L'antiquité classique Le Sacrifice nuptial de Polyxène C. Fontinoy Citer ce doc

L'antiquité classique Le Sacrifice nuptial de Polyxène C. Fontinoy Citer ce document / Cite this document : Fontinoy C. Le Sacrifice nuptial de Polyxène. In: L'antiquité classique, Tome 19, fasc. 2, 1950. pp. 383-396; doi : https://doi.org/10.3406/antiq.1950.2919 https://www.persee.fr/doc/antiq_0770-2817_1950_num_19_2_2919 Fichier pdf généré le 06/04/2018 333 LE SACRIFICE NUPTIAL DE POLYXÈNE par C. Fontinoy On sait qu'après la chute de Troie, l'ombre d'Achille apparut aux guerriers grecs, qui s'apprêtaient à regagner leur patrie en leur part de butin. Le héros demandait que l'on sacrifiât sur sa tombe Polyxène, la plus jeune des filles de Priam et d'Hécube ; il la réclamait comme étant sa part à lui. Il semble que le sacrifice de Polyxène n'ait pas figuré chez les auteurs les plus anciens. Dans les Chants Cypriens, cette héroïne aurait été blessée par Ulysse et Diomède. Morte des suites de sa blessure, elle aurait été ensevelie par Pyrrhus (1). Mais la scène du sacrifice fut introduite très tôt dans la littérature (2). Comme nous connaissons imparfaitement le cycle épique, il ne nous est pas possible de dire avec certitude si c'est un des poètes cycliques suivants : Arctinos dans Yllioupersis ou Leschès dans la Petite Iliade, ou si c'est au contraire Stésichore, dans un hymne intitulé également Ilioupersis, qui eut le premier l'idée de ce sacrifice (3). Celui-ci fut longtemps décrit comme une violence imposée à Polyxène, sans qu'il y ait eu entre elle et Achille la moindre aventure amoureuse. C'est encore de cette manière qu'Euripide présente la légende dans son Hécube. Puis certains auteurs soutinrent l'idée qu'Achille avait été amoureux de Polyxè- (1) Schol. Hec, 41. — Les différentes étapes de l'évolution de cette légende ont été étudiées par L. Dricot, dans La légende de Polyxène, mémoire de licence présenté à l'Université de Liège en 1946. Je remercie l'auteur de m' avoir à consulter son travail, intéressant et clair. Je remercie également Mr. J. Hubaux, professeur à l'Université de Liège, qui a eu l'amabilité d'attirer mon attention sur quelques références très utiles. (2) R. Förster, Achilleus und Polyxena (zwei unedirte Deklamationen des Choricius) dans Hermes, XVII (1882), p. 193 sq. (3) Cf. L. Dricot, o. L, pp. 6 sqq. L. Dricot est amenée à conclure (p. 25) que la première mention du sacrifice de Polyxène se trouve dans l'Ilioupersis d'ARCTINOS. 384 C. FONTINOY ne (^ et que ce héros, — ou plutôt le fantôme de ce héros, — était venu la réclamer afin d'obtenir dans la mort l'épouse que, vivant, il n'avait pas eue (2). D'autres allèrent plus loin, et assurèrent que la jeune fille elle-même, ne pouvant survivre au héros qui l'avait aimée, s'était donné la mort sur sa tombe (3). Parmi les poètes qui ont fait de la mort de Polyxène le sujet d'une de leurs œuvres, Sénèque le Tragique, dans les Troyennes, est celui qui paraît avoir développé ce thème de la manière la plus originale. Cet auteur décrit en effet le sacrifice de la jeune Troyenne sur le tombeau d'Achille, comme s'il s'agissait d'une cérémonie nuptiale (4). Le vocabulaire en témoigne constamment. « Je veux — dit l'ombre d'Achille — que Polyxène, donnée en mariage à mes cendres, soit immolée par la main de Pyrrhus et arrose ma tombe <de son sang> » (5). Et comme le fantôme, ayant dit ces mots, retourne chez les morts, le chœur des Tritons entonne un chant d'hyménée (6). Plus loin Agamemnon déclare : « entendre appeler du nom d'hyménée cet atroce assassinat : je ne le tolérerai pas » (7). Le devin Calchas consulté donne la réponse suivante : « Les destins accordent aux Danaens le passage au prix accoutumé : (1) Schol. Hec, 41 ; Hygin, CX, Polyxena. — Ce motif se trouvait peut-être déjà chez Lycophron ; et peut-être même dans les Chants Cypriens (cf. L. Dri- cot, o. /., p. 28). (2) Notamment Sénèque dans les Troyennes,- cf. plus loin. (3) Philostrate, Heroica, 20, 17-18, d'après l'édition d'A. Westermann, Paris, Didot, 1849 = XIX, 11, p. 204, d'après l'édition de C. L. Kayser, 1870- 71, que je n'ai pas pu consulter (réf. donnée par E. Rohde, Der griechische Roman, p. 103, n. 3). (4) Les citations et traductions des Troyennes sont tirées de Sénèque, texte établi et traduit par Léon Herrmann, Paris, Belles Lettres, t. I, 1924, pp. 66 sqq. (5) V. 195 sq. : Despensa nostris cineribus Polyxena Pyrrhi manu macteiur et tumulum riget. (6) V. 202 : Trïtonum ab alto cecinit hymenaeum chorus. La présence d'un chœur de Tritons ne doit pas nous étonner. La scène se passe au bord de la mer et les Tritons, ces êtres marins, sont représentés comme ayant une voix suave. D'autre part, à l'époque romaine, ils jouent fréquemment un rôle funéraire dans les motifs sculptés sur sarcophages. Quelquefois ils escortent les morts dans leur voyage vers l'au-delà. Cf. à ce sujet J. Carcopino, La basilique pythagoricienne de la porte majeure, Paris, L'artisan du livre, 1926, pp. 297 et 319. (7) V. 289 sq. : et f acinus atrox caedis ut thalamos uocent, non patiar. LË SAGRÍFIG Ë NUtïÎAL ί)Ε ÍOLYxlNÉ 385 il faut immoler la vierge sur le tertre funèbre du chef thessalien et c'est dans l'appareil nuptial des Thessaliennes, des Ioniennes et des Mycéniennes que Pyrrhus doit conduire à son père son épouse : ainsi le don sera conforme au rite » (x). Plus bas, aux vers 871- 877, on entend Hélène s'adresser à Polyxène en des termes où le sort réservé à celle-ci est encore comparé à un hymen : « Généreuse vierge de la famille de Dardanos, un dieu plus favorable commence déjà à protéger les vaincus et se prépare à te doter d'un heureux hyménée ; jamais Troie intacte, jamais Priam ne t'eussent donné un mariage si beau. Car c'est celui qui est la gloire suprême de la race des Pélasges qui t'appelle aux droits sacrés d'une union » (2). Et comme c'est elle, Hélène, qui est chargée de donner à la Troyenne Polyxène l'appareil nuptial d'une Grecque, elle lui ordonne de quitter ses vêtements de deuil, de prendre des vêtements de fête et de faire démêler sa chevelure par une main experte (3). Plus loin, cette même Hélène, ayant regretté de ne pouvoir partager la destinée de la victime, nous étonne en par ces mots : « ô infortunée Polyxène ! toi qu'Achille veut se voir livrer et immoler près de sa cendre pour être ton mari dans les Champs Ely sées » (4). Le sacrifice lui-même est raconté par (1) V. 360-365 : Dant fata Danais quo soient pretio uiam : mactanda uirgo est Thessali busto ducis, sed quo iugari Thessalae cultu soient Ionidesue uel Mgcenaeae nurus, Pyrrhus parenti coniugem tradat suo : sic rite dabitur. (2) V. 871-877 : Dardaniae domus generosa uirgo, melior afflictos deus respicere coepit teque felici parât dotare thalamo, tale coniugium tibi non ipsa sospes Troia, non Priamus daret. Nam te Pelasgae maximum gentis decus ad sancta lecti iura legitimi petit,... Ce passage est beaucoup moins probant, parce qu'Hélène, — elle le dit elle- même au vers 864 sq., — est chargée d'amener à l'endroit du sacrifice Polyxène, sous prétexte que celle-ci est destinée à épouser Pyrrhus. Mais ce prétexte ne peut nullement expliquer les autres passages où le sacrifice est assimilé à un mariage. (3) V. 883-885. (4) V. 942-944 : Polyxena miseranda, quam tradi sibi cineremque Achilles ante mactari suum, campo maritus ut sit Elysio iubet. Peut-être Hélène n'avait-elle exprimé que des regrets hypocrites ; peut-être 24 386 C. FOÍSÍT1NOY un messager (!). Le cortège s'avance comme un cortège nuptial : thalami more (2). Ce sont les flambeaux qui ouvrent la marche. Bien que, dans cette description, la comparaison avec un mariage ne soit pas aussi soutenue que les allusions précédentes nous fait supposer, dans l'ensemble de la tragédie cependant, l'équation sacrifice-mariage apparaît fréquemment et revient un leitmotiv (3). Sénèque le Tragique est le seul à avoir accordé une telle à ce thème surprenant, et le problème se pose de savoir où il pourrait avoir trouvé semblable idée (4). A-t-il emprunté ce motif à un auteur antérieur? Dans YHécube d'Euripide, le sacrifice de Polyxène n'était présenté avec des termes rappelant un hymen qu'en un seul endroit, lorsque la mère de la victime dit : « que je donne le bain suprême à ma fille, épousée sans époux, vierge qui n'est plus vierge... » mais il semble qu'on ne doive voir dans cet oxymoron qu'un paradoxe de poète (5). Lycophron est beaucoup plus explicite qu'Euripide : « Et toi, annonce-t-on à Polyxène, le farouche lion d'Iphis (€) t'entraînera à un cruel hyménée, à de sanglants sacrifices » (7). Le commentateur italien E. Ciaceri sem- songe-t-elle à sa propre culpabilité, qui contraste avec l'innocence de Polyxène ; peut-être aussi Achille l'avait-il blessée dans son amour-propre en lui préférant Polyxène. Cf. p. 391, n. 3. (1) V. 1118-1164. (2) V. 1132. (3) Sans doute le cortège s'ouvre par des flambeaux, comme dans un et ce détail ne figurait pas dans YHécube d'EuRipiDE (v. 517 sqq.). Mais on est étonné uploads/Litterature/ antiq-0770-2817-1950-num-19-2-2919.pdf

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