n°13 (2000), pp. 15-26 Isabelle Eberhardt: regards, désirs et création d'une my
n°13 (2000), pp. 15-26 Isabelle Eberhardt: regards, désirs et création d'une mystique Résumé Qui est Isabelle Eberhardt ? Cette femme-protée, fascinante et fascinée, androgyne d'un désert qui devait, en une saisissante allégorie, l'engloutir dans ses eaux, elle qui toujours chercha à se fondre dans son immensité brûlante. Elle sit dire bien fort qu'elle était musulmane. Sa vie si étrange et si aventureuse en ce début de siècle, a pris une valeur mythique. L'Algérie a été avant tout son lieu d'identité et d'affirmation. Dr ALI-KHODJA Djamel Département des Langues Etrangères Université Mentouri Constantine (Algérie) L'étude présente restitue une voix, mais aussi une écriture qui, au-delà des déformations d'un vécu insolite, permet une connaissance d'une Algérie d'hier, d'une vie concrète et d'un choix existentiel hors du commun dans l’Algérie coloniale. I- ISABELLE EBERHARDT OU LA FECONDE ERRANCE DANS "SON PAYS REEL" Qui est Isabelle Eberhardt ? Cette femme- protée, fascinante et fascinée, androgyne d'un désert qui devait, en une saisissante allégorie, l'engloutir dans ses eaux, elle qui toujours chercha à se fondre dans son immensité brûlante. Il reste aujourd'hui ses écrits et les témoignages de ceux qui l'ont connue pour donner plus d'épaisseur au mystère. ﻣﻠﺨﺺ ﻣﻦ هﻲ إﻳﺰاﺑﺎل إﺑﺮهﺎرد؟ هﺬﻩ اﻟﻤﺮأة اﻟﺤﺮﺑﺎء، اﻟﻔﺎﺗﻨﺔ واﻟﻤﻔﺘﻮﻧﺔ، ﺧﻨﺜﻰ اﻟﺼﺤﺮاء اﻟﺘﻲ آﺎﻧﺖ ﻟﺘﺒﺘﻠﻌﻬﺎ ﻓﻲ ﻣﻴﺎهﻬﺎ ﻓﻲ اﺳﺘﻌﺎرة أﺧﺎذة؛ هﺬﻩ اﻟﻤﺮأة اﻟﺘﻲ آﺎﻧﺖ دوﻣﺎ ﺗﺴﻌﻰ إﻟﻰ اﻟﺬوﺑﺎن ﻓﻲ ﻓﻀﺎﺋﻬﺎ اﻟﻤﺤﺮق، آﻤﺎ آﺎﻧﺖ ﺗﺠﺮؤ ﻋﻠﻰ اﻟﺠﻬﺮ ﺑﺄﻋﻠﻰ ﺹﻮﺗﻬﺎ ﺑﺄﻧﻬﺎ ﻣﺴﻠﻤﺔ . ﻟﻘﺪ أﺽﺤﺖ ﺡﻴﺎﺗﻬﺎ اﻟﻐ ﺮﻳﺒﺔ اﻟﺜﺮﻳﺔ ﺑﺎﻟﻤﻐﺎﻣﺮات ﻓﻲ ﺑﺪاﻳﺔ هﺬا اﻟﻘﺮن ﺑﻤﺜﺎﺑﺔ اﻷﺳﻄﻮرة ، وآﺎﻧﺖ اﻟﺠﺰاﺋﺮ ﻟﻬﺎ ﻣﻮﺽﻊ اﻟﻬﻮﻳﺔ وإﺙﺒﺎت اﻟﺬات . إن هﺬﻩ اﻟﺪراﺳﺔ ﻻ ﺗﺴﺘﺮﺝﻊ ﺹﻮﺗﺎ ﻓﺤﺴﺐ ﺑﻞ أﻳﻀﺎ آﺘﺎﺑﺔ ﺗﺴﻤﺢ، رﻏﻢ ﺗﺸﻮﻳﻬﺎت اﻟﺰﻣﻦ اﻟﻤﻌﻴﺶ اﻟﻐﺮﻳﺐ ﺑﻤﻌﺮﻓﺔ ﺝﺰاﺋﺮ اﻷﻣﺲ، ﻣﻌﺮﻓﺔ ﺡﻴﺎة ﻣﻠﻤﻮﺳﺔ واﺧﺘﻴﺎر وﺝﻮدي ﻳﺨﺮج ﻋﻦ اﻟﻤﻌﺘ ﺎد ﻓﻲ اﻟﺠﺰاﺋﺮ ﺧﻼل اﻹﺡﺘﻼل . "Russe de sang tartare", née le 17 Février 1877 à Genève d'un père inconnu, et élevée par un ex- pope défroqué, elle meurt a Ain-Sefra le 21 Octobre 1904, emportée par un oued en crue. Déroutante Isabelle Eberhardt! Elle naît dans une villa, ouvrant les yeux sur les sapins et les cimes enneigées du Jura. A vingt ans, elle rejette ce paysage froid de banlieue de Genève. Elle sombre dans la fascination des grands espaces désertiques, du silence des dunes, des chevauchées "en cavalier arabe". Eduquée par l'amant de la mère, un nihiliste anarchiste qui lui apprend l'endurance et plusieurs langues dont l'Arabe, elle subit l'attrait de la vie nomade et se convertit à I'Islam. Université Mentouri, Constantine, Algérie, 2000. ALI-KHODJA Djamel Ses biographies se perdent. Aujourd'hui encore on récrit sa vie, comme si chaque fois qu'un auteur s'y intéresse, il croit déceler quelques secrets à divulguer. Percent-ils l'âme d'Isabelle, la vraie ? Elle s'y est acharnée elle-même, morte à vingt-sept ans, trop précocement sans doute, pour y être arrivée. "Les Journaliers", la seule œuvre qui lui soit fidèle, avertit les biographes: "Pour un étranger, ces pages seraient incompréhensibles presque toujours". Ici commence le mythe d'un personnage complexe aux origines énigmatiques. Des points obscurs jalonnent sa vie, des auteurs s'y sont projetés, Isabelle s'en est sortie multiple, avec des images disparates. Désormais, elle ne restera jamais "une" et elle n'en est que plus fascinante, plus mystérieuse. "Elle tient de l'enfant et du monstre... Pétrie d'instinct et de calcul. Elle est plus une par ce qu'elle veut que par ce qu'elle est ". Fille naturelle, Isabelle est un enfant de l'exil, qui porte le nom de sa mère Nathalie Dorothée Eberhardt, femme d'un général russe, qui fuit son mari et s'installe avec son amant à Genève "asile des proscrits". C'est là qu'en 1877 naîtra Isabelle Eberhardt. Qui est son père ? Aucune réponse définitive. Rimbaud, estime Pierre Arnould dans son livre sur ce "génie précoce", poète errant et qui mourut musulman. Ressemblance physique et même penchant pour l'Islam. Isabelle aurait dit un jour : "Je mourrai musulmane comme mon père". Mais le compagnon de sa mère est un nihiliste "rancuneusement hostile à la religion", il ne peut donc s'agir de lui. Est-elle réellement fille de Rimbaud? "Hypothèse d'un romantisme échevelé, l'aventureuse et géniale Isabelle Eberhardt n'avait nul besoin de cette extraordinaire ascendance". Un père non identifié: ce n'est pas la seule zone sombre de sa vie. Sa mère est d'autant plus dans ses préoccupations que son père y est absent, totalement exclu. Autre énigme, sa passion pour son frère Augustin, son confident. Cette amitié entre les deux adolescents était-elle passionnée jusqu'à l'inceste? "Avec ce frère bien-aimé, Isabelle eut la première révélation de l'absolu, l'absolu qui hante plus intensément les âmes mobiles et vagabondes". A-t-elle rêvé de cette terre d'Islam en compagnie de son frère avant même qu'il ne s'engage dans la légion étrangère et qu'il se retrouve en Algérie? Quand, au juste s'est-elle faite musulmane? Augustin "est-il resté le plus grand amour de la jeune fille ?" Contrairement à elle, son frère "se case". Elle dit de lui: "Augustin n'est point né pour cela et il s'est engagé à jamais dans les sentiers battus de la vie". Elle se sent différente des autres, probablement sous l'emprise et l'influence du compagnon de sa mère, cet anarchiste qu'elle appelait "vava", et qui l'encourageait dans sa recherche d'un "destin hors du commun". "Je ne me sentirai jamais attirée que vers les âmes qui souffrent de cette haute et féconde souffrance qui a nom le mécontentement de soi-même, la soif de l'idéal, de cette chose mystique et désirable qui doit embraser nos âmes, les élever vers les sphères sublimes de l'au-delà". Serait-elle venue à l'Islam pour s'inventer son propre "art de vivre"? Que de questions sans réponses, sans certitudes. Isabelle a pour habitude de ne se confier "qu'à ses cahiers". Elle laisse ses passionnés face aux interprétations qui n'engagent qu'eux-mêmes. L'âme slave serait-elle si proche de l'âme arabe ? "Même sentiment poignant de la fatalité, poignant et pourtant résigné, même nomadisme". Isabelle serait donc une slave un peu prédisposée à sillonner le désert, et qui, même élevée par un "père" résolument farouche à tout ordre établi, se sentit un faible pour l'Islam, ou pour ce qu'elle appelle 16 Isabelle Eberhardt : regards, désirs et création d'une mystique. "la résignation islamique". Orpheline a vingt ans, dans un pays étranger, seule, obsédée par la mort, prématurément tourmentée par la rupture avec les êtres vitaux qu'on enterre, l'amour qu'on porte à des êtres "périssables", elle part en quête de courage pour assumer la mort, elle trouve l'Islam et lui rend hommage pour avoir fait du tombeau "un lieu de repos que rien ne saurait plus troubler, un acheminement radieux ver l'avenir éternel". Elle aima les Arabes pour cette "faculté qu'ils ont d'accepter la mort". Un de ses frères s'est suicidé, sa mère est morte juste quelques mois après leur arrivée à Annaba, son "père" deux ans après ... Augustin, quant à lui, est de l'autre côté de la barrière, ils ne partagent plus les mêmes idéaux. Elle est seule, "hantée" par la tombe de sa mère, enterrée à Bône, dans un cimetière musulman. Sa vie de nomade commence. "Elle endort en elle, le souvenir de ses morts tragiques, elle s'exerce à cette solitude dont elle voudrait recevoir l'ordination... Sous quelque burnous commun, elle erre à travers la Casbah, hante les cimetières, revient avec une prédilection morbide, au quartier de Bab El Gorjani que fréquentent les mendiants et les prostituées. Un complexe sentiment d'attirance et de pitié toujours, la poussera vers les êtres déchus". Ici, elle est à Tunis. Elle souffre de "la prodigieuse mobilité de sa nature" et, dit-elle, de "l'instabilité vraiment désolante de mes états d'esprits...". Elle descend vers le Sud constantinois, elle va à Timgad pour contempler les vieilles civilisations, elle fait un tour à Biskra, descend plus au Sud pour calmer son besoin des libres chevauchées dans le grand désert. Elle décide de ne plus se nommer "Isabelle Eberhardt" mais "Mahrnoud Sâadi", elle opte pour le costume de cavalier arabe, se fait passer pour un étudiant tunisien et se fond dans les zaouias du Sud. "N'est-elle pas femme par ce goût de duplicité ?" Androgyne, elle se parle tantôt au masculin tantôt au féminin. Elle est l'un et l'autre sexe. Elle se déguise en cavalier, matelot, "sa virilité domine dans ses courses au désert". Et, d'un autre côté, "femme, elle éprouve le besoin d'un guide et d'un appui mais elle redoute en même temps le maître, affamée qu'elle est d'indépendance". Dans le couple qu'elle forme avec Slimane, son mari, " Isabelle " laisse entendre qu'il y a dans son amour pour lui quelque chose qui n'est pas " normal ", qui n'est pas "naturel" et qui lui confère un statut d'exception: Des deux, c'est elle la nomade. Depuis cette adolescence où elle coupait du bois, habillée en garçon, elle était partie pour émerger du lot et ne jamais être une femme semblable à toutes les autres. "Vierge romantique et garçonne", elle déroute les biographes, une fois encore, par les relations spécifiques avec Slimane et par ses "préoccupations des choses obscures et troubles des sens". Ni vulgaire nymphomanie, ni simple homosexualité. Quoi au juste? Elle ne uploads/Litterature/isabelle-eberhar.pdf
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- Publié le Mai 19, 2022
- Catégorie Literature / Litté...
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