L ’Actualité Poitou-Charentes – N° 42 32 ean-Pierre Clément, professeur d’espa-

L ’Actualité Poitou-Charentes – N° 42 32 ean-Pierre Clément, professeur d’espa- gnol à l’Université de Poitiers, dirige le Centre de recherches latino-américaines. Créé en 1969 par Raymond Cantel, le initialement, c’est une petite équipe de trois personnes installée à Nanterre et dirigée par Amos Segala, directeur de recherches au CNRS. En janvier 1995, à sa demande, le CNRS a dé- cidé d’intégrer notre équipe et de nous confier la coordination scientifique de la collection Archivos. La fusion du Centre de recherches latino-américaines de Poitiers et de l’équipe CNRS Archivos a donné naissance à l’Ura 2007. Comment et pourquoi est née Archivos ? La collection Archivos est née de la rencontre d’Amos Segala et de Miguel Angel Asturias, grand écrivain guatémaltèque, prix Nobel de littérature en 1967. A sa mort, ce grand amou- reux de la France a légué tous ses manuscrits à la Bibliothèque nationale de France, à condi- tion que ses œuvres soient éditées et qu’Amos Segala en soit le responsable. Celui-ci devait travailler selon les principes scientifiques de la génétique des textes. Il s’agit d’éditer le texte définitif, mais en signalant toutes les étapes intermédiaires qu’il a connues. On part des manuscrits originaux, de la ge- nèse du texte, de la façon dont il est né et l’on suit son évolution, les changements, c’est très enrichissant pour la compréhension du texte et la connaissance de l’auteur. Amos Segala s’est rendu compte qu’il ne dis- posait pas de sommes assez importantes pour tout publier. Il a donc eu l’idée de créer une association internationale, Archivos, reconnue par l’Unesco, qui éditerait tous les grands écri- vains d’Amérique latine du XXe siècle. La col- lection envisage aussi de publier des auteurs en anglais (de la Jamaïque par exemple) ou en français d’Haïti. Elle regroupe dix pays, dont la France, l’Ita- lie, le Portugal, l’Espagne et six pays d’Amé- rique latine. Trente-cinq titres ont déjà été pu- bliés, parmi lesquels : Paradiso de José Lezama Lima, El Chulla Romero y Flores de Jorge Icaza ou Libertinagem – Estrela de manha de Manuel Bandeira. Tous les livres sont édités selon le principe de la génétique des textes et soumis à une réflexion critique menée par des chercheurs du même pays que l’auteur, mais aussi d’Amérique du Nord ou d’Europe. La couverture est illustrée par une œuvre origi- nale d’un peintre vivant originaire du même pays que l’auteur. Chaque volume est tiré à 9 500 exemplaires et diffusé en France par l’Unesco. Quels sont les grands projets d’Archivos ? Asturias aurait cent ans en 1999. Nous allons, pour l’occasion, organiser en mai un colloque Archivos LITTÉRATURE une collection latino-américaine G Propos recueillis par Marie Martin Photo Claude Pauquet J centre travaille sur la littérature latino-améri- caine, de langue espagnole et portugaise. De- puis 1995, le centre est associé à Archivos, une équipe de recherches de Paris qui a pour but d’éditer les chefs-d’œuvre de la littérature latino-américaine contemporaine. Le colloque organisé à Poitiers en juin dernier1, et soutenu par Com’science, a permis de faire le point sur les nouvelles avancées des recherches. L’Actualité. – Quel est le rôle de Poitiers au sein d’Archivos ? Jean-Pierre Clément. – Archivos travaille avec cinq cents chercheurs dans le monde, mais Entretien avec Jean-Pierre Clément sur l’édition des chefs-d’œuvre de la littérature d’Amérique latine L ’Actualité Poitou-Charentes – N° 42 33 avec les spécialistes d’Amérique latine de Tou- louse. Les actes seront publiés et présentés le jour anniversaire de la naissance de l’auteur le 17 octobre, à l’Unesco. Six titres le concer- nant sont en préparation tels que El Senor presidente ou Poesia completa. Nous avons une centaine d’autres ouvrages en préparation comme les œuvres de Severo Sarduy, Manuel Puig, José Marti ou José Car- los Mariategui. Tous les pays seront à terme représentés, même si les auteurs ne sont pas toujours connus en Europe. Un accord a été passé entre l’association Archivos, l’Unesco et les éditions Stock, d’une part, pour publier la collection en français (deux titres sont parus : Œuvres complètes de José Asuncion Silva et Macunaïma de Mario de Andrade, et deux sous presse) et avec l’uni- versité de Pittsburgh, d’autre part, pour la tra- duction anglaise (six titres sont déjà publiés). Quelles sont les grandes caractéristiques de la littérature latino-américaine ? La littérature latino-américaine a beaucoup de succès car c’est en général une très belle écri- ture, souvent poétique. Elle fait la part belle à l’imaginaire et aux rêves. Elle fait aussi appel aux légendes, aux mythes, s’inspire souvent de la tradition indigène. Les indigènes sont très méprisés dans leur pays, dans toute l’Améri- que latine, mais les écrivains, eux, puisent dans leur richesse culturelle. Depuis quelques années, les écrivains s’inté- ressent à nouveau à leur passé. Il y a d’abord eu des romans sur l’histoire immédiate, ré- cente, notamment sur les dictateurs : El Senor presidente d’Asturias. Puis, les Latino-Amé- ricains sont remontés dans le temps. Roa Bastos a écrit sur Christophe Colomb, La Veille de l’amiral, Carlos Droguett, sur la période coloniale. L’histoire sert d’objet de réflexion. Ce n’est pas simplement une description. C’est une littérature de l’imaginaire qui utilise l’his- toire. Les textes anciens s’immiscent dans l’écriture moderne. Quelles sont les particularités du centre de recherches de Poitiers ? A partir de 1969, Alain Sicard, ancien direc- teur du centre, spécialiste de la littérature latino-américaine, a constitué une équipe pour travailler sur des auteurs essentiels qui n’étaient pas encore connus en Europe comme Carlos Droguett, Feliberto Hernandez ou Augusto Roa Bastos. L’équipe a su entretenir des relations amicales avec de nombreux grands écrivains d’Amérique latine tels que Cortazar ou Neruda, qui nous ont ainsi rendu visite. Le centre dis- pose de plusieurs fonds de documentation ouverts aux chercheurs de tous les pays. Car- los Droguett nous a légué tous ses manuscrits et Julio Cortazar, un nombre important de do- cuments bibliographiques. En juin dernier, nous avons reçu une nouvelle donation com- posée de manuscrits et de tableaux de Juan Emar, poète chilien, grand amoureux de la France. 5 000 folhetos, 2e collection mondiale Raymond Cantel a été le premier à s’intéres- ser à la littérature populaire du Brésil, avant les Brésiliens eux-mêmes. Il allait faire les marchés du Nord-Est, surprenant même les autochtones, pour acheter des folhetos, des li- vrets de 8 à 32 pages qui sont présentés sur des stands accrochés avec des cordes et des épingles à linge, on appelle d’ailleurs cela Literatura de cordel, littérature à la ficelle. Ils sont illustrés par des gravures sur bois un peu naïves, très réelles ou parfois des photos. Dans la vraie tradition littéraire, les folhetos contien- nent des histoires, toujours racontées sous forme de poèmes, où il est question de Char- lemagne, Roland à Roncevaux... En effet, la poésie française a influencé la littérature por- tugaise ancienne. Ces thèmes médiévaux sont ensuite passés au Brésil où ils ont persisté et où se sont ajoutées d’autres histoires héritées de la tradition populaire, des récits des bandits brésiliens ou de faits divers tels que l’assassi- nat de Kennedy ainsi que des prophéties. Des poèmes ont même été écrits sur Raymond Cantel. Nous possédons sa collection, excep- tionnelle, la deuxième au monde en importance, constituée d’environ 5 000 folhetos. Ils font l’ob- jet d’une exploitation systématique, dirigée par Ria Lemaire, professeur de portugais. Sur quoi portent vos recherches person- nelles ? Ma spécialité est la littérature coloniale. J’ai écrit mon premier livre sur le XVIIIe siècle. En 1992, j’avais traduit, avec Jean-Marie Saint- Lu, les œuvres complètes de Christophe Co- lomb. Nous sommes en train de préparer la tra- duction de l’Histoire des Indes du père Bartolomé de Las Casas, le défenseur des In- diens, trois volumes et plus de 2 000 pages. Le dernier livre que j’ai publié, El Mercurio Peruano (1790-1795), est consacré à un jour- nal péruvien de la fin du XVIIIe siècle. I La critique génétique Selon Fernando Colla, ingénieur de recherche de l’Ura 2007, la critique génétique désigne «un ensemble de méthodes d’analyses et d’interprétation des manuscrits littéraires modernes. Cette nouvelle discipline s’est forgée en France durant les années 70. Elle part de l’hypothèse que l’œuvre littéraire est le résultat d’un travail de l’écrivain et que l’étude des “traces” laissées par ce travail est un outil essentiel à la compréhension globale de celle-ci. Les “manuscrits de l’œuvre” constituent, par conséquent, l’objet d’étude spécifique de cette approche critique, et son objectif peut être défini, en reprenant les mots d’un de ses fondateurs, Pierre-Marc de Biasi, comme celui de “reconstituer une histoire du texte à l’état naissant en cherchant à y retrouver les secrets de fabrication de l’œuvre. Rendre visible et comprendre l’originalité du texte à travers le processus qui lui a donné naissance”.» 1. «L’imaginaire latino- américain à travers vingt ans d’Archivos». Depuis 1970, le centre de recherches latino- américaines de Poitiers a organisé 28 colloques internationaux, réunissant jusqu’à 80% d’étrangers. Les actes des colloques sont publiés et diffusés dans le monde entier, grâce à des accords avec la maison d’édition espagnole Fundamentos. uploads/Litterature/ archivos-une-collection-latino-americaine 1 .pdf

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