FORMATION POINT DIDACTIQUE Un élève peut connaitre impec- cablement ses règles

FORMATION POINT DIDACTIQUE Un élève peut connaitre impec- cablement ses règles de gram- maire, donner des réponses satisfaisantes aux exercices proposés et ne maitriser ni la compréhension, ni la produc- tion dans la langue étrangère qu'il apprend. De même qu'un pêcheur peut être incollable sur le catéchisme. Les trois auteurs linguistes et didacticiens qui s'interrogent ici sur la meilleure façon possible d'enseigner la grammaire ont en commun d'avoir observé comment les élèves procèdent pour assimiler un nouveau dispositif d'orga- nisation de la langue. Où sont leurs blocages? Quels repères leur sont utiles ? Au total, com- ment aborder la grammaire en classe de langue ? EXPLOITATION PÉDAGOGIQUE cf. pp. 79 à 83 Grammaire ordinaire, source d'activités ... ¡RÉMY PORQUIER (France) ' A travers le temps, et avec l'évolution des principes et pratiques didacti- ques, une question double revient toujours, de façon lancinante, dans l'en- seignement des langues : faut-il faire de la grammaire ? Et si oui, comment ? La seconde question relaie en quelque sorte la première, puisque l'on fait tou- jours de quelque manière de la grammaire lorsqu'on enseigne, apprend ou parle une langue, ou deux ou plusieurs. Même si on neJ ait pas de la grammaire, au sens didactique ou pédagogique du terme, elle est toujours présente dans le langage et dans les langues. En didactique des langues, on parle de grammaire explicite ou de grammaire implicite. Il pourrait sembler que cette dis- tinction ait été établie par les méthodologies modernes ( de la méthode directe, fin xix" siècle, aux versions récentes d'approches communicatives, à partir de 1970). Mais, comme le montre Henri Besse (2000), la distinction et les débats auxquels elle a donné lieu sont très anciens dans la tradition occidentale, et probablement antérieurs à Il convient de penser les activités d'apprentissage, dans leur conception et leur mise en œuvre, à la fois comme un lieu d'entrainement communicatf et comme une pratique de la grammaire ordinaire. Aristote. Lorsqu'on a commencé, autour des années 1880, à poser les principes d'un enseignement moderne des langues, informé entre autres par les apports nouveaux de la phonétique, l'un des principes déclarés et revendiqués1 était d'aborder l'enseignement des langues sans grammaire explicite, par la pratique, l'explicitation grammaticale ne venant qu'ensuite. Un autre principe était de commencer par l'oral. Ce en 1887. Mais il ne suffit pas de faire de la grammaire implicite pour pratiquer la grammaire ordi- naire, ni de réduire la grammaire ordinaire à la grammaire de l'oral... Retrouver la grammaire ordinaire Ce que j'appelle ici grammaire ordinaire, ce n'est pas, ou pas seulement, la grammaire de l'oral ou de la langue familière dans son usage ordinaire, c'est la grammaire telle qu'elle est présente, latente, sous-jacente derrière les énoncés et les interactions du langage courant, usuel, naturel. Et donc dans le cerveau des gens qui parlent des langues entre eux, même s'ils n'ont pas de connais- sances grammaticales explicites conscientes, même si on ne leur a pas inculqué de la grammaire à l'école, ou plus tard dans un cours de langue. Cela vaut pour les illettrés, cela vaut pour l'enfant qui parle sa langue maternelle et parfois deux langues, avant même la scolarisation primaire. Ou pour l'adulte migrant qui apprend une langue étrangère par contact social. Ou, diverse- ment, pour tout être de langage. Une partie de la grammaire ordinaire n'a pas d'explicitation dans les manuels de grammaire ni dans les méthodes de langue, et échappe même aux descriptions des linguistes. On ne parle pas une langue sans utiliser de règles, mais on peut la par- 27 LE FRANÇAIS DANS LE MONDE • Nº354 - ~ FORMATION POINT DIDACTIQUE Ier, parfois très bien, sans avoir appris ces règles de façon explicit(é)e et en en ayant intériorisé d'autres non encore décrites. Ainsi, des apprenants de langue étrangère sont aptes à concevoir, donc à découvrir et à inventer, des règles, des régularités, des modes de fonctionnement non envisa- gés ou non appréhendés par les modèles descriptifs qui ont informé et informent les méthodes de langue, qui ont formé et forment les enseignants de langue. On constate souvent dans les classes que des apprenants fabriquent des règles à eux, justes ou fausses au regard des grammaires pédagogiques, mais qui éclai- rent des aspects de la langue auxquels les enseignants et les linguistes n'avaient pas forcément songé. C'est le cas d'un étudiant étranger en France expliquant à un autre : « Tu sais, c'est pas difficile, avoir, aller et le futur, c'est pareil. Si tu prendsj'ai,je vais.fe mangerai, après tu gardes la fin, tu as, tu vas, tu mangeras ; il a, il va, il mangera ; nous avons, nous allons, nous mangerons. » A partir de tels constats, on observe alors: 1. des relations plus larges que la gram- maire stricto sensu (la morphosyntaxe) entre phonologie, morphologie, syntaxe et lexique; 2. des cas de grammaire implicite explicités par des apprenants ; 3. des pistes suggestives pour les activités d'apprentissage, incluant la grammaire, fondées sur la pratique ordinaire du langage et sur l'expérience qu'en ont et qu'en font les apprenants. Ce qu'enseignent les apprenants Depuis le développement des recherches sur l'acquisition et l'ap- prentissage des langues étrangères dans des contextes divers, il est sou- vent observé que les apprenants se construisent des heuristiques, des procédures de découverte, des hypothèses, visant ou conduisant à articuler ou harmoniser l'objet à assimiler avec leur propre façon d'apprendre, et inversement. Hypo- thèses et tentatives, conscientes ou non, verbalisées ou non, explici- tées ou non, sous-jacentes à des productions orales ou écrites ou à l'exécution d'activités diverses. Ces conduites apportent des éclairages non seulement sur les étapes et les écueils de l'apprentis- sage mais surtout sur les processus et stratégies mis en œuvre par les apprenants. Et, du même coup, de façon souvent inattendue et assez souvent pertinente, sur la grammaire de la langue qu'ils apprennent. Par exemple, l'apprentissage du futur proche (aller+ infinitif, ex. : il va venir ce soir), généralement introduit très tôt dans les méthodes de français langue étrangère, se trouve à certains moments en conflit ou en partage avec celui du futur dit « simple», et aussi de l'emploi plein(= mouvement- déplacement) de aller. D'où des productions telles que • il ira partir ou • il est allé sortir. Lorsqu'un apprenant, qui a essayé l'une ou SE POSER CINQ QUESTIONS Un enseignant de langue, comme d'ailleurs un auteur de méthode, quels que soient le programme qu'il a en charge et le matériel qu'il utilise ou élabore, se trouve souvent confronté à plusieurs questions et décisions à prendre comme, par exemple : « Je veux travailler sur un point précis de grammaire : quelles activités choisir, concevoir, inventer, adapter ? » ou : « J'ai trouvé un document authentique qui me parait intéressant : com- ment puis-je l'utiliser?» Ces deux questions paraissent au premier abord différentes, ou divergentes. En réalité, elles ont en commun d'interroger de façon comparable deux objets différents, potentiel- lement complémentaires. Pour répondre à ces questions, il faudra s'en poser d'autres, telles que : 1º A quoi cela sert-il dans la communication ordinaire?(« à quoi ça sert?») 2º Comment s'en sert-on dans la communication ordinaire ? (« comment on s'en sert») 3º Comment cela fonctionne-t-il dans la langue?(« comment ça marche?») 4º Comment cela s'apprend-il?(« comment apprennent-ils?») 5º Comment cela peut-il se pratiquer/s'enseigner? (« comment l'apprendre et le faire apprendre?»). Dans la fiche pédagogique des pages 80 et 81, vous trouverez une matrice hiérarchisée de questions et de réflexions (pour un enseignant, un concepteur de matériel pédagogique ou un auteur de méthode) utiles à la conception et à l'élaboration d'activités. R. P. A~IVÉE: .D' (I¡.¡ I VOY AG-~UR. l'autre forme, demande pourquoi elle n'est pas possible (ou correcte, ou acceptable ou acceptée), l'enseignant en vient, dans l'instant ou en différé, à se demander ce qu'il en est, et à élucider, pour lui-même d'abord, des règles que n'exposent pas - ou traitent d'une autre façon - les grammaires de français langue étrangère, mais que vient interroger l'activité métalinguistique spontanée d'un apprenant. Un deuxième exemple concerne ce dont les ouvrages de grammaire traitent dans les rubriques comparatjf et comparaison. Les exemples canoniques utilisés dans ces grammaires et souvent dans les manuels de langue sont des formes plus ... que ... , moins ... que ... , aussi ... que, et de type assertif. Un enseignant lors d'une inte- raction ordinaire de classe, dit à diverses reprises : « parle moins vite/ parle plus vite/ pas si vite/ pas trop vite, ... » Une question surgit dans la classe : « Est-ce qu'on peut dire parle si vite que moi ou parle trop vite » ? Il apparait alors que ces comparatifs, en français parlé ordinaire, servent très souvent non à comparer, mais à dire, conseiller, demander ou exiger de faire autre chose ou de faire autrement : Plus vite, on est en retard/ Moins J ort, la radio, s'il vous plaît/ Mets-le plus haut, encore, pas trop haut [à quelqu'un qui accroche un poster sur un mur] et entrent alors dans un paradigme incluant : uploads/Litterature/ article-de-porquier-fdlm-grammaire-ordinaire-source-dactivites.pdf

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