Bulletin critique des Annales islamologiques 35 | 2021 Varia Oumar Sankharé, Le

Bulletin critique des Annales islamologiques 35 | 2021 Varia Oumar Sankharé, Le Coran et la culture grecque Seydi Diamil Niane Édition électronique URL : https://journals.openedition.org/bcai/332 DOI : 10.4000/bcai.332 ISSN : 2731-2046 Éditeur IFAO - Institut français d’archéologie orientale Référence électronique Seydi Diamil Niane, « Oumar Sankharé, Le Coran et la culture grecque », Bulletin critique des Annales islamologiques [En ligne], 35 | 2021, mis en ligne le 01 mai 2021, consulté le 22 mars 2022. URL : http:// journals.openedition.org/bcai/332 ; DOI : https://doi.org/10.4000/bcai.332 Bulletin critique des Annales islamologiques II. ISLAMOLOGIE, DROIT, PHILOSOPHIE, SCIENCES BCAI 35 32 Sankharé Oumar Le Coran et la culture grecque Paris, L’Harmattan 2014, 197 p. ISBN : 9782336304366 En 2011, le professeur de lettres Oumar Sankharé, recevait le titre honorifique de « Seul Africain agrégé de Grammaire », après Léopold Sédard Senghor. Après la publication de son livre Le Coran et la culture grecque en 2014, il fut l’objet de fatwā-s de la part d’associations islamiques du Sénégal qui l’invitaient au repentir, demandaient la censure de son livre et l’excommuniaient. Il décéda peu après et d’aucuns, à l’époque, ont pensé qu’il avait succombé à l’angoisse et à la pression des mouvements religieux (1). Celles et ceux qui ont déjà lu les travaux du chercheur tunisien Youssef Sedikk ne s’y perdront pas dans la mesure où l’universitaire sénégalais se réfère beaucoup, dans ce travail, à son homologue tunisien qui fut l’un des premiers, dans le monde musulman, à parler de la présence de la culture grecque dans le texte coranique (2). Et comme l’indique le titre, l’universitaire sénégalais Oumar Sankharé suit les traces de Sedikk. Six parties composent Le Coran et la culture grecque : la mythologie (p. 27-51), l’histoire gréco- romaine (p. 53-71), la littérature gréco-latine (p. 73- 98), philosophie (p. 99-116), philologie grecque (p. 117-140) et enfin la rhétorique (p. 141-181). La première partie aborde les mythes grecs et romains et les rites antiques dont on peut retrouver trace dans le récit coranique. Ainsi, par exemple, « Le Déluge » coranique viendrait de la mythologie grecque, plus particulièrement du récit de « Deucalion et son épouse Pyrrha » qui furent « les seuls survivants du Déluge déclenché par Zeus, le roi des dieux » (p. 29). De la même manière, la légende grecque de Coré serait à l’origine du récit de Qārūn narré dans la sourate XVIIII du Coran (p. 30) ; les trois déesses grecques « Clotho, Lachésis et Atropos » (p. 36) seraient derrière les trois divinités al-Lāt, Manāt et ʿUzzā mentionnées dans le Coran. Et si Ismaël a été sauvé de l’égorgement, dans le Coran, par un ange, c’est parce que, dans la mythologie romaine, un aigle avait sauvé Valéria, la fille qui devait être sacrifiée « pour mettre un terme (1) Voir Mamadou Sy Tounkara, « Nous avons tué le professeur Omar Sankharé », en ligne, https://www.dakaractu.com/Nous- avons-tue-le-Professeur-Omar-Sankhare-Par-Mamadou-Sy- Tounkara_a110614.html, consulté le 30/12/19. (2) Youssef Seddik, Nous n’avons jamais lu le Coran, La Tour-d’Aigues, Les éditions de l’Aube, 2010. à l’épidémie qui ravageait la cité de Faléries » (p. 44). L’associationnisme est un « péché mortel, comme celui de Socrate qui, selon l’acte d’accusation, a introduit à Athènes des divinités autres que celles de la cité » (p. 50). La deuxième partie aborde l’histoire gréco-romaine en rapport avec le texte coranique et tente de montrer que des événements historiques gréco-romains « se trouvent relatés » dans le Coran (p. 53). C’est ainsi que le récit coranique de Zū-l- Qarnayn (sourate XVIII, 83-86) devient une reprise de l’histoire d’Alexandre-le-Grand fils de Philippe de Macédoine (p. 58). La destruction du Barrage « des gens de Saba » (sourate XXXIV, 16) serait ainsi un « événement attesté historiquement […] sous le principat de l’empereur romain Décius » (p. 63). Les banquets grecs viennent influencer la description coranique du Paradis (p. 67). Dans la troisième partie, Oumar Sankharé s’arrête sur la littérature gréco-latine et sa présence dans le texte coranique. C’est ainsi qu’il voit, entre autres, que « le récit coranique relatif à Joseph (sou- rate XVI, 22 sqq.) qui échappe à une ruse féminine de séduction » ne serait pas étranger au chant VII de l’Odyssée portant sur les mythes de Circé et de Calypso. « Calypso était une nymphe qui habitait l’île d’Ogygie […] Quant à Circé, elle était une magicienne experte dans la préparation des filtres d’amour. […] Elle changea en pourceaux les compagnons d’Ulysse. Ce dernier réussit à échapper à ce sortilège en la séduisant et resta un an avec elle » (p. 76-77). Joseph serait victime de cette même ruse dans le Coran. Un autre exemple d’emprunt serait la participation de la « Divinité au combat ». De la même manière que le Dieu coranique peut être guerrier et s’impliquer à la guerre (sourate VIII, 8) les divinités, dans l’Iliade d’Homère participent aux conflits armés (p. 78-79). Dans le quatrième chapitre, Oumar Sankharé juge que, sur le plan philosophique, il y aurait un lien entre le verset 30 de la sourate XX selon lequel l’eau serait à l’origine de toute chose et Thalès de Milet (625-547 av. J-C), « le premier philosophe grec, chef de file des Milésiens » qui affirmait que l’eau était « l’élément premier de la Création » (p. 101). De la même manière, le voyage nocturne coranique, pour Oumar Sankharé, « apparaît comme une recompo- sition » du Poème de Parménide (p. 103). Ce même poème serait à l’origine de la sourate CXII qui fait l’injonction suivante à Muḥammad : « Dis : Lui, Dieu, est unique. Dieu est l’Absolu. Il n’a pas engendré, il n’a pas été engendré. Il n’a pas d’égal ». Cette sourate rappelle à l’auteur le viiie fragment du Poème de Parménide qui dit en substance : « L’Être n’a pas été engendré. Il est l’impérissable, l’universel, l’unique, l’immobile et l’éternel. Il n’a pas été et ne sera pas. II. ISLAMOLOGIE, DROIT, PHILOSOPHIE, SCIENCES BCAI 35 33 Il est le vivant. Il est l’entier, l’un, l’absolu » (p. 105). La sourate de la Caverne ainsi que la condamnation coranique des poètes tireraient leurs sources de la République de Platon (p. 107-109). Cela le pousse à se demander si « Platon n’était pas un Prophète d’islam » (p. 110). Moins convaincant que dans les autres par- ties, Oumar Sankharé consacre la cinquième à la philologie en faisant du grec l’origine du langage coranique là où Luxenberg (3) voyait une influence du syro-araméen. Certains mots comme kawṯar, ṣafā, marwa, etc., viendraient du grec (p. 120), le mot salām viendrait du salus grec et non pas de l’hébreu. C’est ainsi que al-salām ‘alaykum tirerait son origine de salutem vobis (p. 122). S’inscrivant dans la suite des travaux de Michel Cuypers (p. 143), l’auteur consacre la sixième et der- nière partie du Coran et la culture grecque à la rhéto- rique qui serait, pour lui, l’un « des domaines où les Arabes ont le plus subi l’influence hellène » (p. 141). Cependant, là où Cuypers parle de rhétorique sémitique (4), Sankharé voit une rhétorique grecque. La composition des sourates suit les traces de la composition des Chants (p. 145). Le style du Coran, qu’il qualifie de « formulaire », c’est-à-dire marqué quelquefois par la répétition des mêmes formules et termes, lui fait penser au « style formulaire de l’Iliade » (p. 149). Les figures de style grecques, à l’instar de celle appelée « l’harmonie imitative » qui réalise « l’alliance intime entre les sons et le sens » (p. 156), viennent au secours de la sourate IC (al-Zalzala – la secousse) dont la seule lecture « semble reproduire le boulever- sement de l’univers » (p. 156). Le refrain, qui « est la répétition lancinante d’un vers ou d’une expression sous forme de leitmotiv » (p. 160) est une autre figure de style qui caractérise la sourate LV (al-Raḥmān) où le verset Fa bi’ayyi ālā’ rabbikumā tukadhdhibān (Lequel des bienfaits de votre Seigneur niez-vous ?) se répète 31 fois sur un total de 78 versets. La conclusion (p. 183-185) résume la thèse d’Oumar Sankharé pour qui « la présence de la culture grecque dans le Coran […] ne pourra plus être mise en doute » (p. 183). Cette présence, pour l’universitaire sénégalais, aurait été occultée par « un chauvinisme de mauvaise aloi » qui a « tenté d’enfermer l’islam à l’intérieur des frontières de l’Arabie pour rejeter toute idée d’apport extérieur » (p. 183). Le Prophète n’était pas illettré et l’hellénisme (3) Christoph Luxenberg, e Syro-Aramaic Reading of the Koran. A Contribution to the Decoding of the Language of the Koran, Berlin, Hans Schiler, 2007. (4) Michel Cuypers, La composition du Coran, Pende, Éditions J. Gabalda et Cie, 2011 ; id., « Analyse rhétorique et critique his- torique », MIDÉO, 31, 2015, p. 55-82. connaissait une diffusion dans les « États arabes voisins de l’Empire romain d’Orient qui avait pour langue officielle le grec » (p. 184). Le lien est ainsi fait. Audacieuse, la conclusion fait de Muḥammad un dis- ciple d’Aristote et annonce le règne des philosophes uploads/Litterature/ bcai-332.pdf

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