Érudit est un consortium interuniversitaire sans but lucratif composé de l'Univ

Érudit est un consortium interuniversitaire sans but lucratif composé de l'Université de Montréal, l'Université Laval et l'Université du Québec à Montréal. Il a pour mission la promotion et la valorisation de la recherche. Érudit offre des services d'édition numérique de documents scientifiques depuis 1998. Pour communiquer avec les responsables d'Érudit : erudit@umontreal.ca Anik Meunier et Marie-Blanche Fourcade Muséologies : les cahiers d’études supérieures, vol. 6, n° 2, 2013, p. 53-62. Pour citer ce document, utiliser l'information suivante : URI: http://id.erudit.org/iderudit/1018932ar DOI: 10.7202/1018932ar Note : les règles d'écriture des références bibliographiques peuvent varier selon les différents domaines du savoir. Ce document est protégé par la loi sur le droit d'auteur. L'utilisation des services d'Érudit (y compris la reproduction) est assujettie à sa politique d'utilisation que vous pouvez consulter à l'URI http://www.erudit.org/apropos/utilisation.html Document téléchargé le 17 décembre 2014 11:58 « Entretien avec Bernard Deloche » 53 Dialogue un Entretien avec Bernard Deloche Anik Meunier et Marie-Blanche Fourcade 54 Muséologies vol. 6 | no 2 Dialogue un (56 – 63) Bernard Deloche est professeur émérite à l’Université Jean Moulin – Lyon 3 où il a notamment dirigé pendant dix ans le master 2 de muséologie. Il est membre du Conseil international des musées (ICOM). Philosophe et muséologue, il est l’auteur de plusieurs contributions incontournables : parmi les plus récentes : Mythologie du musée : de l’uchronie à l’utopie (2010), La nouvelle culture : la mutation des pratiques sociales ordinaires et l’avenir des institutions culturelles (2007), Le musée virtuel. Vers une éthique des nouvelles images (2001). 55 Entretien avec Bernard Deloche Anik Meunier et Marie-Blanche Fourcade Depuis les vingt dernières années, vous vous intéressez aux rapports entre nouveaux médias et musées. Comment, selon vous, caractériser la relation qu’ils entretiennent ? Bernard Deloche – Sans conteste, et aussi étonnant que cela puisse paraître car musées et médias sont placés sur deux terrains parfaitement hétérogènes que tout semble opposer, il s’agit pour moi d’une relation de concurrence, le musée étant souvent tourné vers les témoins du passé alors que les médias se trouvent au cœur de l’actualité la plus vivante. Mais, attention, la concurrence n’est pas là où on le croit généralement. On pense parfois que le musée en ligne ou le cybermusée est tout sim- plement en train de remplacer le musée institutionnel, avec tout le cor- tège de conséquences qui s’ensuit : baisse de la fréquentation et baisse des crédits qui peuvent aller, dans les cas extrêmes, jusqu’à entraîner la fermeture du musée lui-même, la grande frayeur des conservateurs. Or il n’est absolument pas question de cela, mais bien d’une concurrence entre différents médias : le média-musée – déjà considéré comme tel par Marshall McLuhan en 1967 – face aux médias technologiques que sont les moyens informatiques et leur outil majeur d’aujourd’hui, Internet, que l’on qualifie de nouveaux médias. Effectivement vous évoquez à plusieurs reprises dans vos travaux la notion de concurrence entre nouveaux médias et musées. Avec l’usage massif des technologies et leur intégration exponentielle dans les musées, avez-vous constaté une redéfini- tion de cette concurrence dans la dernière décennie ? B.D. La question n’est pas celle d’un usage plus ou moins massif, mais plutôt celle de la nature de l’action exercée, car il est évident que celle-ci a profondément changé durant les quinze dernières années. Entendons- nous bien, ce n’est pas au sein du musée que s’exerce la concurrence la plus redoutable, mais à l’extérieur par l’action produite par les différents médias sur la culture. Le musée, depuis ses origines, n’a cessé de fonc- tionner comme un média et, comme tel, il a toujours généré des modèles culturels. Mais on ne doit pas oublier que, pendant des siècles, la civili- sation occidentale a été dominée par le monopole de l’Église catholique qui contrôlait à la fois la distribution des connaissances et celle des images. Elle était, de fait et en droit, l’autorité culturelle officielle, c’est elle qui décidait de la réponse aux trois questions que posera Kant à la fin du XVIIIe siècle : que puis-je savoir ? que dois-je faire ? qu’ai-je le droit d’espérer ? Elle façonnait ainsi les pratiques sociales. Or le musée est apparu officiellement avec la Révolution française, qui a substitué au monopole de l’Église le double monopole de l’École (en charge des connaissances) et du musée (en charge du visuel). Le musée est ainsi devenu l’une des deux grandes références officielles de la culture. Il suffit pour s’en convaincre de considérer les thèmes des collections de pein- tures des musées traditionnels : les héros et les dieux (païens ou chré- tiens), les princes et les capitaines, les grands faits historiques, mais aussi la belle nature. Bref, les modèles proposés par le musée faisaient autorité en toutes circonstances et on allait au musée pour s’humaniser. 56 Muséologies vol. 6 | no 2 Dialogue un (56 – 63) De leur côté, les médias, qu’ils soient classiques – comme la presse, la radio ou la télévision – ou nouveaux – comme Internet, l’ordinateur et les supports électroniques de stockage, cédérom, DVD, etc. –, n’ont cessé de proposer, eux aussi, des modèles culturels. Mais ces derniers modèles sont sensiblement différents de ceux que véhiculait le musée, d’où un impact également différent sur la vie sociale. Ces nouveaux médias produisent et diffusent une nouvelle culture. J’ai bien dit pro- duisent, car il ne s’agit pas simplement d’un processus d’élargissement ou d’accélération de la diffusion : c’est le contenu lui-même qui change, c’est-à-dire la culture au sens fort. Non pas les qualités individuelles de telle ou telle personne réputée cultivée (les connaissances, la sensibilité, le raffinement, etc.), mais le processus collectif qui inclut les modes de vie, les manières de penser et le système de valeurs d’un groupe social. Permettez-moi de faire ici un petit inventaire de ces nouveaux modèles : 1 – Il s’agit d’abord de modèles identitaires. Avec les premiers médias de masse, la concurrence est apparue : la publicité et les magazines de mode ont substitué les vedettes du show biz et les dieux du stade à ceux de la religion et de la mythologie. Si les objets avaient changé, le processus demeurait formellement le même, au point qu’il était encore possible de concilier les anciens modèles avec les nouveaux (aller à la messe, visiter le musée, lire le magazine de mode ou le journal de sport). En revanche, il semble que tout ait basculé avec les médias technologiques d’aujourd’hui (d’abord la télévision, puis le cédérom et le Web, etc.), car ils ont introduit un nouveau type de modèles, en promouvant le spec- tateur lui-même au rang de modèle, selon un principe qui fonctionnait déjà implicitement dans les musées d’anthropologie, à savoir le gom- mage de toute transcendance. En effet, ces musées, plus récents que les musées d’art ou les musées scientifiques et techniques, avaient déjà mis la vie quotidienne en vitrine et, du même coup, changé les objets d’identification proposés au visiteur. Dans ces musées déjà je n’admi- rais plus quelque chose qui m’est étranger (les dieux, les saints ou les princes), mais je me contemplais moi-même, en vitrine, sous les traits d’un autre. Avec les nouveaux médias, c’est moi qui suis la vedette, comme le suggérait de façon emblématique ce jeu publicitaire diffusé par Nestlé en 2001, Imagine-toi en héros, qui proposait de placer sa propre photographie dans une fenêtre réservée à cet effet pour se voir déguisé en héros. Je ne rêve plus que je suis un autre, je me découvre moi-même dans ma particularité comme un être d’exception et, du rêve d’autrefois, je sombre dans le délire. On constatera que les médias d’au- jourd’hui ne font rien d’autre : avec la webcam (la live cam notamment), je suis moi-même le héros d’un film que tout le monde peut voir sur le Net ; de même, avec la téléréalité, c’est l’intimité de chacun, ses joies et ses peines, ses problèmes quotidiens les plus prosaïques, sa nudité même, qui sont exhibés aux yeux de tous. Toute dimension de normati- vité s’est effacée au profit d’une exorbitante valorisation de soi. 2 – Mais ils produisent aussi des modèles comportementaux. Pierre Bourdieu parlait de schème ou de modus operandi. Ce qui veut dire que ce qu’on nous montre, comme la manière dont on nous le montre, 57 Entretien avec Bernard Deloche Anik Meunier et Marie-Blanche Fourcade tendent à induire des pratiques sociales spécifiques. Or il y a un modus operandi généré par les médias : emblématique, le mode d’interven- tion et de circulation dans le réseau du Net (le principe de la relation hypertexte notamment) révèle une rupture radicale de schème dans la civilisation occidentale avec l’apparition des comportements interac- tifs et non linéaires. Linéaire, le trajet du rat qui explore un labyrinthe ou une arborescence, car il suit un parcours préétabli ; non linéaire au contraire celui du singe (ou de Tarzan) qui saute de branche en branche. L’hypermédia à l’intérieur d’un site Web relève d’un parcours arbores- cent et linéaire, tandis que le mode d’exploration suggéré par Internet est absolument non linéaire et conforme à l’image du uploads/Litterature/ bernard-deloche 1 .pdf

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