L’Égypte était-elle un don du Nil ? 34 ______________________________________
L’Égypte était-elle un don du Nil ? 34 _________________________________________________________________________ _________________________________________________________________________ ANKH n° 14/15 2005-2006 Hérodote, historien grec, Le Delta du Nil, la partie basse de la vallée du Nil : surnommé le "Père de l’Histoire", vue satellite. vers 480 av. notre ère. http://www.lawr.ucdavis.edu/.../lab5/lab5_3/lab5.3.html Carte de la partie basse de la vallée du Nil. L’Égypte était-elle un don du Nil ? 35 _________________________________________________________________________ _________________________________________________________________________ ANKH n° 14/15 2005-2006 L’Égypte était-elle un don du Nil ? Babacar SALL _________________________________________________________________________ Résumé : L’auteur établit qu’Hérodote n’a nullement défendu la thèse selon laquelle “l’Égypte est un don du Nil“, mais qu’il a, au contraire, démonté cette affirmation parce qu’elle ne correspondait pas à la réalité. En se replaçant dans le contexte historique de l’Antiquité, cette étude met en évidence que l’assertion “l’Égypte est un don du Nil“ ne résulte pas d’une ignorance mais qu’elle est l’expression d’une idéologie. Abstract : Is Egypt a gift of the Nile ? – The author establishes that Herodotus didn’t defend the thesis according to “Egypt is a gift of the Nile”. On the contrary, Herodotus has taken down this affirmation which doesn’t correspond to the reality. Recalling the antiquity historical context, this study displays that the sentence “Egypt a gift of the Nile” is the expression of an ideology. 1. Introduction On a attribué à Hérodote l’affirmation : « L’Égypte est un don du Nil ». Que de générations, d’étudiants et de lycéens, ont eu à disserter sur un tel sujet. Certes, cette expression est bien contenue dans le paragraphe 5 de Euterpe (terme qui désigne une Muse et que l’auteur a utilisé comme titre de son second livre). Mais cette expression, bien qu’utilisée par celui que, depuis Cicéron, on appelle le « Père de l’Histoire », (cf., De Legibus, I, 1) n’exprime pas et n’a jamais exprimé une idée de celui à qui on l’attribue1, c’est-à-dire Hérodote. C’est en peignant le cadre naturel du pays des pharaons, qu’Hérodote écrit : « Ils [les prêtres] me dirent encore que le premier roi d’Égypte qui fut un homme avait été Min ; que de son temps, toute l’Égypte sauf le nome Thébaïque était un marécage… »2. Puis il ajoute « Or, du territoire qui vient d’être décrit [il s’agit de la partie de l’Égypte où les Grecs se rendent en bateau, le Delta en d’autres termes], la plus grande partie m’a semblé à moi- même être, ainsi que les prêtres le disaient, une acquisition qui s’ajouta au pays des Égyptiens»3. Selon lui, tout ce qui est au-dessus de la ville de Memphis, entre les chaînes arabique et libyque, avait été jadis, un golfe marin4. A l’avènement de Min/Ménès/Narmer, « toute l’Égypte sauf le nome thébaïque [la Haute Égypte méridionale jusqu’à Edfou] était un marécage et que rien n’émergeait alors des parties du pays existant maintenant [au Ve siècle avant J.-C.] au-dessous [au Nord] du lac Mœris »5. Bref, sous la plume d’Hérodote, ce qui s’est ajouté au pays originel des Égyptiens, c’est-à- dire le morceau de terre que l’on peut considérer comme « un don du Nil », c’était le Delta et seulement le Delta6. L’Égypte était-elle un don du Nil ? 36 _________________________________________________________________________ _________________________________________________________________________ ANKH n° 14/15 2005-2006 Pourquoi a-t-on continué et continue-t-on de répéter que selon Hérodote, « L’Égypte est un don du Nil » ? Pour tenter de formuler une réponse à cette question, il nous faut revenir au conteste dans lequel cette expression a été utilisée par Hérodote. La reconstitution dudit contexte a pour objectif de retrouver le véritable sens de cette expression tant galvaudée. Telle va être la ligne de fond de la présente étude7. L’approche va consister en une analyse et une synthèse (au sens où les chimistes emploient ces termes) du texte du Livre II pour retrouver son unité intrinsèque. Dans les pages qui suivent, nous nous intéressons surtout aux chapitres 3 à 98. Il s’agit de la partie de Euterpe que l’auteur a écrite à partir de « ce qu’il a vu, des réflexions qu’il a faites, des informations qu’il a prises »8. Le reste du texte du deuxième livre, constitué par la narration, par écrit, de ce que ses informateurs, essentiellement Égyptiens et Éthiopiens rencontrés en Égypte, lui ont dit de leur histoire9, est d’un intérêt secondaire pour notre présente analyse. A travers Euterpe, nous avons deux dimensions de l’œuvre d’Hérodote. L’auteur y apparaît comme un historien en ce sens qu’après avoir formulé une problématique, il procède à la collecte de matériaux (sources) d’où il extrait le maximum d’informations pour rendre compte de l’évolution sociale. (cf., chapitres 3-99 de Euterpe). Le texte est aussi une source dans la mesure où, du chapitre 99 à la fin, à la manière de Manéthon, l’homme d’Halicarnasse a élaboré une chronique de l’histoire d’Égypte à l’époque des pharaons. Faisant preuve d’une grande honnêteté intellectuelle, il relate toutes les informations, même celles auxquelles il ne croit pas. Ph. E. Legrand dont nous utilisons la traduction (« Les Belles Lettres », Paris, 1963) a noté, et avec raison, que rapporté à l’ensemble de l’œuvre d’Hérodote, Euterpe, apparaît comme une « grosse digression ». L’étude des guerres entre les Grecs et les Barbares (cf., Préambule du Livre I) qui constitue la trame de fond (une des raisons qui ont amené Hérodote à exposer [rédiger] le produit de ses enquêtes) des Histoires9bis, a l’expansion perse comme point d’ancrage. De ce fait, la suite du chapitre 1er du Livre II (la conquête de l’Égypte par Cambyse) est constituée par le chapitre Ier du Livre III (Thalie).C’est dire que les chapitres 2 à 182 du Livre II ne sont qu’une « grosse parenthèse » où, si l’on préfère, une « grosse digression », terme que choisit Ph. E. Legrand. Le caractère très volumineux de la « digression » est lié à la nature massive du matériau, c’est-à-dire l’histoire de la civilisation égyptienne, laquelle, dans sa phase historique, s’est épanouie pendant plus de trois millénaires. Elle réside aussi dans le fait que Hérodote, comme la plupart des savants grecs qui ont eu à séjourner dans ce royaume de la basse vallée du Nil, a été séduit par la grandeur de la civilisation du pays des pharaons, par la majesté de ses monuments et par les niveaux scientifique et technique de ses cadres. Il a rappelé que plusieurs savants grecs s’étaient appropriés des systèmes de pensée qu’ils avaient appris en Égypte. Selon lui : « Il est des Grecs qui, ceux-ci plus tôt, ceux-là plus tard, ont professé cette doctrine, celle selon laquelle, l’âme de l’homme est immortelle ; que, lorsque le corps périt, elle entre dans un autre animal qui, à son tour, est naissant ; qu’après avoir parcouru tous les êtres de la terre, de la mer et de l’air, elle entre de nouveau dans le corps d’un homme naissant ; que ce circuit s’accomplit pour elle en trois mille ans, comme si elle leur appartenait en propre; je connais leurs noms, je ne les écris pas »10. L’Égypte était-elle un don du Nil ? 37 _________________________________________________________________________ _________________________________________________________________________ ANKH n° 14/15 2005-2006 Poursuivant son exposé, il écrit « J’en viens maintenant à l’Égypte, dont je parlerai [plus] longuement ». Anticipant sur la question de savoir pourquoi il va en parler plus longuement, il précise « car, comparée à tout autre pays, c’est elle [Cette Égypte qu’il visita au Ve siècle avant J.-C. et qui était pourtant au crépuscule de sa grandeur] qui renferme le plus de merveilles…aussi, parlerai-je d’elle avec plus de détails »11 2. Le contexte Il faut commencer par rappeler que le Livre II (Euterpe) de l’œuvre d’Hérodote dont le titre le plus répandu est Les HISTOIRES (certains, les fameux Ethnologues, préfèrent celui d’ENQUÊTES) s’ouvre par la relation des conclusions d’un débat qui avait cours dans les milieux intellectuels égyptiens depuis la XXVIe dynastie. Celle-ci était constituée par une famille aux « origines » plutôt obscures. Après avoir pris le pouvoir, elle a cherché à s’intégrer dans le moule égyptien, tout en essayant, à des fins de légitimation, de remettre en cause les fondements de la tradition des anciens Égyptiens et à la récupérer pour la dynastie qu’elle venait de fonder. Pour cela, elle récupéra le mythe local, celui d’Horus né dans les marécages d’où il partit à la reconquête du pouvoir. De ce débat, le Père de l’Histoire a eu des échos12. Les termes du dit débat étaient de découvrir ceux qui ont été les plus anciens hommes sur terre13. L’idée sous-jacente est que ce sont les plus anciens hommes qui ont créé la civilisation, qui ont parlé la première langue, inventé les premiers instruments de vie, formulé les premières réponses aux préoccupations qui, depuis toujours, hantent l’esprit de l’homme. Ce sont eux qui ont initié la première dynamique des phases et façons par lesquelles, les hommes, en tant que communautés, nations, groupes sociaux etc., cherchent à assurer les bases de leurs productions et reproductions sociales. Ce débat a été l’expression de la volonté de faire subir aux Égyptiens une certaine aliénation, uploads/Litterature/ ankh-14-15-b-sall-egypte-etait-elle-un-don-du-nil.pdf
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- Publié le Mar 15, 2021
- Catégorie Literature / Litté...
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