Apprentissage assisté par Story Telling : une pédagogie de l'erreur Eddie Souli

Apprentissage assisté par Story Telling : une pédagogie de l'erreur Eddie Soulier* — Jean Caussanel** * Institut des Sciences et Technologies de l’Information de Troyes (ISTIT), équipe Technologie de la Coopération pour l'Innovation et le Changement Organisationnel (Tech-CICO), Université de Technologie de Troyes (UTT), 12, rue Marie-Curie – BP 2060 – 10100 Troyes Cedex ; eddie.soulier@utt.fr ** Laboratoire des Sciences de l'Information et des Systèmes, Campus St-Jérome, Avenue Escadrille Normandie Niemen, 13397 Marseille Cedex 20 ; jean.caussanel@lsis.org Résumé L’expérience présentée dans cet article s’appuie sur des études de psychologie cognitive portant sur le rôle des défaillances expectatives dans l’apprentissage à partir d’histoires. Les Environnements Informatiques d’Apprentissage Humain (EIAH) que l’on peut construire à partir de cette approche se révèlent bien adaptés à l’apprentissage des compétences comportementales. Nous présentons ici un exemple d’utilisation d’un tel système de formation à partir d’histoires dédié au développement des conduites sociales de consultants spécialisés. Mots-clés : raisonnement à partir de cas, défaillance expectative, représentation d’histoires, narration, communauté de pratique. Abstract The experiment presented in this article is based on cognitive psychology studies dealing with the role of expectation failures in learning based on stories. The Interactive Learning Environments (ILE) which could derived from this approach are well fitted to the learning of behavioural competencies. We present an example of the usage of such a story-based learning system dedicated to the development of the social conducts of expert consultants. Keywords: case-based reasoning, expectation failure, story representation, storytelling, community of practice. Introduction L’utilisation de récits d’experts dans un but didactique est un paradigme d’apprentissage médiatisé par ordinateur en plein développement [1]. L’objectif de cet article est d’éclairer le mécanisme d’apprentissage en jeu autour de la narration et la modélisation informatique des histoires en vue de la conception d’un environnement informatique d’apprentissage humain (EIAH) dédié au développement des compétences comportementales de consultants. Le travail présenté ici s'inscrit dans le cadre d'un projet plus vaste en coopération avec l'entreprise Cap Gemini Ernst & Young (CGEY). Ce projet vise à montrer l'intérêt des histoires dans l’apprentissage de connaissances contextualisées, notamment pour le développement de compétences comportementales. L'expérimentation porte sur un projet de Knowledge Management impliquant une équipe de cinq consultants au sein d'un grand opérateur de télécommunication français sur une mission de deux ans. Nous avons réalisés des interviews de ces consultants, recueillis 8 heures d'interviews formant un corpus de 400 micro récits (4 heures d'interviews restant encore à analyser). La notion d’histoire et son statut en psychologie cognitive A la différence des compétences techniques, qui peuvent paraître valides aux yeux d’un observateur extérieur compétent ou au regard d’un référentiel externe, les compétences sociales ou comportementales, bien que contribuant à une performance dans un rôle ou une fonction spécifique, et observables en situation, sont plus délicates à décrire et à simuler dans un but d’apprentissage. Leur contribution à la performance individuelle et collective est pourtant aujourd’hui unanimement reconnue comme plus importante que les seuls savoir-faire techniques. Les concernant, une autre question porte sur le nombre de compétences à prendre en compte. Les modèles réalistes de compétences cherchent à établir une nomenclature des compétences considérées comme suffisantes pour caractériser les comportements utiles aux différentes fonctions d’une organisation, ce qui peut représenter un nombre important de compétences comportementales élémentaires (de 30 à 70, selon les différents référentiels professionnels). Les modèles élitistes de compétences préconisent au contraire l’évaluation d’un nombre limité de compétences qui distinguent les performeurs supérieurs des autres [2], celles qui font la différence (souvent moins de 10). Nous situons nos travaux dans cette seconde perspective, car nous travaillons sur cinq compétences clés : la dissociation, la résolution, la communication, l’interaction et la régulation. Figure 1. Taxonomie des compétences Un troisième aspect concerne enfin le statut épistémologiquement ambigu des connaissances associées aux compétences comportementales. A la différence des compétences techniques ou cognitives, la qualification de connaissances « correctes » qui caractériserait un état de connaissance d’un agent humain mettant en œuvre une compétence comportementale (connaissance de soi, orientation vers le client, capacités de décision, gestion de soi….) revêt un tour très relatif. On peut seulement constater que les connaissances antérieures des agents existent et quelles sont plus ou moins bien adaptées au traitement de la situation en cours. Cette caractéristique nous renvoie aux paradigmes traitant des erreurs [3] ou des misconceptions [4]. Pourtant, nous nous en affranchirons en considérant que la question de l’efficacité des savoirs pratiques de nature comportementale ne se pose pas en termes de connaissances supposées erronées qu’il s’agirait d’opposer à des connaissances qui seraient intrinsèquement correctes, mais en termes de surprise ou de non surprise. Cette notion, que nous situons à l’origine du mécanisme de prise de conscience d’un déséquilibre cognitif et de son rétablissement [5], est l’un des moteurs fondamentaux de l’apprentissage [6]. Elle a été abordée de diverses manières, par exemple en termes de dissonance [7], notion qui exprime un certain état d’inconfort psychologique. La surprise est une des sources de discrépance et donc d’activation. Dans les théories constructivistes, le conflit est un concept différent mais qui est considéré comme une autre source possible de déséquilibre. La notion de surprise ne présuppose encore ni erreur, ni conflit, ni existence d’une connaissance de référence, consensuelle et juste. L’état de connaissance d’un agent humain à un moment donnée résulte plutôt d’une co-adaptation optimale d’un sujet et d’un milieu en interaction sous des critères d’adéquation et d’effectivité [8]. L’apprentissage est justement le processus qui permet à ce système de retrouver un équilibre après une perturbation plus ou moins sévère. La surprise figure comme l’une de ces perturbations sévère, bien qu’elle soit très banale au quotidien. Nous dirons que la surprise est un indicateur et un analyseur des processus intellectuels en jeu, et donc des opérations intellectuelles dont elle est la trace. La surprise encapsule la remise en cause des connaissances antérieures du sujet et la rééquilibration majorante qui peut s’ensuivre, laquelle prendra la forme d’une amélioration de la forme précédente de compétence. La surprise signifie que les attentes et les prédictions de l’agent, fondées sur ses connaissances antérieures, ont été déjouées. La connaissance est le contraire de la surprise. « L’incompétence » à prédire une situation sur la base de notre connaissance antérieure nous entraîne souvent à réviser notre base de connaissances. Nous recherchons une explication en nous même ou bien d’autrui dans notre quête incessante pour faire des prédictions plus précises, car l’individu cherche à contrôler les évènements qui peuvent l’affecter [9]. Pour apprendre, il faut néanmoins que le sujet détecte et soit à même de considérer sa surprise comme le témoignage d’un échec, c’est-à-dire comme une attente non satisfaite. C’est lors de cette seconde étape qu’intervient la notion d’équivocité. En l’absence d’une connaissance de référence, comme cela est le cas dans la plupart des situations de conseil qui sont à dominante sociale et relationnelle, la connaissance erronée, partielle ou en tous cas mal adaptée du consultant le confronte, lorsque son attente est insatisfaite, à une situation qu’il jugera équivoque, plutôt que fausse. C’est d’ailleurs principalement le degré auquel la situation est perçue comme équivoque qui doit devenir selon nous la dimension explicative de la construction des interprétations. La notion d’équivocité renvoie à la présence d’interprétations multiples voire même contradictoires pour une même situation. En l’absence de toute connaissance de référence, il est probable qu’un observateur extérieur « compétent » jugerait lui aussi la situation équivoque, et donc discutable. Trois cas de figure peuvent se présenter : le sujet « oubli » ou diffère l’explication de l’inadéquation momentanée de sa connaissance ; l’échec de son attente entraîne le sujet à en élaborer une histoire, c’est-à-dire un « cas » au sens que lui donne les chercheurs en IA sur le Raisonnement à Partir de Cas (RàPC) [10] ; pour réduire l’équivocité de la situation, le sujet éprouve le besoin de confronter rétrospectivement son point de vue avec autrui concernant l’échec de ses prédictions passées ou bien le contexte conversationnel lui donne l’occasion de le faire, notamment si son interlocuteur évoque un thème qui tourne autour du même type d’échec. Cette dernière situation est intéressante en ce qu’elle ouvre directement sur une perspective d’interaction, c’est-à-dire sur la narration. N’oublions pas que les histoires se communiquent principalement d’individu à individu et constituent un phénomène interactif. Un échange conversationnel peut ainsi être vu comme un échange d’histoires (ou de cas) au sein duquel les agents communiquent volontairement leur étonnement, un évènement digne d’être raconté à leur entourage, dont ils essayent d’évaluer la validité Compétences Techniques Comportementales Utiles et suffisantes Qui font la différence En situation habituelle En situation équivoque intersubjectivement. La narration peut être vue comme la forme discursive et conversationnelle de la surprise qui s’établie sur un plan plus comportemental et cognitif. Selon Dessalles, notre manière narrative de communiquer est shannonienne [11]. Un évènement apporte d’autant plus d’information qu’il était a priori improbable et qu’il est « désagréable », au sens où il dérange les croyances du narrateur et/ou son interlocuteur. Labov considère qu’un récit s’organise autour de l’évènement le plus racontable qu’il contient, c’est-à-dire le plus surprenant eu uploads/Litterature/ apprentissage-assiste-par-storytelling-pdf.pdf

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