Jean Anouilh L'alouette La Table Ronde L'alouette a été créée le 14 octobre 195
Jean Anouilh L'alouette La Table Ronde L'alouette a été créée le 14 octobre 1953 au Théâtre Montparnasse-Gaston Baty, direction Marguerite Jamois, dans un décor et des costumes de Jean Denis Malclès avec par ordre d'entrée en scène : JEAN-LOUIS RICHARD, Warwick. MARCEL-ANDRÉ, Cauchon. SUZANNE FLON, Jeanne. MARCEL PÉRÉS, le père. MARIE LEDUC, la mère. PAUL BISCIGLIA, le frère. ROLAND PIÉTRI, le Promoteur. MICHEL ETCHEVERRY, l'Inquisiteur. FRANÇOIS MARIÉ, Frère Ladvenu. CLAUDE RICHARD, Beaudricourt. GÉRARD DARRIEU, Boudousse, La Hire. ISABELLE EHNI, Agnès. ANNE GUÉRINI, la reine. MICHEL BOUQUET, Charles. DENISE PERRET, la reine Yolande. MAURICE JACQUEMONT, l'Archevêque. HENRY GRANGÉ, La Trémouille. GEORGES NOREL, le Bourreau. FRANCK ESTANGE, un soldat anglais. GUY PINTAT, le page. PERSONNAGES JEANNE CAUCHON L'INQUISITEUR LE PROMOTEUR FRÈRE LADVENU LE COMTE DE WARWICK CHARLES LA REINE YOLANDE LA PETITE REINE AGNÈS L'ARCHEVÈQUE LA TRÉMOUILLE BEAUDRICOURT LA HIRE LE PÈRE LA MÈRE LE FRÈRE LE BOURREAU LE GARDE BOUDOUSSE LE SOLDAT ANGLAIS LE SECOND SOLDAT ANGLAIS LE PAGE DU ROI Un décor neutre, des bancs pour le tribunal, un tabouret pour Jeanne, un trône, des fagots. La scène est d'abord vide, puis les personnages entrent par petits groupes. Les costumes sont vaguement médiévaux, mais aucune recherche de forme ou de couleur ; Jeanne est habillée en homme, une sorte de survêtement d'athlète, d'un bout à l'autre de la pièce. En entrant, les personnages décrochent leurs casques ou certains de leurs accessoires qui avaient été laissés sur scène à la fin de la précédente représentation, ils s'installent sur les bancs dont ils rectifient l'ordonnance. La mère se met à tricoter dans un coin. Elle tricotera pendant toute la pièce, sauf quand c'est à elle. Les derniers qui entrent sont Cauchon et Warwick. WARWICK, il est très jeune, très charmant, très élégant, très racé. Nous sommes tous là? Bon. Alors le procès, tout de suite. Plus vite elle sera jugée et brûlée, mieux cela sera. Pour tout le monde. CAUCHON Mais, Monseigneur, il y a toute l'histoire à jouer. Domremy, les Voix, Vaucouleurs, Chinon, le Sacre... WARWICK Mascarades! Cela, c'est l'histoire pour les enfants. La belle armure blanche, l'étendard, la tendre et dure vierge guerrière, c'est comme cela qu'on lui fera ses statues, plus tard, pour les nécessités d'une autre politique. Il n'est même pas exclu que nous lui en élevions une à Londres. J'ai l'air de plaisanter, Monseigneur, mais les intérêts profonds du Gouvernement de Sa Majesté peuvent être tels, dans quelques siècles... Pour l'instant, moi, je suis Beauchamp, comte de Warwick; je tiens ma petite sorcière crasseuse sur une litière de paille au fond de ma prison de Rouen, ma petite empêcheuse de dan- ser en rond, ma petite peste - je l'ai payée assez cher... (Si j'avais pu l'acheter directement à ce Jean de Ligny qui l'a capturée, je l'aurais eue à un prix raisonnable. C'est un homme qui a besoin d'argent. Mais il a fallu que je passe par le duc de Bourgogne. Il avait été sur l'affaire avant nous, il savait que nous en avions envie et, lui, il n'avait pas besoin d'argent. Il nous l'a durement fait sentir.) Mais le Gouvernement de Sa Majesté a toujours su payer le prix qu'il fallait pour obtenir quelque chose sur le continent. Elle nous aura coûté cher, la France!... Enfin, je l'ai, ma pucelle... Il touche Jeanne accroupie dans son coin du bout de son stick. C'est d'un coût exorbitant pour ce que c'est, mais je l'ai. Je la juge et je la brûle. CAUCHON Pas tout de suite. Elle a toute sa vie à jouer avant. Sa courte vie. Cette petite flamme à l'éclat insoutenable - tôt éteinte. Ce ne sera pas bien long, Monseigneur. WARWICK, va s'asseoir dans un coin, résigné. Puisque vous y tenez. Un Anglais sait toujours attendre. Il dem and e inqu iet: Vous n'allez pas vous amuser à refaire toutes les batailles tout de même ? Orléans, Patay, Beaugency... ce serait extrêmement désagréable pour moi. CAUCHON, sourit. Rassurez-vous, Monseigneur, nous ne sommes pas assez nombreux pour jouer les batailles... WARWICK Bien. CAUCHON, se retourne vers Jeanne. Jeanne ? Elle lève les yeux sur lui. Tu peux commencer. JEANNE Je peux commencer où je veux? CAUCHON Oui. JEANNE Alors au commencement. C'est toujours ce qu'il y a de plus beau, les commencements. A la maison de mon père quand je suis encore petite. Dans le champ où je garde le troupeau, la première fois que j'entends les Voix. Elle est restée accroupie à la même place, les personnages qui n'ont rien à voir avec cette scène s'éloignent dans l'ombre. Seuls s'avancent le père, la mère, le frère de Jeanne qui auront à intervenir. La mère tricote toujours. C'est après l'Angélus du soir. Je suis toute petite. J'ai encore ma tresse. Je ne pense à rien. Dieu est bon, qui me garde toute pure et heureuse auprès de ma mère, de mon père et de mes frères, dans cette petite enclave épargnée autour de Domremy, tandis que les sales godons brûlent, pillent et violent dans le pays. Mon gros chien est venu mettre son nez contre ma jupe... Tout le monde est bon et fort autour de moi, et me protège. Comme c'est simple d'être une petite fille heureuse!... Et puis soudain, c'est comme si quelqu'un me touchait l'épaule derrière moi, et pourtant je sais bien que personne ne m'a touchée, et la voix dit... QUELQU'UN, demande soudain au fond Qui fera les voix ? JEANNE, comme si c'était évident. Moi, bien sûr. Elle continue Je me suis retournée, il y avait une grande et éblouissante lumière du côté de l'ombre, derrière moi. La voix était douce et grave et je ne la connaissais pas; elle dit seulement ce jour-là —- Jeanne, sois bonne et sage enfant, va souvent à l'église. J'étais bonne et sage et j'allais souvent à l'église. Je n'ai pas compris, j'ai eu très peur et je me suis sauvée en courant. C'est tout la première fois. Je n'ai rien dit en rentrant chez moi. Un silence, elle rêve un peu, elle ajoute Je suis revenue un peu après, avec mon frère, chercher le troupeau que j'avais laissé. Le soleil s'était couché et il n'y avait plus de lumière. Alors il y a eu la seconde fois. C'était l'Angélus de midi. Une lumière encore, mais en plein soleil et plus forte que le soleil. Je l'ai vu, cette fois! CAUCHON Qui ? JEANNE Un prud'homme avec une belle robe bien repassée et deux grandes ailes toutes blanches. Il ne m'a pas dit son nom ce jour-là, mais plus tard j'ai appris que c'était Monseigneur saint Michel. WARWICK, agacé, à Cauchon. Est-il absolument nécessaire de lui laisser raconter encore une fois ces niaiseries? CAUCHON, ferme. Absolument nécessaire, Monseigneur. Warwick se remet dans son coin en silence, il respire une rose qu'il tient à la main. JEANNE, avec la grosse voix de l'Archange. —Jeanne, va au secours du roi de France et tu lui rendras son royaume. Elle répond : —Mais, Messire, je ne suis qu'une pauvre fille, je ne saurais chevaucher, ni conduire des hommes d'armes... — Tu iras trouver M. de Beaudricourt, capitaine de Vaucouleurs... Beaudricourt se redresse dans la foule et se glisse au premier rang, faisant signe aux autres que ça va être à lui — quelqu'un le retient, ce n'est pas encore à lui. .., il te donnera des habits d'homme et il te fera mener au dauphin. Sainte Catherine et sainte Marguerite viendront t'assister. Elle s'écroule soudain sanglotante, épouvantée. Pitié ! Pitié, Messire! Je suis une petite fille, je suis heureuse. Je n'ai rien dont je sois respon- sable, que mes moutons... Le royaume de France c'est trop pour moi. Il faut considérer que je suis petite et ignorante et pas forte du tout. C'est trop lourd, Messire, la France ! Il y a des grands capi- taines autour du roi qui sont forts et qui ont l'habitude... Et puis eux, ça ne les empêche pas de dormir quand ils perdent une bataille. Ils disent qu'il y a eu une préparation d'artillerie insuffisante, qu'ils n'ont pas été secondés, qu'ils ont eu de la neige ou le vent contre eux et tous les hommes morts, ils les rayent tout simplement sur leurs listes. Moi je vais y penser tout le temps, si je fais tuer des hommes... Pitié, Messire ! Elle se redresse et d'un autre ton : Ah ! ouiche! Pas de pitié. Il était déjà parti et moi j'avais la France sur le dos. Elle ajoute, simplement Sans compter le travail à la ferme et mon père qui ne badinait pas. Le père, qui tournait est rond autour de la mère, explose soudain. LE PÈRE Qu'est-ce qu'elle fout? LA MÈRE, toujours tricotant. Elle est aux champs. LE PÈRE Moi aussi, j'étais aux champs et je suis rentré. Il est six heures. Qu'est-ce qu'elle fout? LE FRÈRE, s'arrêtant un instant de se décrotter le nez. La Jeanne? Elle rêve auprès de l'Arbre aux Fées. Je l'ai vue en rentrant le taureau. LE PROMOTEUR, aux autres au fond. L'Arbre uploads/Litterature/ anouihl-lalouette.pdf
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- Publié le Aoû 26, 2022
- Catégorie Literature / Litté...
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