Claude Calame De la poésie chorale au stasimon tragique [Pragmatique de voix fé

Claude Calame De la poésie chorale au stasimon tragique [Pragmatique de voix féminines] In: Mètis. Anthropologie des mondes grecs anciens. Volume 12, 1997. pp. 181-203. Résumé De la poésie chorale au stasimon tragique (pp. 1 8 1 -203) Transférées sur la scène attique et insérées dans l'intrigue narrative qui y est dramatisée, les formes de la poésie chorale traditionnelle acquièrent dans le théâtre tragique des fonctions nouvelles tout en maintenant leur dimension pragmatique forte. Une analyse comparative d'un Parthénée de Pindare avec la parodos des Sept contre Thèbes d'Eschyle et avec le chant choral correspondant des Phéniciennes d'Euripide peut montrer qu'à côte de sa fonction rituelle et performative, la voix du chœur féminin de la tragédie classique peut assumer à la fois l'expression des émotions suscitées par l'action jouée sur la scène et un rôle herméneutique de commentaire de cette action. L'intervention chorale se situe ainsi, par mimésis interposée, entre intrigue scénique et réaction du public. Citer ce document / Cite this document : Calame Claude. De la poésie chorale au stasimon tragique [Pragmatique de voix féminines]. In: Mètis. Anthropologie des mondes grecs anciens. Volume 12, 1997. pp. 181-203. doi : 10.3406/metis.1997.1067 http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/metis_1105-2201_1997_num_12_1_1067 De la Poésie Chorale au Stasimon Tragique Pragmatique de voix féminines * Les mérites de la démarche comparative en anthropologie des cultures ne sont plus à dire. Elle a prouvé sa fécondité, du moins quand elle devient contrastive. En effet, au lieu de réduire les manifestations symboliques qui en font l'objet à un dénominateur commun parfois trompeur dans son abstraction, la démarche comparative peut faire apparaître les limites et les différences. De plus, attentive autant aux relations qu'aux contenus, l'analyse structurale qui en est le corollaire peut renoncer à son postulat d'immanence dès lors que l'on tente de donner une explication aux différences constatées. En ce qui concerne la civilisation grecque, en raison de son épaisseur temporelle et de son caractère dynamique, l'explication sera volontiers d'ordre historique; elle se fondera sur une interrogation portant sur les circonstances d'énonciation des manifestations comparées, dans tous leurs aspects. Une série de travaux récents ont tracé les continuités marquant le transfert sur la scène tragique de l'Athènes classique des formes chorales et cultuelles de l'époque archaïque. Les analogies rythmiques, dialectales, lexicales, voire rituelles qui fondent ces filiations ont été largement exposées1. Dès le Ve * Enfin publiée dans sa version française, cette étude a pris naissance à la Maison Suger à l'occasion de l'invitation, par Marcel Détienne, à un enseignement à la Section des Sciences Religieuses de l'École Pratique des Hautes Études. Destinée au Colloque «The Chorus in Greek Tragedy» organisé en avril 1992 à Harvard et Boston University, elle a été de plus présentée à Johns Hopkins University, à l'Université de Lille III, ainsi qu'aux Universités de Cagliari et de Macerata. Ella a ainsi été mise au bénéfice, tour à tour, des remarques critiques de Jacques Boulogne, Ileana Chirassi-Colombo, Vittorio Citti, Herbert Golder, Albert Henrichs, Renate Schlesier, Stephen Scully et Giulia Sissa. 1. Parmi les travaux récents à marquer continuités et différences, on verra T.B.L. Webster, The Greek Chorus, London (Methuen), 1970, pp. 110-32, J. Herington, Poetry into Drama. Early Tragedy and the Greek Poetic Tradition, Berkeley-London (Univ. of 182 Claude Calame siècle d'ailleurs, les Grecs eux-mêmes n'ont pas manqué de faire dériver les représentations tragiques athéniennes dans leur ensemble d'exécutions chorales; soit qu'Hérodote montre Clisthènes de Sicyone, le beau-père de Clisthènes d'Athènes, transférant les «choeurs tragiques» de la célébration du héros Adraste à celle du dieu Dionysos; soit qu'Aristote en cherche l'origine dans l'institution des «conducteurs» du dithyrambe, forme chorale dédiée au même Dionysos; soit encore qu'un témoignage beaucoup plus tardif affirme que Solon aurait déjà attribué à Arion, le poète mélique compositeur de dithyrambes, la première exécution dramatique d'une «tragédie». Pour Diogène Laërce, dès lors, il ne fait aucun doute que les premières représentations tragiques étaient assumées uniquement par un groupe choral2. En revanche dans une perspective fonctionnelle et pragmatique, le passage de la parole chorale avec sa valeur rituelle et performative des lieux traditionnels de culte dans l'orchestra du théâtre athénien se marque par de substantielles transformations3. Non pas que les mots prononcés par le groupe des choreutes n'aient plus de portée rituelle, non pas que ces énoncés ne soient plus une partie intégrante de la célébration cultuelle concernée, non pas qu'ils aient perdu la valeur performative qui en fait des actes de California Press), 1985, pp. 103-24 ; pour le plan rituel, voir en dernier lieu F. Stoessl, Die Vorgeschichte des griechischen Theaters, Darmstadt (Wiss. Buchgesellschaft), 1987, pp. 116-41; pour la danse chorale en particulier, voir maintenant A. Henrichs, «Warum soll ich denn tanzen?» Dionysisches im Chor der griechischen Tragodie, Stuttgart - Leipzig (Teubner), 1996. Mais il ne faut pas oublier l'œuvre pionnière de W. Kranz, Stasimon. Untersuchungen zu Form und Gehalt der griechischen Tragodie, Berlin (Weidmann), 1933, en particulier pp. 127-48. J'ai expliqué les raisons fondant l'usage de mélique (par référence à la catégorie antique du mélos) pour désigner les poètes grecs dits lyriques dans «La poésie lyrique grecque, un genre inexistant?», Littérature, 111, 1998, pp. 87-1 10. 2. Hérodote, V, 67, 5; Aristote, Poétique,H49 a 11; Solon, fr. 39 Gentili-Prato, transmis par un commentateur byzantin à Hermogène (cf. Thespis, 1 Τ 9 Snell); Diogène Laërce, III, 56 = Thespis, 1 Τ 7 Snell, cf. ausi Τ 11 Snell transmis par Athénée, 1, 22a, qui fait des premiers auteurs tragiques des danseurs aussi bien que des maîtres en danse chorale. Voir à ce propos le commentaire de B. Gentili, «II coro tragico nella teoria degli antichi», Dioniso, 55, 1984/85, pp. 17-35, qui renvoie à une partie des innombrables spéculations sur l'origine de la tragédie provoquées par ces quelques indications. Par ailleurs, H. H. Bacon, «The Chorus in Greek Life and Drama», Arion, III. 3, 1994/5, pp. 6- 24, relève tous les éléments institutionnels dont la dénomination même rappelle que le spectacle tragique est une organisation chorale. 3. Je prends ici «performatif» au sens large où l'entend J.L. Austin, How to do Things with Words, Cambridge Mass. (Harvard Univ. Press) 1975 (2ème éd.), pp. 6-7: sont performatifs les énoncés dont l'émission constitue l'accomplissement d'une action, c'est- à-dire les énoncés qui correspondent à la «performance» d'une action. DELA POÉSIE CHORALE AU STASIMON TRAGIQUE 183 chant et de culte : spatialement, il y a eu simple transfert des sanctuaires servant traditionnellement de lieux d'exercice au chant choral au sanctuaire consacré à Dionysos Eleuthereus, à l'occasion d'une fête impliquant, comme à l'époque archaïque, les groupes représentant la communauté civique4. Mais les membres du chœur ne s'adressent désormais plus uniquement aux dieux à travers une action cultuelle; ils n'impliquent plus directement, dans leur action chantée, des membres singuliers de la communauté civique. Mais, portant eux-mêmes un masque, ils se tournent vers des acteurs masqués, engagés sur la scène dans une action dramatisée, de caractère héroïque. Ce n'est donc que de manière indirecte, par la représentation dans le spectacle, que le chœur tragique entre éventuellement en rapport avec les dieux de la cité et avec le public assistant effectivement à ses évolutions chorégraphiques - un public non seulement plus large, mais dont la composition sociale s'est également modifiée. Au sein d'une action, d'un espace et d'un temps cultuels réels, le groupe choral tragique définit dans les mots mêmes qu'il prononce un temps, un espace et une action relatifs à l'action légendaire qui est jouée sur la scène5. Parmi les décrochements provoqués par le transfert cultuel et historique des formes chorales des lieux de la célébration rituelle à l'espace de la représentation dramatique, il en est qui se marquent dans les modes mêmes dénonciation de ces paroles de choreutes. Une analyse contrastive restreinte est susceptible de faire apparaître certains de ces décrochements d'ordre énonciatif. Il s'agira donc ici de comparer l'un des Parthénées 4. La participation à la célébration rituelle des Grandes Dionysies des différents groupes formant la communauté athénienne a été redéfinie récemment par S. Goldhill, «The Great Dionysia and civic ideology», Journal of Hellenic Studies, 107, 1987, pp. 58-76 (repris dans D. Konstan, J.J. Winkler & F. Zeitlin (éds), Nothing to do with Dionysos? Athenian Drama and Its Social Context, Princeton (Princeton Univ. Press), 1989, pp. 97-129); voir aussi F. Kolb, «Polis und Theater», in G. A. Seeck (éd.), Das Griechische Drama, Darmstadt (Wiss. Buchgesellschaft), 1979, pp. 504-543, J. Henderson, «Women and the Athenian Dramatic Festivals», Transactions of the American Philological Association, 121, 1991, pp. 133-148, et J. Aronen, «Notes on Athenian Drama as Ritual Myth-Telling within the Cuit of Dionysos», Arctos, 26, 1992, pp. 19-37. 5. Par des approches différentes, les trois contributions de A. Henrichs, «'Why Should I Dance?': Ritual Self-Referentiality in Greek Tragedy» (référence performative à l'action rituelle dans laquelle les choreutes sont engagés), G. Nagy, «Tranformations of Choral Lyric Traditions in the Context of Athenian State Theater« (effet de mimésis chorale), et Ch. P. Segal, «The Chorus and the Gods in Œdipus Tyrannus» (réorientation d'actes rituels vers la fiction), parues dans Arion, III. 3, 1994/5, pp. 56-111, pp. 41-55, et III. 4, 1996/7, pp. 20-32 respectivement, uploads/Litterature/ article-metis-calame-lirica-coral-y-estasimo-tragico.pdf

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