Langage et société Jacqueline Authier-Revuz, Ces mots qui ne vont pas de soi. B

Langage et société Jacqueline Authier-Revuz, Ces mots qui ne vont pas de soi. Boucles reflexives et non-coïncidences du dire Branca Citer ce document / Cite this document : Branca. Jacqueline Authier-Revuz, Ces mots qui ne vont pas de soi. Boucles reflexives et non-coïncidences du dire. In: Langage et société, n°75, 1996. pp. 97-104; http://www.persee.fr/doc/lsoc_0181-4095_1996_num_75_1_2732 Document généré le 01/06/2016 COMPTES RENDUS 97 Ces mots qui ne vont pas de soi. Boucles reflexives et non-coïncidences du dire Jacqueline AUTHIER-REVUZ Paris, Institut Pierre Larousse, 1996 Dans le domaine de l'analyse de discours, les travaux de Jacqueline Authier-Revuz sur les « paroles tenues à distance » et l'autonymie sont fréquemment utilisés. La publication de cet ouvrage, qui rend accessible cette recherche dans tout son extension, est par conséquent un événement important. Les énoncés qu'étudie J. Authier-Revuz présentent un trait commun : l'énonciateur prend un élément de son message pour objet et le redouble d'un commentaire. Langage-objet et métalangage s'entrelacent dans le même discours. Il peut s'agir du discours quotidien : Ah non, changer des bébés toute la journée, moi je trouve ça emmerdant. . . au sens propre d'ailleurs, enfin propre [rires] si on peut dire. Conversation train [jeunes filles parlant du métier de puéricultrice, introduction, p.l]. ou d'énoncés littéraires que certains auteurs, Proust, Duras, Quignard par exemple, affectionnent parce que leur littérature est une manière de montrer cette relation d'étrangeté indépassable du langage à son objet. Le travail est restreint aux gloses qui surgissent spontanément, au fil du discours, lorsqu'un énonciateur éprouve le besoin de s'arrêter sur les mots qu'il est en train d'utiliser et qui pour lui « ne vont plus 98 COMPTES RENDUS de soi ». L'auteur appelle modalisation autonymique ce mode de dire particulier. Elle s'inscrit dans la perspective ouverte par les spécialistes du métalangage naturel en particulier J. Rey-Debove (1978, 251- 256) qui étudiait sous le nom de connotation autonymique des formules telles que « X comme on dit aujourd'hui ». 1. Or si le domaine d'investigation est local, l'étude de J. Authier invite à un renouvellement des conceptions de la subjectivité. La notion de subjectivité longtemps considérée comme fondatrice est systématiquement déconstruite et l'accent est mis sur l'hétérogénéité du sujet, traversé par l'altérité qui provient des relations intersubjectives, par l'altérité des discours qui précèdent et déterminent ses énoncés, par l'altérité de l'inconscient qui le divise. Certes dès la première analyse de discours que l'on peut référer à l'Analyse automatique du discours de M. Pêcheux (1969), l'analyste déconstruisait les évidences, en montrant comment au-delà des représentations imaginaires d'un sujet, son discours était déterminé de l'extérieur parce qu'il était traversé par les énoncés provenant de la formation discursive à laquelle il appartenait. Mais la stabilité de la relation entre formes de langue et conditions socio-historiques garantissait une certaine invariance du sens transmis par le sujet l). Ce qui se cherchait à travers le langage marxiste est généralisé sous le concept d'hétérogénéité. Le nouveau modèle remonte au travail toujours coordonné par M. Pêcheux qui se développe à partir de 1982 au sein de la RCP ADELA 2) et ce livre en est l'aboutissement. Il permet de conjoindre le thème philosophique de l'hétérogénéité et une approche opérationnelle des marques précises d'altérité. Les propriétés remarquables de la modalisation autonymique décrites ici en linguiste constituent donc un double enjeu. Elles sont révélatrices de l'essence du langage et - même si ce n'est qu'indirectement l'objet de la réflexion de l'auteur -, elles intéressent l'ensemble des analystes du discours. 1 . Sens fixé pour chaque discours par la formation discusive qui le détermine. 2. Il s'agit d'une équipe de recherches du CNRS {Recherche coopérative programmée), structurée en trois secteurs « Archives socio-historique », « Recherches linguistiques sur la discursivité », « Informatique en analyse du discours ». Sur le parcours de M. Pêcheux, il faut lire D. Maldidier, 1990, L'Inquiétude du discours, Paris, E. des Cendres. COMPTES RENDUS 99 2. On peut rapprocher l'étude de la modalisation autonymique de questions abordées par des spécialistes des relations interlocutives dans un cadre pragmatique, travaillées par des didacticiens intéressés par les phénomènes d'apprentissage d'une langue étrangère ou d'un vocabulaire de spécialité ; ou par les interactionistes préoccupés par les circonstances communicationnelles qui en suscitent l'apparition. Mais loin de rechercher un consensus, J. Authier-Revuz situe nettement son travail en opposition au courant pragmatique et ce de deux points de vue qu'il me semble important d'exposer pas à pas, dans leur « raideur », puisque pour J. Authier-Revuz s'y joue le sens de son entreprise. Premièrement - elle y insiste - son projet s'appuie sur un inventaire et une description minutieuse des formes métalinguistiques caractérisant le fonctionnement autonymique. Il s'oppose radicalement à la démarche pragmatique qui regroupe les catégories de langue autour des intentions communicatives d'un sujet parlant et aboutit à un ensemble où l'on trouve aussi bien des énoncés autonymiques que des commentaires qui ne font en aucune façon retour sur la forme même du discours mais constituent des commentaires sur le contenu qui vient d'être asserté : qui va s'iaver admettons régulièrement, j'espère que c'est le cas pour tous, j'en sais rien [ il s'agit d'un exemple de M.-M de Gaulmyn cité p. 26] Au contraire, J. Authier se limite aux cas où l'auto-représentation du dire passe par une « opacification » de l'élément commenté. Elle pose une frontière entre les X disons Y, mise en équivalence de deux formes qui passe par le retour sur la représentation du dire, et les X par exemple Y ; X, évidemment Y articulant des contenus3). L'auteur s'attachera donc avec un soin extrême à distinguer les cas où il est parlé du mot par lequel on désigne une chose et ceux où il est parlé de la chose désignée. La définition des actes de langage est un exemple qui permet de tracer nettement une frontière. On peut relever les propriétés d'une catégorie particulière de verbes et donc se fonder sur des faits de 3. Regroupement effectué par exemple par E. Gûlich. 100 COMPTES RENDUS langue, comme le propose Benveniste, ou renvoyer à des rapports interactifs posés d'emblée comme le fait par exemple P. Charaudeau. J. Authier choisit, bien entendu, la première solution : pour elle, ce sont les formes qui imposent un certain type de jeu interactif. Mes unités de base ne sont pas une série d'actes ou de rapport interactifs posés d'emblée, comme la réserve, la précaution, l'excuse, l'échange réparateur, le rapport mimétique, le rapport agonal, etc, en fonction de la pertinence desquels seraient regroupés, en traversant, - en gommant, comme on veut - leur spécificité proprement linguistique, des éléments formellement hétérogènes (p. 57) Le parti pris descriptif est d'autant plus significatif qu'il s'agit de formes stéréotypées (c'est le cas de le dire, c'est rien de le dire, il faut le dire. . .) dont le sens commun voudrait qu'ils soient plus ou moins interchangeables. Deuxièmement, cette conception du travail, attachée aux formes de langue, doit se préoccuper de ses « extérieurs théoriques », psychologique, sociologique, psychanalytique, ce qui implique une position plus générale sur les rapports du sujet et de la langue. En prenant surtout appui sur Lacan et sur la théorie du discours de Pêcheux 4), J. Authier refuse les conceptions psychologisantes de renonciation comme « sens visé par un locuteur » utilisant un langage outil, et elle se réfère à un sujet produit par le langage et clivé par l'inconscient. De là une définition de l'hétérogénéité du champ énonciatif radicalement différente de l'hétérogénéité des pragmaticiens. Dans l'approche pragmatique, le sujet procède comme un metteur en scène. Pour se représenter son énonciation, il peut comme le locuteur polyphonique de Ducrot donner la parole à plusieurs rôles, d'où cette description du fonctionnement de nombreux mots comme « une sorte de dialogue cristallisé où plusieurs voix s'entrechoquent ». Il peut, comme dans le modèle développé par P. Charaudeau, 4. On aurait pu aussi rapprocher cette attention portée au métalinguistique (c'est-à- dire à ce lieu du langage qui ne parle pas du monde mais de soi) d'une conception de la modernité littéraire qui va de Mallarmé (l'œuvre implique la disparition illocu- toire du poète, qui cède l'initiative aux mots) à Blanchot, théoricien d'une littérature intransitive. COMPTES RENDUS 101 s'inscrire dans le théâtre de la vie sociale (p.91). Cette fois les personnages sont des partenaires en chair et en os qui jouent leur identités langagières, adoptent des rôles en fonction de calculs stratégiques. Les commentaires méta-énonciatifs sont déclenchés lorsque un sujet rencontre l'image d'un interlocuteur trop différent de lui et qu'il confronte son propre vocabulaire au vocabulaire de son interlocuteur. Au-delà de cette mise en scène sociale, J. Authier, veut atteindre une hétérogénéité plus radicale, liée au fait que le sujet n'est pas origine et cause de ses pensées et de ses paroles, qu'il est au contraire séparé d'une partie de lui-même, pris dans un ensemble de déterminations linguistiques, inter-discursives (le déjà-dit de Bakhtine), idéologiques, psychanalytiques (le fameux ça parle de Lacan). Si donc, les marques linguistiques du dédoublement autonymiques sont si importantes c'est que « l'extérieur » est constitutif du discours5). 3. uploads/Litterature/ authier-revuz.pdf

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