L es premières pages de la Bible sont parmi les plus connues de l’Ancien Testam
L es premières pages de la Bible sont parmi les plus connues de l’Ancien Testament et n’en sont pas les moins mystérieuses. Les découvertes scientifiques, astronomiques ou biologiques, ont depuis longtemps remis en cause une interprétation littéraliste du texte. Nombre de nos contemporains en sont restés là, sans se douter que l’exégèse a, elle aussi, fait des progrès et que l’on peut concilier harmonieusement la Bible et la science. Mais ces objections ne sont pas nouvelles. Dans l’Antiquité, les adversaires du christianisme ne manquaient pas une occasion de critiquer les trois premiers chapitres de la Bible, qui leur paraissaient incohérents, inconcevables et puérils. Il est vrai qu’ils ont de quoi dérouter. Les questions peuvent être multiples. Que faisait Dieu avant de créer le monde ? Que signifie le repos de Dieu ? Etait-il dans le noir avant de créer la lumière ? Pourquoi y a- t-il deux récits de création, apparemment incompatibles entre eux ? Pourquoi Dieu a-t-il créé les animaux nuisibles ? Si l’homme a été créé à l’image et à la ressemblance de Dieu, cela veut-il dire que Dieu a une barbe et nez ? Les questions sont nombreuses et les païens, qui n’admettaient pas l’idée de création, ou les manichéens,1 qui voyaient en elle l’œuvre du Dieu mauvais, ne se privaient pas pour railler le texte biblique. Pourtant, les premières pages d’un bon livre sont souvent les plus importantes. L’introduction ne fait pas que présenter brièvement le plan du livre, elle présente l’intérêt, donne les grandes orientations dans lesquelles l’auteur va s’engager. On pourrait dire la itinéraires augustiniens . 5 1 augustin en son temps Augustin, commentateur de la Genèse 1 L’article suivant présentera plus en détail le manichéisme et sa doctrine. même chose des premières lignes de la Bible. Si les Pères de l’Eglise ont commenté les premiers chapitres de la Genèse, c’est autant pour défendre la Parole de Dieu attaquée que pour comprendre eux- mêmes d’où venaient le monde, l’homme, ou comment celui-ci devait se comporter dans sa relation avec son créateur. Ce n’est ni plus ni moins que le sens de l’existence qu’ils cherchaient. Augustin n’a pas fait exception et a lui aussi abondamment commenté le livre de la Genèse. Des cinq commentaires qu’on lui connaît, c’est le De la Genèse au sens littéral (De Genesi ad litteram)2 qui est le plus abouti et que nous étudierons ici. Avec la Trinité et la Cité de Dieu, il fait partie des grandes œuvres de sa maturité. Débutée au plus tard en 402, la rédaction s’est achevée une dizaine d’années après, vers 415. Cet ouvrage en douze livres se présente comme une explication suivie des trois premiers chapitres de la Genèse, de la création jusqu’à l’expulsion d’Adam et Eve du paradis terrestre. Par rapport aux autres commentaires d’Augustin, cette œuvre propose une exégèse à partir du sens littéral, sans faire appel à la méthode allégorique, ce qui lui donne une valeur particulière. Ce sera l’objet de la première partie de cet article. Nous étudierons ensuite la réponse qu’Augustin apporte à deux problèmes exégétiques cruciaux : la succession des jours et l’articulation des deux récits. Nous terminerons par deux points majeurs, la bonté de la création et la place spécifique de l’homme (et de la femme !). 1. Augustin et le « livre des origines du monde » Trois chapitres de nombreuses fois commentés Les premières pages de la Bible n’ont jamais laissé Augustin indifférent. S’il s’est laissé séduire par les manichéens, c’est en partie parce que le jeune intellectuel était rebuté par une conception corporelle de Dieu, seule manière pour lui de comprendre comment l’homme avait pu être créé à l’image de Dieu. Une fois devenu chrétien, convaincu par la méthode allégorique d’interprétation des Ecritures qu’Ambroise lui avait transmise, il se mit à réfuter les manichéens pour défendre la Parole de Dieu. L’allégorie est une figure de style « qui par une chose en fait comprendre une autre » (De la Genèse contre les manichéens, 1, 22, 33) et les Pères de l’Eglise parleront de lecture allégorique de l’Ecriture lorsque derrière des réalités concrètes (objets, personnes, lieux, événements), ils verront la mention de réalités spirituelles3. Pour Augustin, l’obscurité des Ecritures est accrue par les mauvaises traductions de la Bible - que l’on appelle généralement « Vieilles Latines» - dont les latins disposaient avant que Saint Jérôme ne publie une meilleure édition latine de la Bible, la Vulgate. 2 Augustin, La Genèse au sens littéral, trad., int. et notes par P . Agaësse et A. Solignac, Bibliothèque Augustinienne [BA] 48 et 49, Paris, 1972. 3 Voir à ce sujet le numéro 40 des Itinéraires Augustiniens, « Le sens des Ecritures », juillet 2008 6 . itinéraires augustiniens . 4 Cf Roland Teske, « Récits de la Genèse sur la création », dans Alan Fitzgerald (dir.), Encyclopédie Saint Augustin. La méditerranée et l’Europe, IVème-XXIème siècle, Cerf, Paris, 2005, p. 1220-1223. itinéraires augustiniens . 7 Entre 388 et 390, soit quelques années après sa conversion, Augustin écrit le De la Genèse contre les manichéens, où il réfute les arguments des disciples de Mani. Il trouve la plupart des réponses aux questions posées en recourant à la méthode allégorique, utilisant le sens figuré lorsqu’il n’arrive pas à justifier le sens propre. Mais pour réfuter véritablement ses adversaires, il lui faut aller plus loin et s’en tenir au sens littéral. En 393, il se lance dans cette nouvelle aventure à laquelle il doit rapidement renoncer, reconnaissant lui-même qu’il est encore trop limité dans sa science exégétique (cf Révisions, I,18). A la fin de sa vie, il décidera quand même de publier ce qui est connu sous le nom De la Genèse au sens littéral, livre inachevé. Entre 397 et 401, ce sont les chapitres XI à XII des Confessions qui commentent de nouveau Gn 1 à 3, où sa présentation allégorique cherche à montrer que la création est une prophétie de la création nouvelle dans le Christ. De la Genèse au sens littéral est donc le premier commentaire littéral abouti, dont les grandes lignes seront ensuite reprises au livre XI de la Cité de Dieu, écrit vers 417-418, où il présente l’origine des deux cités. On peut aussi ajouter le début du Contra adversarium legis et prophetarum4. L’originalité de La Genèse au sens littéral Maintenant beaucoup plus expérimenté dans la lecture de l’Ecriture, Augustin peut s’atteler à l’œuvre qu’il avait envisagée auparavant. Le début de l’ouvrage expose la méthode d’interprétation (I, 21, 41). Lorsque le chrétien lit un texte biblique, il doit d’abord le comprendre au sens littéral, selon le sens que l’auteur a voulu donner au texte. Le livre de la Genèse raconte des événements qui se sont réellement déroulés, à la manière des livres historiques. Il n’est donc pas question de comprendre le paradis comme une réalité purement spirituelle, mais comme une réalité corporelle et une réalité spirituelle, les deux à la fois. (VIII, 1, 13). Ou bien : « Tous ces êtres ont signifié autre chose que ce qu’ils étaient : néanmoins, ils étaient eux-mêmes des êtres réels, et, quand l’historien sacré nous en parle, il ne s’agit pas seulement d’une figure, mais de la narration de faits concrets qui d’avance figuraient des choses à venir. » (VIII, 4, 8) Cependant, si Augustin ne recourt presque pas à la méthode allégorique dans ce livre, le lecteur moderne se sent parfois déboussolé et trouvera que l’évêque d’Hippone s’éloigne de ce que l’on peut lire dans le texte biblique. Interpréter « à la lettre » un passage, ne signifie pas pour Augustin faire preuve d’une interprétation littéraliste. Ce qu’il cherche d’abord, c’est à comprendre les faits qui se sont réellement déroulés. Cela explique parfois des écarts avec ce que nous nommerions interprétation littérale. L’interprétation d’Augustin n’est pas totalement subjective. Elle reste subordonnée à la foi. Car si le sens littéral s’avère trop obscur, il faut chercher un sens conforme au contexte et à la doctrine. Et si cela n’est pas possible, une interprétation sera juste tant qu’elle sera conforme à la foi (I, XXI, 41). Une autre exigence est requise, la prudence. En effet : « Il arrive assez souvent en effet que, sur la terre, le ciel, les éléments du monde, sur le mouvement et la révolution des astres […], un homme, même non chrétien, ait des connaissances telles qu’il les tienne pour indubitablement établies par la raison et l’expérience. Or il est extrêmement choquant et dommageable – et c’est une attitude dont il faut se garder à tout prix – qu’il entende un chrétien tenir sur de tels sujets des propos délirants en ayant l’air de s’appuyer sur les Ecritures. […] Car lorsque, en des matières qui leur sont parfaitement connues, des incroyants surprennent un chrétien en flagrant délit d’erreur et le voient tenir des propos inconsistants et se réclamant de nos saints Livres, comment pourront-ils croire ce que disent ces Livres de la résurrection des morts, de l’espérance de la vie éternelle et du Royaume des cieux, s’ils pensent que ces écrits renferment nombre d’erreurs sur des uploads/Litterature/ augustin-commentateur-de-la-genese.pdf
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- Publié le Jui 24, 2021
- Catégorie Literature / Litté...
- Langue French
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