COMMENT FAUT-IL COMPRENDRE L'AUTORITÉ DES MAÎTRES DANS L'HISTOIRE DE LA LITTÉRA
COMMENT FAUT-IL COMPRENDRE L'AUTORITÉ DES MAÎTRES DANS L'HISTOIRE DE LA LITTÉRATURE FRANÇAISE DE DÉSIRÉ NISARD ? Mariane Bury Presses Universitaires de France | Revue d'histoire littéraire de la France 2014/1 - Vol. 114 pages 89 à 98 ISSN 0035-2411 Article disponible en ligne à l'adresse: -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- http://www.cairn.info/revue-d-histoire-litteraire-de-la-france-2014-1-page-89.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Pour citer cet article : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Bury Mariane, « Comment faut-il comprendre l'autorité des maîtres dans l'histoire de la littérature française de Désiré Nisard ? », Revue d'histoire littéraire de la France, 2014/1 Vol. 114, p. 89-98. DOI : 10.3917/rhlf.141.0089 -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour Presses Universitaires de France. © Presses Universitaires de France. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie, sous quelque forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est précisé que son stockage dans une base de données est également interdit. 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De fait cet « ennemi de la liberté » ne va pas dans le sens de l’histoire. Parce qu’il a fustigé une certaine décadence et stigmatisé la « littérature facile », parce qu’il a exalté le classicisme français considéré comme un point de perfec- tion absolue, il est devenu le symbole de la réaction antiromantique, ce qui le condamne à tomber dans les oubliettes de l’histoire littéraire, ou à n’en ressurgir au mieux que sous la forme d’un grotesque épouvantail1. Or, il est intéressant d’essayer de cerner les motivations de sa démarche, de se deman- der pourquoi Nisard défend la littérature qu’il pressent déjà « en péril2 ». * Université Paris-Sorbonne. 1. Je songe au « roman » d’Éric Chevillard, Démolir Nisard, fondé sur une lecture rapide de l’article du GDL, et qui cristallise tous les stéréotypes imaginables. Au moment de la célébration du bicentenaire de la naissance de Nisard à l’École normale supérieure en novembre 2006, les journalistes, qui ignoraient la veille jusqu’à son nom, n’ont pas manqué de souligner que, face au génial Chevillard, seuls quelques sorbonnards poussiéreux s’intéressaient encore à Nisard. Cette journée d’études a donné naissance à un ouvrage collectif, Redécouvrir Nisard. Un critique huma- niste dans la tourmente romantique, Paris, Klincksieck, 2009. 2. V oir le livre essentiel de Tzvetan Todorov, La Littérature en péril, Paris, Flammarion, « Café Voltaire », 2007. Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Laval - - 132.203.227.63 - 12/08/2014 08h51. © Presses Universitaires de France Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Laval - - 132.203.227.63 - 12/08/2014 08h51. © Presses Universitaires de France revue d’histoire littéraire de la france 90 Quelles sont donc ses raisons de se ranger à l’autorité des maîtres, et com- ment faut-il comprendre leur place dans l’Histoire de la littérature fran- çaise ? Il faut bien voir d’abord que les travaux de Nisard posent comme prin- cipe l’autorité d’un discours littéraire hérité de la tradition. Larousse écrit dans son article « Littérature » lorsqu’il en vient à Nisard : ce n’est pas une his- toire, qu’il a écrite, mais une « suite d’études critiques », qui oublie les œuvres de second ordre. Nisard est accusé de ne reconnaître que les talents « qui ont reçu une sorte de consécration officielle ». Le critique classe, dis- tingue, choisit les œuvres canoniques. Toutefois Larousse gratifie ce « défen- seur assermenté de la tradition » de compétences dans son domaine, et applaudit même ses contradictions : son admiration pour Alfred de Musset et George Sand, qui apparaissent dans le dernier volume de l’Histoire de la littérature. Nisard a, au mépris de ses propres principes, ouvert « à ces pro- fanes », le « saint des saints ». Mais précisément : faut-il voir là une irréductible contradiction ? De fait, il est un peu rapide de réduire Nisard à la figure d’un néoclassique borné. Villemain l’a bien perçu dans un article de 1834 paru dans la Revue de Paris à propos des Poètes latins de la décadence, où il rend justice, mal- gré des réserves, à la qualité de ses travaux, le présentant comme un ortho- doxe indépendant3. Certes Paul Janet, dans Les Problèmes du xixe siècle lui reproche son sectarisme : Nisard penche du côté de l’autorité et de la règle, et se montre trop systématique dans sa passion pour Boileau, jusqu’à sacri- fier Rousseau. Il a le tort selon Janet d’exalter le modèle français, auquel il s’attarde avec une nostalgie passéiste, alors qu’il n’est plus le modèle unique. Mais il affirme d’autre part que son livre est fort parce qu’il contient une théorie, une vraie « philosophie de la littérature française4 » dont le héros est l’esprit français. Je dirais donc que son Histoire est tout autant une « défense et illustration » de la littérature française qu’une histoire, et une défense passionnée, guidée par un véritable « amour pour les lettres françaises et pour la vérité »5. Je propose donc de faire crédit à Nisard de 3. V illemain écrit, dans « Études sur les poètes latins de la décadence », Revue de Paris, 1834, t. V , p. 90, que la critique de Nisard est « savante, spirituelle, et orthodoxe avec indépendance ». 4. Paul Janet, Les Problèmes du xixe siècle, La politique, la littérature, la science, la philoso- phie, la religion, Paris, Michel Lévy, 1872, p. 154. Janet voit en Nisard un nostalgique d’une époque où la France exerçait une sorte d’hégémonie culturelle et intellectuelle : « Aujourd’hui, l’esprit français n’a plus cette candide innocence qui lui faisait croire qu’il était le modèle unique et parfait de la civilisation, de la littérature et du goût », p. 211. 5. L’expression se trouve dans l’avant-propos de la réédition en 1877 du Précis de l’histoire de la littérature française, Paris, Firmin-Didot, nouvelle édition, 1880, p. viii. Nisard y explique que le temps a passé sans altérer cette passion des lettres, qu’il espère transmettre aux lecteurs en leur donnant « l’envie de lire et de juger pour leur compte les œuvres dont il y est parlé ». Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Laval - - 132.203.227.63 - 12/08/2014 08h51. © Presses Universitaires de France Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Laval - - 132.203.227.63 - 12/08/2014 08h51. © Presses Universitaires de France comment faut-il comprendre l’autorité des maîtres 91 cet amour, pour comprendre ses raisons et entrer dans la logique de sa démonstration. L’édification du canon classique répond à une nécessité qui dépasse le simple besoin de soumission à l’autorité. Dans cette perspective, il est nécessaire de prendre en compte la façon dont la question politique nuit à la réception de Nisard en faussant le regard que l’on peut porter sur son œuvre. On veut voir dans sa défense de l’auto- rité en matière littéraire une marque d’allégeance au pouvoir fort de Napoléon III. Or, il est indispensable ici de rappeler que la majeure partie de ses travaux ont été réalisés ou entrepris avant 1851. Par ailleurs, Nisard lui-même n’hésite pas à faire part de scrupules dans ce domaine. J’en don- nerai deux exemples. À propos du dernier volume de l’Histoire de la litté- rature française, qui est majoritairement consacré au xviiie siècle, il explique le retard pris dans une préface où il rappelle que, désavouant les années de la seconde République, il a attendu d’écrire pour ne pas faire de la polémique, et pour pouvoir parler des œuvres en conscience et sans res- sentiment. Le second exemple concerne Victor Hugo dont il explique, dans une page des Essais sur l’École romantique écrite en 1874, qu’il n’a pas réimprimé sous le Second Empire l’article le concernant, « M. V ictor Hugo en 1836 », parce que sa sévérité aurait pu être mal interprétée, alors que V. H ugo était en exil6. En fait, Nisard se méfie de l’esprit de parti, et sépare nettement les questions politiques conjoncturelles des appréciations esthé- tiques. Conservateur, Nisard est surtout un désabusé de la uploads/Litterature/ bury-mariane-comment-faut-il-comprendre-l-x27-autorite-des-maitres-dans-l-x27-histoire-de-la-litterature-francaise-de-desire.pdf
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- Publié le Jan 31, 2021
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