Sylvain Auroux La notion de linguistique générale In: Histoire Épistémologie La

Sylvain Auroux La notion de linguistique générale In: Histoire Épistémologie Langage. Tome 10, fascicule 2, 1988. pp. 37-56. Abstract ABSTRACT : It is surprising that in his lectures of 1906 Meillet presented the idea of general linguistics as a novelty. For this idea had already been established during the last thirty five years of the xixth century. By analyzing the fragmentary conceptions he developped about the subject, we see that he aimed at a discipline whose object would be knowledge of universal laws. This asumption was novel, in fact, being incompatible with the comparativism of the neo-grammarians as well a with Saussure's ideas. Résumé RESUME : On doit s'étonner de ce que Meillet puisse présenter l'idée d'une linguistique générale comme une nouveauté dans son cours de 1906. Le thème, en effet, était bien établi depuis le début du dernier tiers du XIXe siècle. En analysant les conceptions fragmentaires qu'il a développées à ce sujet, on s'aperçoit qu'il envisageait une discipline ayant pour objet la connaissance de lois universelles. Cette conception était bien une nouveauté, largement incompatible, tant avec le comparatisme de type néogrammairien qu'avec les idées développées par Saussure. Citer ce document / Cite this document : Auroux Sylvain. La notion de linguistique générale. In: Histoire Épistémologie Langage. Tome 10, fascicule 2, 1988. pp. 37-56. doi : 10.3406/hel.1988.2260 http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/hel_0750-8069_1988_num_10_2_2260 Histoire Epistémologie Langage 10-11 (1988) 37 LA NOTION DE LINGUISTIQUE GENERALE Sylvain AUROUX ABSTRACT : It is surprising that in his lectures of 1906 Meillet presented the idea of general linguistics as a novelty. For this idea had already been established during the last thirty five years of the xixth century. By analyzing the fragmentary conceptions he developped about the subject, we see that he aimed at a discipline whose object would be knowledge of universal laws. This asumption was novel, in fact, being incompatible with the comparativism of the neo-grammarians as well a with Saussure's ideas. RESUME : On doit s'étonner de ce que Meillet puisse présenter l'idée d'une linguis tique générale comme une nouveauté dans son cours de 1906. Le thème, en effet, était bien établi depuis le début du dernier tiers du XIXe siècle. En analysant les conceptions fragmentaires qu'il a développées à ce sujet, on s'aperçoit qu'il envisageait une discipline ayant pour objet la connaissance de lois universelles. Cette conception était bien une nouveauté, largement incompatible, tant avec le comparatisme de type néo grammairien qu'avec les idées développées par Saussure. 38 La notion de linguistique générale Depuis son apparition en 1812, le terme « linguistique » désigne, en français, la discipline qui s'occupe de l' histoire des langues et de leur comparai son en vue de leur apparentement, quoiqu'il soit concurrencé par des expres sions comme « philologie comparée » ou « grammaire comparée » (Auroux 1987a). En ce sens, il s'agit d'une discipline à laquelle ont essentiellement contribué des savants allemands, même si les découvertes d'un E. Burnouf (1801-1852) sont loin d'être négligeables. Meillet (1866-1936) représente la seconde génération des « linguistes français », au sens moderne d'universitaire spécialisé en linguistique. La première génération était celle de Michel Bréal (1832-1915). Né à Landau, ce dernier avait étudié à Bonn, auprès de Bopp. Sa carrière scientifique avait commencé par la traduction de la Vergleichende Grammatik de son maître, traduction couronnée par le Prix Volney de l'Institut (1866). Elle a coincide avec l'institutionnalisation, en France, de la grammaire comparée, qui correspond au développement universitaire du dernier tiers du xix* siècle (École Pratique des Hautes Etudes, chaires universitaires, sociétés savantes, revues). Autrement dit, cette carrière s'était déroulée sous le signe d'un transfert de connaissance (Auroux 1988) de l'Allemagne vers la France (voir Meillet 1923, « Ce que la linguistique doit aux savants allemands », ou l'article qu'il rédige sur Bréal en 1930). Meillet, lui, a une formation autoch tone, même si elle est en partie due à un suisse, venu en France, faute d'avoir été reconnu par les maîtres de Leipzig. Sa production n 'aura pas la même forme que celle de son prédécesseur, ni la même fortune internationale. UEssai de Sémantique (1 897) de Bréal sera toujours contesté, en particulier de 1* autre côté du Rhin (cf. Auroux/Delesalle, à paraître). Meillet aura une reconnaissance internationale, et il est un des rares francophones dont le nom serve à désigner une(des) loi(s) phonétique(s) au sens classique du terme 1 (les autres sont L. Havet (1849-1925), Saussure et J. Vendryes (1875-1960), si l'on suit Collinge 1985). La situation scientifique de chacune de ces deux générations dans l' histoire des théories linguistiques, est, quant à elle, parfaitement caractérisée par la différence de sujet choisi par chacun de ses représentants, lors de sa leçon d'ouverture au Collège de France. Celle de M. Bréal, le 9 décembre 1867, portait sur « le développement et l'état actuel de la grammaire comparée » (elle est publiée dans la première livraison des Mémoires de la Société de Linguis tique) ; c'était un hommage à la science allemande, qu'il s'agissait d'assimiler. Celle de Meillet, le 13 février 1906, s'intitule L'état actuel des études de linguistique générale, elle est relativement critique par rapport à une science allemande désormais parfaitement assimilée. Dans cette brève étude, je voudrais La notion de linguistique générale 39 m 'attacher à cette notion de linguistique générale, tenter de la définir, de montrer son rôle, tant épistémologique que tactique, et de préciser en quoi, en insistant sur ce point, Meillet le comparatiste poursuit certains thèmes spécifiquement français, déjà mis en place par Bréal. Il faut d'abord noter que, dans sa leçon, le nouveau professeur, ne répond guère à ce que son titre annonce. Le texte ne présente pas les résultats d'une discipline en évolution, mais annonce un programme : La recherche des lois générales, tant morphologiques que phonétiques, doit être désormais l'un des principaux objets de la linguistique. (LH&LG, 2e éd., 1926 : 13) Aucun auteur n'est cité comme ayant participé à l'épanouissement de cette discipline, que Meillet a par contre immédiatment rattachée à son propre enseignement : J'aborde immédiatement l'objet de ce cours, en vous exposant quelles con sidérations m'ont amené à rechercher, dans les premières leçons que je suis appelé à faire ici, les causes sociales des faits linguistiques (ibid., 2-3) Le professeur entend donc lier son nom à ce nouveau thème (nous reviendrons plus loin sur le problème que pose le rapport de la linguistique générale à une détermination sociale des faits linguistiques). Or, il y a historiquement deux points incontournables : 1. Meillet n'a jamais écrit de Traité de linguistique générale. Le recueil qu'il a publié sous le titre Linguistique historique et linguistique générale (1921) reste disparate et largement programmatique. Dans l'avertissement de la première édition, l'auteur note qu'il « reste à faire un grand travail pour ordonner les faits linguistiques du point de vue de la langue même ». Cet avertissement est rédigé après la parution des notes des Cours (1916) de Saussure à Genève, qui, selon son ancien élève, n'ont fait qu'indiquer comment on pourrait mettre un commencement d'ordre. En 1914, Vendryes écrivait à peu près la même chose : [...] étudier le langage en linguiste, cela conduisait tout simplement bâtir un traité de linguistique générale [...]. Mais le fait est que jusqu' ici aucun livre n'a encore paru, où le programme d'une linguistique générale fût complètement réalisé. Il annonçait que le projet n'était pas même tenu dans son livre, pas plus - ajoute-t-il en 1923, lors de la publication retardée par la guerre - que dans Saussure 1916, qui « malgré l'abondance de vues qu'il présente n'est pas un 40 La notion de linguistique générale exposé méthodique et complet de linguistique générale » (1968 : 13). Si l'on se réfère à ce type de texte, la notion de linguistique générale possède donc un statut ambigu : elle n'est pas la notion d'un contenu disciplinaire effectif, mais celui d'une discipline programmatique, dont on doute même, parfois, qu'elle puisse parvenir à l'existence (Vendryes note qu'il est douteux qu'on puisse jamais rencontrer un auteur capable de traiter le sujet). 2. Meillet est singulièrement oublieux du contexte international, dans lequel le thème de la linguistique générale a déjà une histoire. Dans son article de 1923 (« Ce que la linguistique doit aux savants allemands »), il sera un peu plus précis : Malgré ce rapprochement d'une linguistique rigoureuse avec une philologie non moins rigoureuse, auquel sont dus des progrès importants [nb : il s'agit des néo grammairiens et de leurs ennemis, SA], et malgré le nombre imposant des travailleurs bien formés et ingénieux qui produisent, la grammaire comparée donne en Allemagne des signes de déclin. Il a été fait, depuis une trentaine d'années, trop d'hypothèses invérifiables, il a été combiné trop de théories savamment échafaudées dans le vide, à côté de trop de recueils de faits qui donnent peu de résultats. Tout se passe comme si la machine fatiguée par un long usage perdait de son rendement [...]. Beaucoup des initiatives qui ont ouvert des voies nouvelles depuis 1870 environ sont venues de savants non-allemands [...]. Il fallait constituer une linguistique générale, passant uploads/Litterature/ article-hel-0750-8069-1988-num-10-2-2260.pdf

  • 11
  • 0
  • 0
Afficher les détails des licences
Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise
Partager