Érudit est un consortium interuniversitaire sans but lucratif composé de l'Univ

Érudit est un consortium interuniversitaire sans but lucratif composé de l'Université de Montréal, l'Université Laval et l'Université du Québec à Montréal. Il a pour mission la promotion et la valorisation de la recherche. Érudit offre des services d'édition numérique de documents scientifiques depuis 1998. Pour communiquer avec les responsables d'Érudit : erudit@umontreal.ca Article par Jean-Pierre Issenhuth Liberté, vol. 29, n° 5, (173) 1987, p. 149-152. Pour citer cet article, utiliser l'information suivante : http://id.erudit.org/iderudit/31197ac Note : les règles d'écriture des références bibliographiques peuvent varier selon les différents domaines du savoir. Ce document est protégé par la loi sur le droit d'auteur. L'utilisation des services d'Érudit (y compris la reproduction) est assujettie à sa politique d'utilisation que vous pouvez consulter à l'URI http://www.erudit.org/apropos/utilisation.html Document téléchargé le 22 July 2013 03:31 « Elytis : Il est digne » Ouvrage recensé : Odysseus Elytis, Axion Esti, poème traduit du grec par Xavier Bordes et Robert Longueville, introduction de Xavier Bordes, Gallimard, collection « Du monde entier », 1987, 156pages. LIRE EN TRADUCTION JEAN-PIERRE ISSENHUTH Elytis: Il est digne Odysseus Ely tis, AxionEsti, poème traduit du grec par Xavier Bordes et Robert Longueville, introduction de Xavier Bordes, Gallimard, collection «Du monde entier», 1987, 156pages. Que faut-il pour qu'un livre devienne une pré- sence et une compagnie? Les hochets ludiques, les hoquets et les rots langagiers, la toux et les éternue- ments textuels ne peuvent malheureusement remplir ces fonctions, et si Axion Esti m'a accompagné quel- que temps, c'est que ce livre m'a présenté tout autre chose. D'Elytis, je ne connaissais que Marie des Bru- mes, publié en 1978 et traduit presque aussitôt. Il a fallu trente-six ans pour qu'Avion Esfi soit traduit en français, après l'avoir été en douze autres langues. Les mots du titre original, To Axion Esti, sont les pre- miers mots d'un hymne byzantin à la Vierge. Xavier Bordes les traduit par Loué soit. La traduction espa- gnole les rend par Dignum est. Transposé d'une façon ou de l'autre, le titre est l'entrée dans une cathédrale construite avec le temps et l'espace grecs. La partie cachée de l'édifice — les traditions, les symboles mul- tiples où il plonge ses racines — est au moins aussi importante que la partie visible, mais pas plus que je ne m'acharnerais à mettre à nu les racines d'un arbre vivant, je ne m'attarderai à creuser sous le livre. 150 Xavier Bordes le fait dans son introduction de qua- rante pages, et s'il était sûrement nécessaire que le traducteur le fasse, le lecteur, lui, peut circuler avec le plus grand bonheur dans la cathédrale d'Elytis sans avoir percé tous les secrets de sa conception. Le pro- jet compte d'ailleurs beaucoup moins que le résultat et l'effet, qui doivent dépasser le projet en tous points, sinon l'on entrerait dans une cathédrale de série B ou un bungalow de banlieue, et telle n'est pas du tout mon impression en entrant dans Axion Esti. Le livre est édifice et aussi office, faisant alterner psaumes, leçons, lectures, cantiques. C'est dire que l'inventaire de l'expérience du temps et de l'espace, comme dans les psaumes de David, n'est pas énoncé pour lui-même, n'est pas à lui-même sa fin, mais s'or- ganise en vue d'un but plus haut. La substance de l'hymne n'est pas pour autant évanescente; elle se constitue d'un tourbillon de matière grecque «expri- mée», passée au pressoir: Je suis pur à présent de bout en bout. Du baiser de ma bouche j'ai comblé de joie un corps virginal. Du souffle de ma bouche j'ai coloré le pelage de la mer. j'ai distillé en îles toutes mes idées. Sur ma conscience, j'ai bien pressé le citron. Et le jus de citron, à saveur d'épreuves, de combats et de réjouissances, c'est chaque chose emportée, colo- rée par la langue de l'hymne, transfigurée par le cou- rant de l'hymne: Mon unique souci cette langue, avec les premières phrases de l'Hymne! 151 Le livre se termine, dans les Laudes, par une fré- nésie de louange stable, fixe, étale comme dans les motets de Bach où la musique se poursuivant, perpé- tuel écho d'elle-même, semble ne jamais devoir finir. Ici, c'est une litanie de seize pages semées d'images saisissantes, une fugue où entrent les voix innombra- bles de la Grèce: les terrasses et les vagues la main dans la main, les navires élancés sur leur semelle noire, près de la cheville mouillée le frrtt du lézard, le Livre d'Heures des Jardins, les moinillons aux blancs mentons de la tempête, le pope des nuées qui change d'opinion, un phare qui dévide des siècles de chagrin noir, et à leur suite tout l'univers, tournoyant dans l'hymne qui révèle son prix. Le Cantique de Jorge Guillen s'arrête aux détails, au seringa, à la rose, et il les fixe en mosaïque. Celui d'Elytis les saisit sans les arrêter, dans le tournoiement de l'univers devenu sensible. Ampleur et intensité ne se conjuguent pas aisé- ment. L'ampleur sans l'intensité tourne à la grandilo- quence. Elytis me semble d'abord préservé de ce tra- vers par le ton de l'hymne, qui garde toujours un côté intime et simple, même quand il porte une matière vaste. L'univers ne s'y compose que point par point. Ce sont des particules de réalité, aussi libres que cel- les de la chambre à bulles, aussi insaisissables mais aussi réelles, qui trouvent leur orientation dans l'hymne. Ce qui permet à Elytis d'éviter la grandilo- quence, c'est peut-être aussi, comme le souligne Xavier Bordes, la synthèse des niveaux de langue. Le poète mêle, à la manière de Hopkins, la familiarité triviale au langage de grande culture. J'ajouterais qu'il sait donner de la profondeur aux évocations, qui plongent loin, comme le phare cité plus haut «dévide les siècles». Chaque chose évoquée n'est pas seule- ment d'ici et maintenant, elle arrive souvent chargée d'autrefois et d'ailleurs. On trouverait dans le livre 152 bien des images qui s'ouvrent à cette profondeur de temps ou d'espace, par exemple une ombre qui passe à travers l'épaisseur d'un mur, le phyllodendron de toujours en faction, une maison telle qu'une ancre au fond de l'abîme, les fleurs frêles héritières de l'ondée. Passé, présent et avenir se fondent (les décombres de l'avenir, dit Elytis), chaque instant s'adjoint des auxi- liaires pour former un temps composé sans nom, qui est le temps de l'hymne et que le poème conjugue comme un canard nageant traîne le sapin compliqué de son sillage. Il ne faut pas moins d'ancres pour empêcher que l'encre coule à vide en croyant contenir l'univers. uploads/Litterature/ article-elytis-il-est-digne-ouvrage-recense.pdf

  • 23
  • 0
  • 0
Afficher les détails des licences
Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise
Partager