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HAL Id: halshs-00782257 https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-00782257 Submitted on 29 Jan 2013 HAL is a multi-disciplinary open access archive for the deposit and dissemination of sci- entific research documents, whether they are pub- lished or not. The documents may come from teaching and research institutions in France or abroad, or from public or private research centers. L’archive ouverte pluridisciplinaire HAL, est destinée au dépôt et à la diffusion de documents scientifiques de niveau recherche, publiés ou non, émanant des établissements d’enseignement et de recherche français ou étrangers, des laboratoires publics ou privés. Ces braves Italiens Rossana Vaccaro To cite this version: Rossana Vaccaro. Ces braves Italiens. Vingtième siècle, Fondation Nationale des Sciences Politiques, 2012, avril-juin (114), pp.218-222. ￿halshs-00782257￿ Ces braves Italiens Rossana Vaccaro Centre d’histoire sociale du XXe siècle (Université Paris 1/CNRS) En 2011, les Italiens fêtent le 150e anniversaire de l’unité nationale, réalisée en 1861. Cette commémoration donne lieu à de nombreuses manifestations et publications et, dans une période de crise politique, économique et morale qui remet en cause les fondements mêmes de cette unité, beaucoup s’interrogent sur le processus de construction d’une identité culturelle qui a fondé la nation et « fait les Italiens » tels qu’ils sont aujourd’hui. Au moment où le monde entier pose sur l’Italie un regard à la fois étonné et amusé, le malaise est grand dans le pays. Le phénomène Berlusconi n’est pas une parenthèse transitoire, il ne peut s’inscrire que dans la continuité et tirer son origine d’une histoire longue qu’il semble falloir encore explorer. Eugenio Scalfari, directeur du quotidien La Repubblica et éminent journaliste de l’opposition, disait récemment à la télévision : « La question importante n’est pas Berlusconi, mais comment l’Italie a pu supporter un tel personnage pendant dix-sept ans. La question est : qui sommes-nous1 ? » C’est encore Scalfari qui, à propos des effets de la crise économique en Italie, a écrit : « Dans ces conditions, la fragilité intrinsèque de la démocratie italienne a refait surface et nos faibles vertus civiques ont cédé face à l’invasion du populisme, de la démagogie, de l’indifférence, de l’incompétence, de la corruption2. » Le « berlusconisme » ne se réduit donc pas au personnage dont il prend le nom, il est le signe d’un échec dans la construction de l’État national. Mais où chercher les racines du mal ? Dans la Contre-réforme3, dans le Risorgimento qui aurait manqué ses objectifs4, dans l’héritage du fascisme ? D’où viennent les « vices » de ce peuple qui ressurgissent toujours face aux difficultés et qui sont donc ces Italiens se reflétent aujourd’hui dans la caricature 1 La 7, 9 septembre 2011. Le débat entre Eugenio Scalfari et d’autres journalistes suivait la projection d’un film consacré à Silvio Berlusconi, « Silvio Forever ». 2 La Repubblica, 14 octobre 2011. 3 Selon l’écrivain Ermanno Rea, la Contre-réforme aurait transformé le citoyen responsable, forgé par l’humanisme de la Renaissance en sujet servile, menteur et opportuniste (Ermanno Rea, La fabbrica dell’obbedienza, il lato oscuro e complice degli italiani, Milan, Feltrinelli, 2011). 4 Antonio Gramsci avait défini le Risorgimento comme une révolution manquée. L’historien Guido Crainz a élargi cette notion à l’histoire de l’Italie républicaine, en intitulant un de ses ouvrages « Le pays manqué » (Il paese mancato : dal miracolo economico agli anni ottanta, Rome, Donzelli, 2003). En outre, il explore la période républicaine à la recherche des racines de l’Italie d’aujourd’hui dans Autobiografia di una Repubblica : le radici dell’Italia attuale, Rome Donzelli, 2009. d’un homme politique qu’ils se sont choisis comme modèle ? Ce sont les questions que Simonetta Greggio pose également dans son roman Dolce vita : 1959-1979, en plongeant le lecteur dans les deux décennies de l’histoire républicaine qui ont précédé l’émergence de l’ère « berlusconienne »5. Nous sommes en 2010. Retranché dans sa villa de l’île d’Ischia, le vieux prince Emanuele Valfonda, dit Malo, va bientôt mourir. Il a convoqué Saverio un prêtre jésuite, fils de son ancien régisseur, afin de lui livrer sa confession. Dans ces jeunes années, cet aristocrate fortuné a profité sans retenue de la dolce vita romaine, connu les personnages importants de la politique, du monde intellectuel et de la jet-set italienne, fréquenté les lieux à la mode de la capitale. Membre d’une aristocratie décadente, il a dépensé sans compter sa fortune et son énergie en poursuivant son plaisir, sans se soucier de provoquer le malheur des êtres qui lui étaient proches. Quant à Saverio, il fuit un mystérieux passé qui l’a vu lié aux Brigades rouges et l’a contraint à s’expatrier en France ; il a gardé pour son pays un sentiment mêlé de haine et de nostalgie et n’est désormais animé que par un fort désir d’expiation. Malgré ses réticences vis-à-vis du prince dont tout l’éloigne, il n’a d’autre choix que d’accourir au chevet de ce vieux qui se meurt, et d’accepter de l’écouter. Ce sont là les deux seuls personnages fictifs de cet ouvrage que l’on pourrait définir comme un « docu-roman », l’auteure s’est en effet appuyée sur des sources très variées, documents d’archives, livres, articles, films et chansons de variété, dont elle signale les références dans une bibliographie finale. Le prince Malo se raconte, en mettant en perspective sa vie dissolue et les affaires tragiques qui ont marqué l’histoire de la République. L’alliance, à la fin de la guerre, entre la CIA, la Mafia et d’anciens fascistes qui a donné lieu à la stratégie de la tension6. Les tentatives de coups d’État, les assassinats d’Enrico Mattei7, Mauro de Mauro8, Giorgio Ambrosoli9 et du général Dalla Chiesa10, les attentats terroristes de l’extrême droite, à 5 Simonetta Greggio, Dolce Vita : 1959-1979, Paris, Stock, 2010, 406 p. 6 La stratégie de la tension, ou terrorisme d’État, désigne la tentative de déstabilisation mise en place par les États-Unis, via l’OTAN et la CIA, à l’encontre de pays méditerranéens (Grèce, Turquie, Italie), afin de favoriser l’instauration de dictatures militaires. 7 Enrico Mattei, ancien partisan, président de l’Institut national des hydrocarbures meurt, en 1962, dans un accident d’avion jamais élucidé. Son souhait de bâtir l’autonomie énergétique de l’Italie aurait gêné le cartel pétrolier qui aurait commandité son assassinat à la Mafia. 8 À la demande du metteur en scène Francesco Rosi, qui préparait son film Il caso Mattei (1970), le journaliste d’investigation Mauro de Mauro avait rouvert l’enquête relative à l’accident qui avait coûté la vie à Enrico Mattei. Le journaliste est enlevé en 1970 et son corps n’a jamais été retrouvé. 9 L’avocat Giorgio Ambrosoli, liquidateur judiciaire des banques de Michele Sindona, accusé d’être en affaire avec la Mafia et le Vatican, est chargé d’établir les responsabilités de celui-ci. Il est assassiné en 1979. 10 Mario Alberto Dalla Chiesa, général des carabiniers et préfet de Palerme, est assassiné par la Mafia en 1982. commencer par le massacre de la place Fontana à Milan11, la mort de l’anarchiste Giuseppe Pinelli12, celle du commissaire Calabresi13, les enlèvements des Brigades rouges avec l’assassinat d’Aldo Moro14, les innombrables scandales politiques et financiers. Mais le prince raconte également des faits divers, jamais éloignés de la politique : l’affaire Wilma Montesi15, le viol de Franca Rame16, le massacre du Circeo17, le meurtre de Pier Paolo Pasolini18. Parfois, par la bouche de Malo, les victimes s’expriment elles-mêmes au travers de mots qu’elles auraient pu prononcer et d’écrits qu’elles ont effectivement laissés. Le prince Malo campe un Guépard contemporain qui n’est mêlé aux événements que par sa contiguïté avec le monde des puissants. Durant cette période ensanglantée, il évolue entre Rome, Cannes et Capri, dans de somptueux palais, hôtels et yachts aux décors viscontiens et compte parmi ses conquêtes les plus belles femmes et les plus beaux hommes de l’époque. Arrivé à la fin de sa vie, il se reproche cette indifférence et pose la question : « Quand avons- nous commencé à être aveugles et sourds ? » (p. 239). Mais la dolce vita n’est pas seulement celle menée par celui qui en fut le prince. Construit comme un scénario de cinéma, à l’aide de retours en arrière et de plans séquences, le roman s’ouvre avec l’évocation de l’avant-première, en 1960, du film de Federico Fellini. Malo y assistait, car il en était l’un des figurants, jouant son propre rôle ; il raconte l’atmosphère de scandale qui entoura immédiatement la sortie de ce film emblématique, les attaques violentes dont Fellini fut l’objet, l’intervention du Vatican, l’excommunication du cinéaste. La vie du 11 Cet attentat à la bombe, perpétré par les néofascistes dans la Banque de l’agriculture de Milan, le 12 décembre 1969, a fait seize morts et quatre-vingt-huit blessés. Il inaugure les « années de plomb » en Italie. 12 Injustement accusé d’avoir participé à l’attentat de la place Fontana, l’anarchiste Giuseppe Pinelli tombe par accident, selon la version officielle, ou est poussé par la fenêtre de la préfecture de police où il était retenu pour un interrogatoire, la nuit du 15 décembre 1969. Voir Adriano Sofri, Les Ailes de plomb, Paris, Verdier, 2010. 13 Le commissaire de police Luigi Calabresi, accusé par l’extrême gauche d’être responsable uploads/Litterature/ ces-braves-italiens.pdf

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