les vieilles métaphores exsangues sont le point de départ d'une rhétorique divertissante. On peut même parler d'une esthétique "galante" dont les grandes règles seraient l'enjouement et la variété, ou de "genres" galants qui sont le pastiche ironique de formes existantes (itinéraires, gazettes, etc...). Non contente d'ironiser sur les habitudes "tendres", la galanterie propose une contre-morale amoureuse ; son idéal s'incarne en la personne du galant homme, inconstant, enjoué, spirituel, sceptique, lequel tend parfois à se confondre avec l'honnête homme louis-quatorzien et trouve dans la jeune Cour son lieu d'épanouissement. Un écueil cependant, le libertinage, qui est pour la galanterie une tentation et une limite : entre le galant homme inconstant et le libertin, la distance paraît faible - 73 - encore qu'elle soit considérable en ce sens que le galant homme se contente de dire ce que le libertin est tenté de faire. Cette distinction caractérise l'esprit de la mondanité qui distingue toujours son domaine propre, le divertissement et l'utopie, des réalités «qui ne sont pas de son ressort. La galanterie répudie l'amour souffrant, mais elle conserve toute sa confiance dans les pouvoirs de l'Amour. Mieux, elle lui voue un culte quasi officiel : les Ballets de Cour, puis: l'Opéra chantent l'universelle bienfaisance d'un dieu capable, à lui seul, de rendre l'humanité heureuse. Ce panérotisme galant confond presque 1 ' amour et la civilisation : n'a-t-il pas le pouvoir de donner de l'esprit à ceux qui en sont dépourvus ? Seules les femmes, dépouillées de leurs prérogatives anciennes, tentent parfois de se dérober et il faut ramener à. la "raison" les insensibles, les prudes, les coquettes et les précieuses. Il est d'autres trouble-fête, les jaloux et surtout les maris, tyrans domestiques qui oublient que l'amour et le mariage appartiennent à deux ordres de réalité différents. Malgré ces dehors brillants, cette galanterie joyeuse n'est qu'un beau mirage dont personne n'est vraiment dupe. Comme en témoigne le jeu stérile des questions d'amour, la société galante n'est en possession d'aucune certitude sur la nature de l'amour. Condamnée au mensonge dans la mesure où elle conserve, sans y adhérer, les formes "tendres", la sensibilité galante aspire, confusément encore, à plus de sincérité et à plus, de simplicité. Ainsi se dessine une évolution qui, tout en étant dans la logique de la dérision galante, conduira la galanterie enjouée à se renier elle-même. Un événement littéraire comme la publication des Lettres protugaises, oeuvre du spirituel et galant Gui uploads/Litterature/ amour-pre-cieux-amour-galant 1 .pdf
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- Publié le Mar 23, 2022
- Catégorie Literature / Litté...
- Langue French
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