1 Titre : Pour une nouvelle conception de la "norme" linguistique dans l’enseig

1 Titre : Pour une nouvelle conception de la "norme" linguistique dans l’enseignement des langues Introduction La norme suscite de plus en plus de débats en didactique des langues; elle représente le socle de l’apprentissage scolaire en France mais son caractère prescriptif interpelle les sociolinguistes qui prônent la diversité linguistique désignée par la «variation», un phénomène qui peut toucher les productions langagières d’un individu, d’un groupe ou d’une communauté (Gadet, 2007). Dans cette contribution, je vais dans un premier temps mettre en lumière les rapports historiques, idéologiques et culturels de la norme avec l’enseignement du français et faire dans un deuxième temps, quelques propositions d’objectifs et de contenus linguistiques pour l’enseignement du français. Ces propositions tiennent compte de la réalité éducative d’une salle de classe de sociétés pluriculturelles et sont compatibles avec tous les enseignements du français que ce soit langue maternelle, seconde ou étrangère. 1. La norme du français standard comme socle de l’apprentissage scolaire La norme se définit dans le contexte des apprentissages linguistiques tel un modèle unique de référence prescrivant un ensemble de règles de fonctionnement d’une variété de la langue. En français, la grammaire scolaire se présente tel le garant de la norme, elle fixe les règles et évalue les usages. Or, un regard réflexif sur les contenus de cette grammaire révèle son caractère répressif à l’égard de la diversité et de l’élasticité des usages effectifs du français en France et hors de France. Les observateurs de l’enseignement de la langue qu’elle soit maternelle ou secondaire, au primaire ou au secondaire se posent souvent de nombreuses questions sur le contenu et la pertinence de ces apprentissages linguistiques. Quel français doit-on enseigner ? Peut-on faire abstraction de la variation linguistique ? Devra-t-on décrire la langue à partir de faits linguistiques observables, c'est-à-dire les performances diverses et variées auxquelles on est exposés dans la vie quotidienne ou bien penser la langue à partir de compétences idéalisées? L’institution normative condamne certaines formes ou unités lexicales pour en recommander d’autres : dans l’absolu certaines formes sont jugées incorrectes alors que hal-00385090, version 2 - 26 Jul 2009 2 d'autres représenteraient le modèle idéal d’usage linguistique; considérons les énoncés suivants : (1) Le film que je t’ai parlé passe pas ce soir (2) Le film dont je t’ai parlé ne passe pas ce soir Pour la plupart des lecteurs, et plus particulièrement pour les «puristes», le premier énoncé pourrait apparaitre comme déviant du « bon usage » de la langue pourtant, il est plus proche de l’usage réel de la langue que l’énoncé (2) qui relève davantage de l’écrit et dont l’énonciateur pourrait dans certaines circonstances essuyer la remarque sarcastique : «il parle comme un livre ». Ce que nous avons ici c’est la censure appliquée à une structure syntaxique fautive (énoncé 1) en fonction d’un énoncé jugé normal (énoncé 2) or la question de «norme» ne se pose pas de la même façon à l’oral qu’à l’écrit, Au quotidien nous sommes confrontés à une variation langagière multidimensionnelle : phonologique, syntaxique, sémantiques (sur lesquelles je reviendrai) pourtant le «français scolaire» constitue la norme de référence, la variété qui domine dans l’ensemble des activités scolaires. L’école produit un français « standard, homogène et normé qui élimine toute variation sociale ou dialectale […] le français écrit littéraire tend à fonctionner dans certaines situations de classe comme norme et but à atteindre en toute situation» (Boutet, 2002 :145). Devant ce confinement de la norme scolaire dans l’écrit littéraire, on est amené à se poser la question suivante: d'où vient cette perception de faute alors que de toute évidence les deux énoncés (1) et (2) sont pragmatiquement fonctionnelles? Quels sont les fondements de la légitimité d'une forme et de l'illégitimité de l'autre? 2. Norme et légitimité La légitimité de la norme en France a été instaurée dans l’histoire du pays par des choix culturels, politiques et idéologiques : la suppression explicite des dialectes parlés sur le sol français (le normand, le bourguignon, l’occitan, le provençal, etc.) et la multiplication des lois et des textes au cours du 20ème siècle en faveur de la diffusion d’un monolinguisme ardu ont fait du français parisien, parlé par le roi et sa Cour, la seule référence linguistique du pays ce qui apparaît alors comme une norme n’est autre qu’une description des usages de ces hal-00385090, version 2 - 26 Jul 2009 3 derniers comme l’a souligné Rey dès (1972 : 69) : La norme en France «repose sur le concept habilement manipulé d’ ‘‘usage’’ ». L’école républicaine joue un rôle primordial dans l’institution d’un monopole linguistique fortement lié à la tradition française du rapport de la nation à la langue. Bertucci & Corblin (2004 :5) soulignent que : «Le monolinguisme, solidement ancré dans la tradition de l’enseignement républicain constitue la base idéologique, explicite ou non, de l’approche de langue dans les programmes scolaires». Selon cette approche sociohistorique de la conception normative, la norme tend à établir un conformisme linguistique national unitaire; elle fait partie intrinsèque du réel linguistique et socioculturel de la société dans la mesure où une communauté linguistique, définie tel «un groupe de sujets parlants qui possèdent en commun des ressources verbales et des règles de communication»1 (Bachmann et al., 1981 : 61) se construit sur la base d’un langage commun qui sert à identifier les membres d’une même communauté et assure l’intercompréhension entre les différents usagers. Ainsi conçue, la norme s’oppose toujours aux tendances à la diversification, à la dialectisation, elle devient un modèle descriptif, évaluatif et prescriptif. Bourdieu (1982 : 42) précise : «La compétence suffisante pour produire des phrases susceptibles d’être comprises peut être tout à fait insuffisante pour produire des phrases susceptibles d’être écoutées, des phrases propres à être reconnues comme recevables dans toutes les situations où il y a lieu de parler». La norme se réduit par conséquent à l’usage des intellectuels, des écrivains, des artistes, des professionnels de médias, etc. et sont tenus pour légitimes les formes que ceux-ci emploient. En revanche, force est de constater que la langue est sujette au changement et à la diversité. 3. La norme face à la variation 3.1. L’observation empirique de la langue En effet, Chaque langue offre à ses usagers un matériau variationnel multidimensionnel et ce en fonction du temps, de l’espace et du profil social des locuteurs. Les sociolinguistes par leur intérêt à l’usage et aux usagers, ont en cherché des régularités. Gadet (2007), considère deux typologies de variation : 1 Cette notion reste instable, relative et discutable. Elle reçoit diverses acceptions. Pour Labov (1976 : 338), une communauté linguistique est un ensemble de locuteurs qui partagent les mêmes normes et attitudes sociales envers la langue. Pour Bloomfield (1970 : 54), il s’agit «d’un groupe de gens qui agit au moyen du discours.» Ses membres peuvent parler de façon semblable ou peuvent se différencier au point de ne pas arriver à comprendre les locuteurs de régions voisines». hal-00385090, version 2 - 26 Jul 2009 4 A. Variation selon les usagers : elle concerne l’échange verbal interlocuteur - Variation diachronique: historique (français du XVIIe s. /du XXIe s.) - Variation diatopique: spatiale ou régionale (France / Canada / Afrique ; Paris / Marseille) dialectes, régiolectes - Variation diastratique: sociale et démographique (jeunes /personnes âgées, ruraux / urbains, professions différentes, niveaux d’études différents…) dans ce paradigme on trouve également le sociolecte qui est la variation liée à la position sociale et le technolecte qui signifie la variation selon la profession ou la spécialisation. B. Variation selon l’usage : elle concerne l’usage intra-locuteur - Variation diaphasique (ou situationnelle ou stylistique) : c'est-à-dire qu’une même personne, quelle que soit son origine sociale, parle différemment selon la situation de communication (contexte de communication, âge du locuteur, support écrit ou oral…) - Registres : - registre soutenu (ou encore soigné, recherché, élaboré, châtié, cultivé, tenu…) - registre standard (ou non marqué ou encore courant, commun, usuel - registre familier (ou encore relâché, spontané, ordinaire) - registre vulgaire La variation (selon l’usage ou selon les usagers) se manifeste à tous les niveaux de la langue: phonique, morphologique, syntaxique et lexicale. Considérons l’énoncé n°3 qui présente un extrait du parler d’un jeune de la banlieue française : (3) "Avec les profs, on parle à la soutenue, mais quand un keum (mec) de la téci (cité) se fait serrer par les kisdés (policiers, en général en civil ‘qui se déguisent’), il parle ascom (comme ça), parce que les flics ne captent que 2 ou 3 mots » (Goudailler : 1997) Cet énoncé décrit une fonction cryptique de la langue qui s’exerce particulièrement dans les rapports avec les adultes (parents, commerçants, professeurs, éducateurs, policiers). Cette tendance à la créativité langagière est particulièrement présente chez les jeunes, or leur pratique langagière est exclue de la description scolaire. La maitrise du code écrit de la langue est parfois présentée en France comme un bien supérieur aux performances proprement orales (Blanche-Benveniste, 1997 :13); il convient de préciser à cet égard que la question de norme ne se pose pas de la même façon à l’oral uploads/Litterature/ article-vers-une-nouvelle-conception-de-la-norme.pdf

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