L’enseignement de l’histoire et les manuels du second degré (1902-1995) Les man
L’enseignement de l’histoire et les manuels du second degré (1902-1995) Les manuels scolaires jouent un rôle essentiel dans l’histoire de l’éducation, voire dans l’histoire sociale. Ils appartiennent, comme l’affirme J. Priouret au « patrimoine culturel1 ». Les manuels d’histoire dont on conserve souvent un exemplaire après sa scolarité ou un sou- venir précis2, sont tout à la fois objets familiers, objets d’études, objets de débats ou de conflits. Ils sont fréquemment, à tort ou à raison, valo- risés ou critiqués et cela depuis fort longtemps : il y a eu « la guerre des manuels » au début du vingtième siècle3 ou, plus de cinquante après, les nombreuses polémiques relayées par la presse écrite entre 1975 et 1989. Si les ouvrages de l’école élémentaire ont à de nombreuses reprises fait l’objet d’analyses et de recherches4, les manuels destinés à l’ensei- gnement secondaire ont moins retenu l’attention, au moins en France. Nous avons peu d’études globales qui caractérisent le type de discours tenu par l’ensemble de ces ouvrages, qui fassent l’étude diachronique ou synchronique de cet outil et qui la relient à une mise en perspective chronologique, même si les recherches sur les outils et les pratiques tendent à se développer particulièrement en Allemagne, au Canada ou au Royaume-Uni5. Une bonne connaissance des relations entre manuels et enseignement de l’histoire impose des contraintes méthodo- logiques et surtout nécessite une mise en perspective globale. (1) J. Priouret, Réflexions sur le statut paradoxal du livre scolaire, Lyon II, 1977. Il fournit des repères méthodologiques. Les exemples pris concernent surtout les lettres et les langues. (2) Les collègues de toutes les générations citent à plus de 50% la collection Malet-Isaac. Ceux qui ont été élevés dans les années soixante, les volumes dirigés par J. Monnier. (3) Il s’agit alors entre 1902 et 1910 d’une « guerre » idéologique et d’une lutte entre les courants con- servateurs et les plus modernistes. (4) Le travail le plus novateur est celui de J. Freyssinet-Dominjon qui a travaillé sur un corpus de ma- nuels de l’école libre compris entre 1882 et 1959. (5) On peut citer les travaux du Centre G. Eckert en Basse-Saxe, les travaux de Ch. Laville et québé- cois, les articles de Ch. Stray sur l’analyse systémique du livre scolaire. ATALA n° 3, «L’Histoire, de la source à l’usage», 2000 174 NICOLE LUCAS Quatre exigences absolues pour bien mener l’analyse Il faut tout d’abord préciser le concept de manuel d’histoire au-delà de la définition courante du Dictionnaire encyclopédique de pédagogie moderne édité chez Nathan en 1973. « Un livre destiné aux élèves et contenant les éléments essentiels d’une matière d’études, et éventuelle- ment les exercices s’y rapportant », cela ne suffit pas. Il semble néces- saire d’éclairer cette définition. Destiné aux élèves en effet, le livre n’est-il pas également un instrument pour les professeurs qui s’y réfè- rent et s’appuient sur son contenu pour construire les savoirs et les apprentissages comme pour faire repérer des évolutions, et qui sont des utilisateurs à la fois zélés et critiques1 ? Il ne peut être non plus dissocié de la commande institutionnelle, ce qui l’inclut dans tous les débats et l’expose aux propos de ses défen- seurs comme de ses procureurs2. Ces constats établis conduisent très vite à s’interroger sur l’efficacité, la validité, l’adaptation de ce moyen au service de la discipline à enseigner3. Il importe également de le situer dans un système complexe. Le livre scolaire est un maillon essentiel au cœur d’un ensemble. On ne peut l’appréhender isolément. Ainsi son aspect4, son organisation, son con- tenu évoluent en relation étroite avec tous les autres éléments qui déter- minent l’enseignement de l’histoire. On comprend, et c’est là la troisième exigence, la nécessaire inscrip- tion du manuel, et surtout du manuel d’histoire plus controversé que d’autres, dans une perspective temporelle. Peut-on saisir certains chan- gements sans avoir en tête les grandes étapes de l’histoire sociale ou éducative, sans connaître le contexte politique ou en ignorant les demandes institutionnelles, par exemple ? Aussi faut-il, et c’est une dernière nécessité, mettre en relation avec l’analyse d’autres données : travaux d’élèves, publications parascolai- res, revues pédagogiques, témoignages… pour saisir dans quelle mesu- re cet outil aux multiples facettes se différencie ou s’intègre comme un moyen parmi d’autres dans l’évolution générale. Ainsi, le manuel d’his- toire du second degré apparaît comme un miroir révélateur des chan- gements et pesanteurs qui sous-tendent les savoirs scolaires. (1) Les collègues de l’académie de Rennes que nous avons sollicités voient dans le manuel une large banque de données dans laquelle ils puisent des « documents » mais ils les observent avec une dis- tance critique. (2) Débats sur son usage, sa structure, son volume, sa présentation ou, même, son poids, par exemple. (3) Nous entendons ce terme au sens mis en évidence par A. Chervel dans ses travaux. Il distingue clairement les fondements spécifiques des disciplines scolaires. (4) L’étude détaillée des couvertures montre bien le passage du livre sévère où l’écrit l’emporte à un ouvrage où l’attractivité joue un rôle majeur. Revue ATALA L’ENSEIGNEMENT DE L’HISTOIRE ET LES MANUELS SCOLAIRES 175 La consultation des différentes publications scolaires et parascolaires permet d’aboutir à une première série de constats. D’abord, l’observation d’une centaine de manuels de terminale, pre- mière, seconde et troisième, le dépouillement très complet des revues spécialisées permettent de mettre en évidence des préoccupations constantes depuis un siècle, de différentes natures : la réflexion sur la place du manuel, ses fonctions, sa conception ; la volonté d’adéquation aux programmes exprimée surtout par les auteurs et les éditeurs ; la présence de débats sans cesse répétés et pourtant renouvelés : conti- nuité chronologique ou histoire thématique, place et statut des « grands hommes », part du « cours » puis du texte d’auteur et des « illustrations ou des documents »… À ces préoccupations permanentes se superposent des évolutions ponctuées par six temps forts. 1 - Le temps de l’installation (fin XIXe-début XXe). Des manuels riches en contenus, en liaison avec un projet éducatif spécifique (for- mer des élites) et proche d’une certaine conception et présentation de l’histoire. 2 - Le temps des polémiques pendant l’entre-deux-guerres où tout devient objet de tension. Les problèmes se multiplient (de neutralité, d’objectivité, de gratuité par exemple). Ainsi lit-on dans la conclusion d’une publication intitulée Le Sabotage officiel de l’histoire de France, parue en 1930 aux éditions Bossard1 : « Le fait reste indéniable et incontesté : la plupart des manuels d’histoire mis entre les mains des enfants de France sont inexacts ou mensongers, certains même nette- ment scandaleux et diffamatoires… » 3 - Le temps de la diffusion et d’une relative stabilité dans l’immédiat après-guerre, et même parfois pendant le second conflit mondial, par manque de moyens2. 4 - Le temps de l’ouverture puis de la rénovation (1954-1968). Les contenus des programmes se modifient ; on cherche à donner un sens nouveau à l’histoire scolaire. Ainsi la place de l’histoire des civilisations par rapport à l’histoire militaire s’affirme, non sans difficultés : le pro- gramme de la classe terminale mis en place dans les années soixante constitue un exemple symbolique. La structure des manuels se modifie : les supports se diversifient, la part du discours structuré et éla- boré diminue (« le cours », selon le titre même porté par le livre pendant (1) Cette publication, coordonnée par G. Champenois, est financée par les proches de l’Action fran- çaise. (2) La pénurie de papier, les difficultés économiques empêchent l’application réelle des mesures de censure souhaitées par le gouvernement en 1943. ATALA n° 3, «L’Histoire, de la source à l’usage», 2000 176 NICOLE LUCAS très longtemps : le cours Isaac des années trente, ou le nouveau cours Huby des années cinquante). On parle désormais de « la collection », dirigée par Jean Monnier ou par Lucien Genet. Les préoccupations pédagogiques sont plus marquées. Gravures, cartes, textes sont insérés dans le texte et sont complétés, surtout pour les classes du lycée, par des petits recueils de textes, par un mémento (ex : Le Monde contem- porain, manuel Hatier de terminale paru en 1962), ou par un résumé, pour les ouvrages destinés au premier cycle. 5 - Le temps des remises en cause : les années soixante-dix. Révolu- tion des mentalités, révolution des méthodes ? On réforme les program- mes. On entre dans une période critique. La presse, les revues (Cahiers pédagogiques, Information historique, L’Éducation nationale) consa- crent des articles ou des numéros spéciaux aux manuels. Des auteurs tentent de modifier profondément l’image et la structure du manuel : ainsi les dossiers d’histoire prévus pour la classe de troisième par J. Grell chez Istra en 1970-1971 se distinguent tant sur la forme que sur le fond. Les documents constituent les points de départ de chaque dos- sier présenté en minces feuillets faciles à placer dans un classeur. Le manuel, à cette époque subit de plein fouet les critiques : « Manuels, danger ! » (1975, Cahiers pédagogiques) ou « Apprendre sans manuels » (1978, dans la même source). À partir de 1977, un uploads/Litterature/ atala3-lucas.pdf
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- Publié le Dec 03, 2021
- Catégorie Literature / Litté...
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