Sonderdrucke aus der Albert-Ludwigs-Universität Freiburg RAINER BRUNNER La ques

Sonderdrucke aus der Albert-Ludwigs-Universität Freiburg RAINER BRUNNER La question de la falsification du coran dans l’exégèse chiite duodécimaine Originalbeitrag erschienen in: Arabica 52 (2005), H. 1, S. [1] - 42 LA QUESTION DE LA FALSIFICATION DU CORAN DANS L'EXÉGÈSE CHIITE DUODÉCIMAINE PAR RAINER BRUNNER Université de Fribourg-en-Brisgau ä Etan Kohlberg Résumé Pendant plusieurs siècles la question de la falsification du Coran (tahe al-Qur'än) par les adversaires « sunnites » a été un sujet de polémique central au sein du chiisme duodé- cimain. Le corpus ancien des traditions imarnites contient notamment de nombreuses données explicites selon lesquelles les rédacteurs de la « vulgate <utmänienne » auraient délibérément supprimé les passages désignant nommément 'Ali comme le successeur du Prophète, masquant ainsi le rôle primordial des Imams chiites. Cette croyance, occul- tée ä partir de la seconde moitié du X' siècle par la critique rationaliste du corpus de hadith, connut un renouveau remarquable après l'émergence de l'École Ahbäri aux XVII' et XVIII' siècles. Même la victoire des Usülis ne fit pas complètement disparal- lie la conviction de l'existence du talle! À la fin du XIX' siècle, le savant iranien Husain an-Nüri écrivit une imposante monographie pour défendre cette conviction. Ce ne fut qu'au X.Xe siècle et ä cause de l'effet désastreux qu'eut l'ouvrage de Niiri dans les polémiques entre sunnites et chiites, que ces derniers essayèrent de s'unifier autour de la thèse de l'authenticité de « la vulgate ». Ne croyant pas ä la sincérité de cette attitude, les sunnites continuent leurs polémiques de plus en plus intensément, faisant de la question du talpif un des problèmes le plus épineux de la divergence entre les deux principales confessions musulmanes. (12 uiconque remet l'intégrité et l'authenticité du texte établi du Coran en question, court de grands risques'. Comment serait-il possible de comprendre la parole de Dieu correctement, même de croire qu'il 1 Cet article est le résumé de quatre conférences données ä L'École Pratique des Hautes Études ä Paris en mars 2002. Je voudrais exprimer mes remerciements sincè- res ä Mohammad Ali Amir-Moezzi de m'y avoir invité et d'avoir eu la patience de corriger mon français. Ces derniers remerciements s'adressent également ä Daniela Scheuermann et Vincent Le Bourdon. Il va de soi, cependant, qu'aucun d'entre eux n'est responsable des erreurs que le lecteur attentif trouvera sans doute dans l'article. Pour un traitement plus élaboré du sujet, cf. R. Brunner : Die Schia und die Koranfälschung, Würzburg 2001. C Koninldijke Brill NV, Leiden, 2005 Arabica, tome LII,1 Also available online — www.brill.n1 2 RAINER BRUNNER s'agit véritablement de la parole de Dieu, si on devait s'attendre ä la possibilité qu'il y manque certains passages ? Plusieurs piliers suppor- tant la théologie coranique seraient ébranlés : Premièrement, la convic- tion que le Coran est la parole immédiate de Dieu, en quelque sorte inspirée verbalement, le dogme connexe de son inimitabilité (ez) et donc l'impossibilité pour quiconque de produire un texte d'une valeur même approchante 2. Mais non seulement ces convictions théologiques fondamentales seraient touchées, en plus des parties entières de l'historiographie musulmane seraient annulées — car la transmission du texte coranique repose en premier lieu sur les épaules des compagnons du Prophète qui sont consi- dérés comme vénérables par la plupart des Musulmans, au moins par les sunnites. En fin de compte, la stabilité même de l'Islam serait mise en danger. C'est probablement ä cause de ces conséquences incalcula- bles que même aujourd'hui les discussions sur l'interprétation « correcte » du Coran sont caractérisées par un rigorisme inquiétant. Beaucoup de personnalités, appartenant aux tendances fondamentaliste et intégriste, vont jusqu'à la dangereuse accusation d'apostasie. Il suffit de rappeler le cas de Nasr Hämid Abii Zaid, qui entreprit une exégèse historique de l'Écriture sainte, et tenta de considérer le Coran comme une œuvre littéraire et historique — ce qui lui valut le divorce forcé de son épouse en Égypte et, par conséquent, l'exil du couple aux Pays-Bas'. Ces faits actuels sont d'autant plus étonnants qu'une telle discussion constituait une part presque naturelle de la littérature exégétique ancienne. Le débat n'était pas restreint au problème de savoir si le Coran était la parole créée ou incréée de Dieu — discussion centrale des débats autour du Muctazilisme — ou bien à l'interprétation des versets existants. Les savants s'interrogeaient également si le texte coranique existant « entre les deux couvertures du livre » (mil bain ad-daffatain) était vraiment la totalité du message envoyé par Dieu. Dès les origines du chiisme et pendant plusieurs siècles, une croyance était largement répandue selon laquelle des passages importants du Coran étaient enlevés intentionnel- 2 Cf. art. « I'djäz » dans FF 111/1018-20 ; A. Neuwirth : « Das islamische Dogma der Unnachahrnlichkeit des Korans aus literaturwissenschaftlicher Sicht », Der Islam 60/ 1983/166-83 ; Josef van Ess : 7heologie und Gesellschaft im 2. und 3. Jahrhundert Hidschra. Eine Geschichte des religiösen Denkens im friihen Islam, Berlin, New York 1991-97, IV/607-11. 3 K. Bälz : « Subrnitting Faith to Judicial Scrutiny Through the Family Trial : the `Abü Zayd Case' », Die Welt des Islams 37/1997/135-55 ; R. Wielandt : « Wurzeln der Schwierigkeit innerislamischen Gesprächs über neue hermeneutische Zugänge zum Koran », dans : S. Wild (cd.): 77ze Qur'an as Text, Leyde 1996, 257-82. LA QUESTION DE LA FALSIFICATION DU CORAN 3 lement et qu'une falsification du texte (talmf al-qur' iin), dont on ignore les dimensions exactes, en était le résultat 4. En Occident, on ne commença que très tard ä prendre note de ce débat, bien que des voyageurs en Orient vinrent ä en parler briève- ment dans leurs récits. Adam Olearius par exemple identifie l'interpré- tation du Coran comme une des différences les plus importantes entre les sunnites et les chiites 5, et Jean Chardin, qui voyageait en Iran dans les années 1660, écrit ces lignes particulièrement instructives : Les Persans prétendent qu'il (i.e. Abü Bakr ; R.B.) retrancha plusieurs choses de l'Alcoran, & Omar, son successeur, aussi. C'est pourquoi ils rejettent cette édition d'Abou-bekre, & la tiennent pour Apocryphe. Celle qu'ils reçoivent, est l'édition d'Aly, dont il y a sept copies ou éditions qu'on tient orthodoxes, bien qu'elles different toutes en quelque chose. Les principales sont celle de Basra, & celle de Hossein, fils d'Aly, qu'ils assurent avoir été revuës & corrigées par Aly, & par les Imams6. Ces mots montrent bien que la conviction selon laquelle le Coran avait été falsifié par les sunnites était une croyance tout ä fait naturelle en ce temps. Outre les savants religieux, dont nous présenterons quelques figures marquantes plus bas, la masse des chiites vouait une haine intense et durable envers ses co-religionnaires sunnites ä cause de la conduite des premiers califes envers ses Imams et le Coran. Chardin et les autres rapportent de nombreux exemples dans ce sens. En ce qui concerne les sunnites, c'est par Paul Rycaut, le consul bri- tannique ä Smyrne de 1667 ä 1678, que le point de vue des autorités ottomanes fut connu en Europe. Dans son récit « Histoire de l'état pré- sent de l'Empire Ottoman », dont l'original anglais parut en 1668 et la traduction française deux ans plus tard, il écrit : 4 II faut rappeler ici le fait que le reproche du talle dépasse la discussion au sein de l'Islam et s'étend aussi ä l'attitude prétendue des juifs et des chrétiens envers leurs pro- pres livres célestes ; voir art. « Talgif », EP X/111-12 et art. « Tawrät », ibid., 393- 95 ; la discussion classique est résumée par C. Adang : Muslim Writers on judaism and the Hebrew Bible. From Ibn Rabban to Ibn Ham, Leyde 1996. 5 Adam Olearius : Vermehrte .Newe Beschreibung der Muscowitischen und Persischen Rgse (. . Schleswig 1656 (reproduction Tübingen 1971), 675-80. 6 Jean Chardin : Voyages de Mr. Le Chevalier Chardin en Perse et autres lieux de l'Orient, I-X, Paris 1723, X/60 ; cf. aussi ibid., VII/83-105, IX1259-70, X/43-85 ; pour Chardin voir EIr V/369-77 ; d'autres récits importants sont ceux de Jean-Baptiste Tavernier : Voyages en Perse et Description de ce Royaume, éd. Pascal Pia, Paris 1930, 70-78 ; Engelbert Kaempfer : Amœnitatum Exoticarum Politico-Physico-Medicarum (. . .), Lemgo 1712, 147-62; Raphaël Du Mans : Estat de la Perse en 1660, publié avec notes et appendice par Ch. Schefer, Paris 1890, 48-68. 4 RAINER BRLTNNER Les Turcs de leur costé accusent les Persans d'avoir corrompu l'Alcoran, d'y avoir changé des mots, & d'avoir mal placé les ponctuations & les virgules ; ce qui fait que le sens en est douteux & ambigu en plusieurs endroits. C'est-pourquoy tous les Alcorans que l'on apporta de Babylone ä Constantinople, aprés l'avoir conquise, furent mis ä part dans vn lieu du grand Serrail ; & défenses faites ä toute sorte de personnes de les lire, sur peine d'estre maudits 7 . En dépit de telles indications claires dès l'époque Safavide, Garcin de Tassy, Mirza Kazembeg et Gustav Weil furent les premiers islamolo- gues européens ä s'occuper de ce problème, et cela seulement ä partir des années 18408. En se référant ä uploads/Litterature/ brunner-la-falsification-des-corans-en-un-seul.pdf

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