1 ÉCOLE NORMALE SUPÉRIEURE DE LYON ÉCOLE DOCTORALE, LANGUES, LINGUISTIQUE & ART
1 ÉCOLE NORMALE SUPÉRIEURE DE LYON ÉCOLE DOCTORALE, LANGUES, LINGUISTIQUE & ARTS Centre d’Études Poétiques Thèse de doctorat L’Avatar du Moi L’évolution théorique de la poétique d’Antonin Artaud Présentée et soutenue par Atsushi KUMAKI Discipline : Littérature française Directeur de thèse : Monsieur Jean-Marie GLEIZE Date de la soutenance : le 25 juin 2011 Jury : Monsieur Vincent VIVÈS (Rapporteur) Monsieur Jean-Pierre BOBILLOT (Rapporteur) Monsieur Jean-Marie GLEIZE (Directeur de thèse) 2 Résumé Le but de la présente thèse est de retracer le changement théorique qu’a réalisé Antonin Artaud de la notion du moi, et par là d'éclairer la poétique particulière qu’il a établie à la fin de sa vie. La 1ère partie focalise ses premiers écrits et surtout la maladie dans laquelle il ne pouvait penser. Qu’est-ce que l’impossibilité de penser ? Pour lui cette maladie n’est qu’un dysfonctionnement psychologique. Sa maladie consiste à son incapacité de faire correspondre rétrospectivement sa pensée intérieure aux paroles extériorisées. A l’époque le moi artaldien restait minimisé. Il s’agit dans la 2e partie de la théorie du théâtre qu’il développait toute sa vie. Certes sa théorie reste cohérente en ce sens qu’il s’agit toujours de la relation entre le texte et l’acteur. Mais dans les années 30 comme le texte fonctionne comme un double qui hante le moi de l’acteur et lui demande tel ou tel acte, le texte se trouve toujours antérieur à l’acteur. Par contre, dans les années 40, Artaud n’accepte plus l’antériorité du texte par rapport à l’acteur, ce qui rend impossible le théâtre au sens ordinaire du terme. La 3e partie aborde l’hypertrophie du moi artaldien. Or cette centralité du moi artaldien n’est pas un solipsisme car ce n’est que rétrospectivement qu’il peut dire « tout est sorti de moi ». Cette rétrospectivité lui permet de développer sa propre poétique à travers la lecture des Chimères de Nerval où il établit un nouveau sujet littéraire : sujet de lecture qui domine rétrospectivement l’espace poétique. L’hypertrophie du moi n’est point un symptôme de la schizophrénie, mais un support théorique à la poésie contemporaine, comme la poésie sonore ou littéraliste. 3 The change of the ego: the theoretical development of the poetics of Antonin Artaud Abstract The purpose of the present thesis is to redraw Antonin Artaud's theoretical change of the notion of the ego, and to clarify the particular poetics that he established at the end of his life. The 1st part of the thesis focuses his early writings and especially the disease by which he could not think. What is the impossibility to think? For him this disease is only a psychological dysfunction. His disease consists in his incapacity to make, afterward, his internal thought correspond to the exteriorized words. At the time Artaud's ego remained minimized. In 2nd part, it is a matter of the theory of theater that he developed all his life. While his theory remains coherent in the sense that it is always about the relation between the text and the actor. But in the 30s as the text works as a double that haunts the ego of the actor and asked him a particular act, the text is always previous to the actor. On the other hand, in the 40s, Artaud does not accept any more the anteriority of the text with regard to the actor, what makes impossible the theater for the common sense of the term. The 3rd part approaches the hypertrophy of Artaud's ego. But this centrality of the ego is not solipsism because it is only afterward that he can say "everything went out of me". This rétrospectivité allows him to develop his own poetics through the reading of Les Chimères of Nerval where he establishes a new literary subject: subject of reading which dominates afterward the poetic space. This hypertrophy of the ego is not a symptom of the schizophrenia, but a theoretical support in the contemporary poetry, as the sound poetry or literalist poetry. 4 Mots de clé : Antonin Artaud, poésie contemporaine, théâtre, théorie littéraire Key words : Antonin Artaud, contemporary poetry, theater, literary theory 5 Introduction Antonin Artaud, même un demi siècle après sa mort, demeure encore un poète énigmatique. On peut en donner quelques raisons : ses activités trop variées, sa « folie », la pénurie de documents. Et aussi le fait que ses textes déjà publiés comme le dit Serge Malausséna, neveu d'Artaud, sont susceptibles de diverses interprétations à cause de transcriptions maladroites.1 Mais le plus important, c’est que les chercheurs n’ont pas synthétisé les recherches antérieures et ne sont pas arrivés à donner une image globale du poète Artaud. Il y a certes beaucoup de recherches excellentes permettant de comprendre un aspect de sa philosophie, mais très peu qui en éclairent la totalité. Il serait intéressant de déterminer comment a changé sa philosophie, et de tracer l’itinéraire de ce changement bien que, à cause du manque de documents du temps de ces séjours en asile d’aliénés, celui de Rodez (1937-1943) mis à part, un écart grave divise le dernier Artaud de celui d’avant les internements, écart qui semble empêcher de décrire avec continuité l’évolution de sa philosophie. Ainsi nous mettrons en lumière les avatars de la notion du moi d’Artaud, notamment la relation entre le moi et l’espace/temps. Pour Artaud, espace veut 1 Serge Malausséna, « Les Cahiers d’Antonin Artaud », in Licences, n°2, 2004, p.9. 6 dire la totalité de l’intérieur et de l’extérieur, et le temps la totalité de l’avant et de l’après, si bien que la présente thèse se consacrera à déterminer l’avant et l’après, l’intérieur et l’extérieur du moi d’Artaud et le changement de sa mise en place. La présente thèse a pour but, en retraçant ses changements des années 20 aux années 40, de saisir la philosophie d'Artaud dans sa totalité. Pour ce faire, nous centrons notre étude sur la notion du moi : comment cette notion se transforme-t-elle au cours du développement philosophique d’Artaud ? Que devient-elle à la fin de sa vie ? Mais pourquoi la notion du moi ? D’abord parce qu'Artaud lui-même insiste toute sa vie sur cette notion, et qu’elle peut être un sujet commun à chaque époque malgré la diversité de ses activités. Nous efforçons d’établir que la totalité de la philosophie d'Artaud se voit en filigrane dans les avatars de la notion du moi. Il ne faut pas confondre le premier Artaud et le dernier. Effectivement, beaucoup de chercheurs analysent les textes d’Artaud sans tenir compte de l’évolution de leur auteur. Cette approche, néanmoins, a rendu obscur le changement de la philosophie d’Artaud. La présente thèse se compose donc de trois parties dont chacune correspond à peu près à une décennie et à une activité : la première, à la philosophie psychologique qu'Artaud a développée dans les années 20 ; la deuxième, aux activités théâtrales qu’il a principalement menées dans les années 30 ; enfin la troisième, à la poétique qu’il a conçue dans les années 40, surtout à l’époque de son séjour à Rodez et jusqu’à la fin de sa vie. Dans la première partie, il s'agit de la « théorie » psychologique qui explique l’impossibilité de penser dont Artaud se sent affligé. À l’époque, Artaud croyait qu’il n’était fondamentalement pas possible d’exprimer le for intérieur par le langage, ce qui l’écartait de la philosophie du surréalisme qui vise à frayer une voie entre le for intérieur et le monde extérieur. Ce point de vue est aussi radicalement incompatible avec la psychanalyse qui suppose théoriquement que le langage reflète de toute façon un aspect de l’intérieur de ce qui parle. Cette méthode pathographique, Artaud la refuse par avance pour analyser sa propre 7 maladie. Bien entendu, on pourrait analyser la maladie d’Artaud du point de vue psychanalytique, mais ce serait le prendre pour un patient, et perdre son honnêteté envers lui2. Nous avons choisi de le considérer comme un médecin qui diagnostique et traite son propre cas. En effet, il est bien probable qu'Artaud ait réfléchi sur le problème psychologique avant que la théorie psychanalytique et freudienne ne soit répandue en France. Pour analyser sa théorie du moi des années 20, il faut donc avoir recours plutôt à des psychologues comme Théodule Ribot et Charles Blondel qu’à des psychanalystes. A partir de sa théorie du moi, Artaud établit un diagnostic et un traitement particulier que nous nous efforçons de mettre en lumière. En quoi consiste cette maladie, qu’on pourrait appeler « impossibilité de penser » ? Il ne s’agit pas d’une rupture fondamentale par laquelle le for intérieur ne peut être exprimé — c'est-à-dire extériorisé — par le langage car, pour Artaud, tout le monde touché par cette impossibilité. Pour répondre à cette question, nous utiliserons quelques lettres adressées par Artaud à George Soulié de Morant, chercheur célèbre en acupuncture chinoise. Artaud ne se contente pas d’analyser sa maladie : il veut surtout en guérir. Nous examinerons donc le traitement non médical qu’il s’est appliqué : déçu de l’idée de guérison en médecine occidentale, il cherche déjà à l’époque un traitement uploads/Litterature/ artaud-l-x27-evolution-theorque-de-la-poetque-d-x27-artaud.pdf
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- Publié le Fev 24, 2022
- Catégorie Literature / Litté...
- Langue French
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