Français La Boîte à merveilles d’Ahmed Sefrioui Du regard ethnographique au reg
Français La Boîte à merveilles d’Ahmed Sefrioui Du regard ethnographique au regard critique Fouad MEHDI AGREGE de Français Ahmed Sefrioui est l’auteur maudit de la critique. De tous les romanciers marocains de langue française, il est celui qui a essuyé les critiques les plus vives. Gratifié des qualificatifs les plus dévalorisants- déchet du système colonial, reproducteur servile des clichés de la littérature exotique pour plaire au public français…-, il a été classé, par un consensus critique qu’il faut analyser, dans la catégorie des auteurs ethnographiques. Pour la quasi-totalité des critiques, en effet, A. Sefrioui ne fait que ressasser les stéréotypes de la littérature folklorique. Romancier naïf, il est dans une posture d’idéalisation de la vie quotidienne, et, pire encore, d’occultation du colonialisme. Cette communication s’inscrit résolument dans une perspective de réhabilitation de Sefrioui. Par une attention permanente aux structures textuelles, je tâcherai de montrer que la Boîte à merveilles trahit un regard critique, sans complaisance, pour la société marocaine et le colonisateur. Mais l’intérêt est que cette vision s’intègre à une réflexion originale sur l’art du récit. La réception critique d’A. Sefrioui Pour comprendre les critiques virulentes dont l’œuvre de Sefrioui a fait l’objet, il convient de se replacer dans le contexte politique du Maroc des années soixante et soixante-dix. Dans un paysage culturel dominé par les intellectuels de gauche, en particulier par le groupe de la revue Souffles, qui, à partir de 1966, s’est constitué autour du poète A. Laâbi, l’art est investi d’une mission : le parachèvement de l’entreprise décolonisatrice par la revivification de la culture nationale. Dans cette perspective, la littérature est un outil de combat : le message idéologique, c’est-à-dire la réhabilitation de la culture populaire, doit l’emporter sur les préoccupations esthétiques. Un récit doit afficher, d’une manière transparente et ostentatoire, les choix idéologiques de son auteur. En somme, l’art est une affaire d’engagement. A. Sefrioui était donc une victime toute désignée. Son œuvre fictionnelle consacre l’ordre établi. La preuve en est qu’elle ne conteste pas le fait colonial. D’ailleurs, les Français sont totalement absents de ses récits. La Boîte à merveilles est un exemple éloquent à cet effet. A. Laâbi résume bien cet état d’esprit quand il écrit : « Mais ces œuvres [celles d’A. Sefrioui] ne dérangeaient rien. Elles décrivaient une vie quotidienne en hibernation, s’y complaisaient, des « états d’âme » qu’appréciait beaucoup le public étranger friand d’exotisme serein et d’orientalismes. Ce monde figé où triomphe l’anecdotique, « la description haute en couleurs » était mû par divers complexes et surtout par le besoin d’exercice de style : « un magicien de la langue française », dira à ce propos un critique bien protecteur. A. Sefrioui ne demandait pas plus que cette consécration par un diplôme d’honneur et de mérite. »1 1 - Abdellatif LAÂBI, « Défense du Passé simple » in Souffles n 5, 1967, p. 19. 4 www.marocagreg.com http://www.marocagreg.com professeur au CPA de Meknès Exposé présenté dans le cadre de la journée organisée par FPAM, le 16/12/2007 Français Ce que Laâbi reproche à Sefrioui, c’est d’avoir écrit pour un public français. La preuve en est que l’auteur de la Boîte à merveilles a inséré, à la fin du récit, un glossaire de mots arabes traduits en français. Cet acte est interprété par Laâbi comme symptomatique d’un désir profond de plaire au colonisateur et, partant, d’obtenir sa reconnaissance. C’est donc tout naturellement que Sefrioui a été affublé de l’étiquette avilissante d’auteur ethnographique, celui qui, continuateur de la littérature coloniale, ne fait qu’en ressasser les clichés les plus éculés. D. Chraïbi écrit à cet effet : « Il faudrait deux paires de gants de velours pour juger les romans d’A. Sefrioui. Si délicate que soit leur poésie, n’appartiennent-ils pas déjà à un monde en voie de disparition non que j’entends par là que je leur reproche de ne pas être noirs ou désespérés mais ils relèvent de la littérature si fine de notation mais assez peu engagé de F. Bonjean. »2 En somme, ce qu’on reproche à Sefrioui. C’est de s’en tenir à une description béate de la vie quotidienne en rabâchant les stéréotypes de la littérature exotique : les fêtes religieuses, les scènes de marchandage au souk, le bain maure… La critique littéraire, à son tour, va relayer ces reproches. A. Khatibi, qui dénonce le « subjectivisme naïf » de Sefrioui, écrit : « Aujourd’hui, au Maghreb, l’écrivain qui se croit obligé d’être un « désengagé » et un créateur solitaire nous paraît déplacé par rapport à son siècle. La culture occidentale bourgeoise est mise en question- de l’intérieur- par de nombreux intellectuel. Pourquoi devons-nous rester attachés à une culture individualiste, stérilisante et qui a fait son temps ? »3 Même Marc Gontard, dont l’approche se situe au plus près des structures textuelles, et est, de ce fait, moins marquée par les partis pris idéologiques, mêmes M. Gontard formule un point de vue sans concession à l’égard de Sefrioui. Certes il lui reconnaît cet apport capital d’avoir donné de la culture marocaine « une vision de l’intérieur qui s’opposait au regard folklorisant de l’ « exote… », notamment en intégrant « la culture populaire orale dans l’écriture ». Mais à l’instar de Khatibi, il lui reproche un manque évident de maturité : « Il est vrai enfin, que le regard de Sefrioui sur la société n’est jamais critique, bien au contraire. Ses récits baignent dans une atmosphère de religiosité et de soumission absolue à l’ordre coranique… »4 On voit donc bien comment un contexte idéologique peut orienter, voire fixer la réception d’une œuvre, et donc en sceller le destin. Consentons, pendant un moment, de ne pas prendre ces critiques pour argent comptant, et essayons de les mettre à l’épreuve du récit. Les modes de représentation du réel dans la Boîte à merveilles Convenons d’emblée que la Boîte à merveilles procède d’un principe fondateur : « A six ans, j’avais déjà conscience de l’hostilité du monde et de ma fragilité. »5. Il n’est pas inutile de rappeler, en effet, que le personnage-narrateur n’a que six ans. Sa saisie du monde est primaire. Infantile pour tout dire. Les considérations politiques compliquées 2 - Driss CHRAÏBI, « Littérature nord-africaine d’expression française » in Confluent n 5, 1960, p. 26. 3 - Abdelkébir KHATIBI, Le Roman maghrébin, Rabat, SMER, 1979, p. 46. 4 - Marc GONTARD, Violence du texte, L’Harmattan/SMER, 1981, p. 14. 5 - Ahmed SEFRIOUI, La Boîte à merveilles, Seuil, 1954, p.19. Toutes les citations réfèrent à cette édition. 5 www.marocagreg.com http://www.marocagreg.com Français demeurent en dehors de sa portée. D’ailleurs il évolue dans un univers de pauvres dont la préoccupation majeure est la subsistance au jour le jour. Les femmes sont obsédées par ce qu’il faut mettre dans la marmite ; l’enfant, lui, estime qu’il n’appartient pas à une famille pauvre parce qu’il mange de la viande deux fois par semaine ; et le père, qui a perdu son argent, s’écrie : « il nous sera difficile d’avoir du sucre et du thé tous les jours»6. Par ailleurs, l’enfant, qui est de santé fragile, est souvent malade. Il suffit de la moindre petite contrariété pour qu’il soit pris de coliques ou tombe en proie à la fièvre qui occasionne le délire. Pire encore, en assistant à l’altercation entre sa mère et Rahma, son malaise est si grand qu’il finit par perdre connaissance : « Je n’en pouvais plus. Mes oreilles étaient au supplice. Mon cœur dans ma poitrine heurtait avec force les parois de sa cage. Les sanglots m’étouffèrent et je m’écroulais aux pieds de ma mère, sans connaissance. »7 . C’est probablement pour cette raison que l’enfant est sensible, plus que quiconque, à ce qu’il perçoit comme des agressions du réel. Et c’est probablement aussi pour cette raison qu’il a une propension naturelle à la solitude et au rêve : « J’étais un enfant seul […] J’avais un penchant pour le rêve. »8. D’où l’intérêt du titre : La Boîte à merveilles. Le réel est asphyxiant. La boîte, elle, grâce à la puissance de l’imagination, devient un univers. Les objets les plus anodins permettent l’évasion par la pulvérisation des limites étroites du réel et le dépassement de son caractère de par trop bruyant. En effet, ce qui agresse le plus l’enfant, ce sont les bruits qui l’assaillent de toutes parts. Le milieu dans lequel il évolue est trop bruyant. Les manifestations de la joie, comme celles du malheur, se font dans une sorte de démesure acoustique. Le tintamarre est partout : dans les activités des enfants qui jouent (p.10) ou décorent le msid (p.77), dans les rapports entre les femmes, au hammam (p.11) et chez soi- altercation de la mère du narrateur avec Rahma-, dans les relations commerciales entre les hommes- que l’on songe à la séquence de l’achat des bijoux-. Personne n’est épargné. La société marocaine, en tout cas celle que décrit Sefrioui, souffre de la maladie de la violence verbale. En fait, les humains parlent si fort que leur langage en devient inintelligible. Le duel verbal entre Rahma et Zoubida finit uploads/Litterature/ la-boite-a-merveilles 3 .pdf
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- Publié le Sep 07, 2022
- Catégorie Literature / Litté...
- Langue French
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