Hétérographe Revue des homolittératures ou pas: Numéro 7 / Printemps 2012 / Pri

Hétérographe Revue des homolittératures ou pas: Numéro 7 / Printemps 2012 / Prix CHF 15.– / € 10.– Pas un ghetto, mais un lieu de réflexion: Lieu est le mot central de cette démarche: Un lieu rend visible, permet le partage, l’échange, fait de la place: L’écriture est un lieu, une voix, un lien: La place publique est indispensable pour que la voix soit entendue: L’entrecroisement des lignes identitaires permet d’échapper à l’enfermement: Militer est une façon d’exister, de nommer, de faire face au silence: Hétérographe Revue des homolittératures ou pas: SOMMAIRE Numéro 7 / Printemps 2012 Écritures PAGE 8 À DISTANCE DE LA BEAUTÉ / Georges Borgeaud PAGE 16 UN RÊVE / FLAVIO SANTI traduit de l’italien par Pierre Lepori et Guy Poitry PAGE 22 ZÉRO DEGRÉ KELVIN / Adrian Schiop traduit du roumain par Anne Birebent PAGE 28 JIRKA / Simon Froehling traduit de l’allemand par Camille Luscher PAGE 34 ÉDEN AMER / Tatamkhulu Afrika traduit de l’anglais (Afrique du Sud) par Jelena Ristic PAGE 40 PAS DE BOUCHE / Sophie Solo Entretiens PAGE 44 FRANCESCO REMOTTI : CONTRE L’IDENTITÉ par Pierre Lepori Images PAGES 49 À 65 EMPRUNTS D’ÉQUILIBRE / Nicole Murmann Entretiens suite PAGE 66 OLIVIER DOUVILLE : POUR DIRE LA GUERRE par Sylvain Thévoz Dossier PAGE 72 YÉGHICHÉ TCHARENTS (1897-1936), poète arménien par Valentina Calzolari Bouvier et James R. Russell Lectures PAGES 85 À 91 CAHIERS QUESTIONDEGENRE / (Guy Poitry) QUE FAIRE DE NOTRE VULNÉRABILITÉ / Guillaume le Blanc (Pierre Lepori) UN LUN DUN / China Miéville (Jelena Ristic) L’ÎLE D’ARTURO / Elsa Morante (Elena Jurissevich) CASSE-TOI / Jean-Marie Périer (Gonzague Bochud) PSYCHOLOGIE(S) DES TRANSSEXUELS ET DES TRANSGENRES / Françoise Sironi (Sylvain Thévoz) LE PATIENT DU DOCTEUR HIRSCHFELD / Nicolas Verdan (Guy Poitry) ÉDITORIAL Pierre Lepori «Nous avons tout d’abord constaté la qualité de votre revue, le soutien qu’elle reçoit par des écrivains confirmés et divers organismes. Toutefois, votre publication est destinée à un public au demeurant restreint (et averti). Sa vocation même ne répond pas, de ce fait, au critère d’utilité publique générale tel que notre Commission le comprend». Une fois n’est pas coutume, indignons-nous! Pour Hétérographe, l’année 2011 aura été marquée par cette phrase riche en sous-entendus qui signait la coupe de dix mille francs de la subvention qui nous était octroyée par la Loterie Romande (canton de Fribourg). Un quart de notre budget annuel a ainsi fondu, et c’est uniquement la générosité des abonnés et lecteurs, des amis de la rédaction, des rédacteurs et collaborateurs eux-mêmes (auxquels s’ajoutent bien entendu les subventions renouvelées de la Fondation Pro Helvetia, de la Ville de Genève et des Coopératives Migros) qui nous a permis de mener le bateau hors de la tempête. Paradoxalement, nous n’avons pas de quoi nous plaindre, donc, sauf peut-être du ton un brin condescendant de la lettre de refus: notre «utilité publique» est mesurable et censurable. Nous avons même constaté que cela nous motivait encore plus dans nos choix et notre utopie, celle d’être toujours et encore «dans la différence», de rechercher une voie de la marge et une alternative créative et intellectuelle, quitte à devoir payer de notre poche et de notre temps pour que les voix non conformes ne se laissent pas engloutir. Dans ce premier numéro de 2012, vous découvrirez donc des auteurs venus d’ailleurs (d’un ailleurs souvent marqué par l’exclusion, le refus): de Rou- manie et d’Italie, d’Arménie et d’Afrique du Sud, mais aussi d’une Suisse moins polie qu’elle n’y paraît. Soutenu, certes, par des «écrivains confirmés», Hétérographe est également et surtout un soutien pour des écrivains minorisés (mais non mineurs) qu’il contribue à faire connaître; et cela, ça n’a pas de prix. Écritures / 10 L’écrivain suisse Georges Borgeaud (Lausanne, 1914– Paris, 1998) est toujours resté extrêmement discret sur son intérêt pour les corps masculins dans son œuvre publié (Le Préau, Gallimard, 1952; Le Voyage à l’étranger, Bertil Galland, 1974, Prix Renaudot; Le Soleil sur Aubiac, Grasset, 1986, Prix Médicis). Dans ses carnets intimes, en revanche, on trouve quelques notes plus ou moins développées et dispersées parmi bien d’autres considérations, où il se livre davantage. On découvrira ici cinq fragments de périodes et de natures diverses. À DISTANCE DE LA BEAUTÉ Georges Borgeaud I. Sur les plages helvétiques une adolescence presque nue et dorée d’une beauté bouleversante, d’une jeunesse, d’une fraîcheur qui me font soupirer, cela, je ne l’ai plus, cela je l’ai eu et je n’en ai point usé. Mon corps n’a point été caressé quand il avait cette beauté, il n’a point connu tôt la joie de la sensualité. Ceux qui me caressent aujourd’hui, ce n’est point tant mon corps que la fraîcheur de mon esprit, la jeunesse de mes sensations. Pourquoi cette dissociation de l’un et de l’autre ? C’est un spectacle qui atteint en moi une douleur à vif et je voudrais crier. Que quelqu’un se retourne vers moi… Des corps d’une grande beauté comme on en voit dans Rimbaud, comme Rimbaud les a imaginés ! Cet adolescent, assis sur une chaise longue, les jambes contre sa poitrine merveilleuse ; seul un petit slip d’une grande blancheur autour des reins admirables. Il n’était pas seul de cette espèce… souvent près de moi, sous mes regards, comme si tous ces corps étaient innocents. Et pourtant ils ne le sont point parce que l’âge a des appétits, une volupté à fleur de peau. Pourtant cette jeunesse ne trouvera pas tout de suite son compagnon ou sa compagne; elle prendra ses plaisirs solitairement car elle n’ose penser à l’autre, que l’autre puisse lui donner le plaisir. C’est la forme puritaine de l’éducation. Cette beauté sera toujours un peu gâchée… Et pourtant, on aimerait voir les beaux couples se former tout naturellement et se connaître. Le bel enfant, ce soir, rêvera dans sa chambre et se croira seul. Quel[le] idiote situation ! * Je pense aussi que curieuse est la forme qu’impose la pudeur aux corps. La pudeur invente des costumes de bain extraordinairement flatteurs pour les reins, presque provocants : soies bleues et rayées, tissus moirés et indiennes derrière lesquels les sexes « dorment », sont maintenus, gardés, enveloppés. La nudité serait moins troublante. Écritures / 11 II. Je m’étonne d’une coïncidence. À la piscine sulfureuse de Pigna où je me rends à peu près tous les jours, j’ai remarqué un jeune garçon de 14 ans, italien, de la race du peuple, c’est-à-dire attachant, liant, un peu maigre mais bien fait et d’une inlassable énergie, plongeant, replongeant, courant se baigner à côté, dans le lit de la rivière sur- plombé par la piscine qui <débonde> ses eaux là. Il est long, pas encore bâti, mais on voit naître son tout prochain corps d’homme qui a déjà un sexe en avance sur le reste et dont il est un peu embar- rassé, regardant sa position et sa proéminence sur le caleçon blanc un peu étroit quand il sort de l’eau, y laisse entrer un peu d’air afin de « noyer » sa virilité dans une forme lâche. Tout à coup, il se rhabille, monte une canne à pêche, s’impatiente de ne rien prendre, l’aban- donne, revient à la piscine, nage de toutes les manières, plonge cent fois, entre dans un jeu violent de balle, boit des «tasses» d’eau sulfureuse qu’il recrache. Ses yeux sont rouges de trop rester ouverts sous les eaux, sa sœur l’appelle, petite mère déjà autoritaire, Elio, Elio, sors du bain, mais il replonge pour ne pas l’entendre. Il voit que je le regarde et contrairement aux enfants de bonne famille — c’est pourquoi j’écris qu’il est du meilleur peuple — il sourit, me salue quand je reviens à la piscine d’un bonjour plein d’accent, mais il veut me faire plaisir. Je réponds à son sourire avec le plus d’innocence possible. Aujourd’hui, je regarde franchement, de la balustrade qui domine le bassin, ses ébats. Il me voit et, je ne sais s’il faut penser quelque chose à ce sujet, il se met sur le dos, fait la planche, le bassin (pourquoi le même mot ?) projeté hors de l’eau où le sexe est si visible, déjà si fait, si long, offert, que trouvant cette impudeur superbe, je ne détourne pas les yeux. Elio répond à mon sourire, se retourne dans l’eau et reprend son activité en commun avec les baigneurs de son âge. Écritures / 12 Il est sympathique à tous car, dès qu’il entre dans un jeu, le seul, le ballon, tout le monde le lui passe en criant Elio, Elio, à moi ! Ce n’est pas qu’il soit plus habile au ballon que les autres, mais il plaît. Hier samedi, il n’est pas venu à la piscine (cela coûte 200 lires) mais aux abords, sur les rochers qui dominent un trou d’eau qu’elle fait sous le pont qui l’enjambe. Il tenait dans la main, cette fois-ci, non plus sa canne à pêche mais un savon, un gant de bain et une serviette. C’était samedi, il prenait son bain de propreté. Il ne ménagea pas le savon, frotta deux fois ses cheveux uploads/Litterature/ hetero-graph-e-7.pdf

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