Bernard Franco La Littérature comparée Histoire, domaines et méthodes Crédit ic

Bernard Franco La Littérature comparée Histoire, domaines et méthodes Crédit iconographique : Getty images/Corbis Historical/Francis G Mayer, « Femmes turques au bain », Eugène Delacroix Armand Colin est une marque de Dunod Édi­ teur 11, rue Paul Bert, 92240 Malakoff © Armand Colin, 2016 ISBN 978-2-200-27218-0 Col­ lec­ tion U Remerciements Mes remerciements les plus chaleureux vont à Juliette, pour son aide si précieuse et sa lecture si minutieuse ; et j’exprime ma plus vive reconnaissance à Laetitia Paré- Forestier, la meilleure des éditrices, pour sa confiance, sa patience et le soin attentif qu’elle a porté à ce livre. À Arthur Introduction À la recherche de définitions Qu’est-ce que la littérature comparée ? La question, posée au fil des onze éditions du prestigieux devancier de notre ouvrage dans la collection, celui de Pierre Brunel, Claude Pichois et André-Marie Rousseau, ne semble pouvoir trouver que des réponses provisoires1. Elle forme aussi le titre d’un ouvrage de Fernand Baldensperger, publié très récemment, en 2012, par Jean Adrians, réactivant donc une vision ancienne de la littérature comparée, rattachée à l’histoire littéraire lansonienne. Jean Adrians ras- semblait en réalité, dans ce volume, trois textes de Baldensperger. Le premier, « Le Mot et la Chose », qui est le tout premier texte publié dans la Revue de Littérature Comparée, au moment de sa création en 1921, se veut une mise en question de lieux communs, dans laquelle l’auteur répond au cliché d’un « trop ingénieux divertissement qui consiste à instituer des parallèles entre des œuvres ou des hommes vaguement analogues2 ». Le second, « Histoire littéraire et littéra- ture comparée », reprend des passages de la préface à la première série des Études d’histoire littéraire, publiée en 1907 : de la question de la « comparaison littéraire », le propos glisse à la relation de la discipline à l’histoire littéraire. Car Baldensperger n’a pas manqué d’exprimer son scepticisme devant la méthode de la comparaison défendue par son collègue américain Louis-Paul Betz, auteur d’un premier manuel bibliographique pour la littérature comparée, dont lui-même, Baldensperger, a proposé une réédition. Jugeant impressionniste la méthode de la comparaison, il lui préfère, dans la lignée de Lanson, l’approche d’histoire littéraire, fondée sur un travail scientifique sur les sources. Le troisième texte, « Enrichissements nationaux par les œuvres étrangères », est extrait de La Littérature : création, succès, durée, publié en 1913. On peut y saisir le sens de la démarche de la discipline, telle que l’avait formulée Joseph Texte, le premier titulaire d’une chaire de Littérature comparée en France, prédécesseur de F. Baldensperger à l’université de Lyon, et auteur, en 1894, d’une thèse intitulée Le Cosmopolitisme littéraire de Jean-Jacques Rousseau : 1. Pierre Brunel, Claude Pichois et André-Michel Rousseau, Qu’est-ce que la littérature comparée, Paris, Armand Colin, (coll. « U ») 1983. 2. Fernand Baldensperger, Qu’est-ce que la littérature comparée ? Préface de Jean Adrians, Paris, Éditions Pétra, 2012, p. 23. La Littérature comparée 8 ▲ « L’étude d’un être vivant est, pour une bonne part, l’étude des relations qui l’unissent aux êtres voisins. De même, il n’y a pas une littérature dont l’histoire se renferme dans les limites de son pays d’origine. » Dans son « Avant-Propos », J. Adrians cite cette phrase et en tire une approche propre à la discipline : « Analyser, dans la multiplicité de leurs aspects et de leurs conséquences, les influences étrangères sur les littératures nationales, ou sur des écrivains particuliers1. » La notion d’« influence », qui est au cœur de la démarche comparatiste du début du xxe siècle, et qui est presque totalement abandonnée aujourd’hui, témoigne de ce que la littérature comparée d’aujourd’hui n’est certainement pas celle d’hier. Cette mouvance de la discipline n’est pas liée seulement à son évolution, mais aux différents rapports que l’on peut engager avec elle, comme le manifestent les trois approches différentes évoquées dans le volume de Baldensperger. La nature de la littérature comparée est encore interrogée par George Steiner qui intitule, lui aussi, « Qu’est-ce que la littérature comparée ? » la leçon inaugurale don- née le 11 octobre 1994, à l’université d’Oxford, à l’occasion de son élection à la chaire Lord Weidenfeld de « Littérature comparée européenne » (« European Comparative Literature »), au St Anne’s College. La définition qu’il en donne est large, visant à inscrire l’acte comparatif au cœur même de l’activité d’interprétation et de compréhension. La première phrase de sa conférence est une affirmation forte : « Tout acte de recevoir une forme signifiante, dans le langage, dans l’art, dans la musique, est comparatif2. » Prenant à rebours le proverbe – et l’usage qu’en a fait Etiemble –, il associe même comparaison à raison, et cette nécessité de la comparaison perd selon lui l’origine de la discipline dans des temps immémoriaux : « Dès leurs débuts, les études littéraires et les arts de l’interprétation ont été com- paratistes3. » Mais, revenant à une vision plus traditionnelle de la discipline, il considère le rap- port aux littératures étrangères, associe la littérature comparée à la Weltliteratur défi- nie par Goethe, évoque la Bibliothèque de Babel de Borgès, contenant l’ensemble des littératures passées, présentes et à venir, soulignant l’importance de la traduction qu’il rapproche du fondement même de l’esprit comparatiste, l’art de comprendre, pour en tirer une nouvelle définition : « Bref, la littérature comparée est un art de comprendre centré sur le résultat pos- sible de la traduction et sur ses échecs4. » A côté de la traduction, il évoque, parmi les champs propres à la littérature comparée, les études de réception, ou les « études thématiques », dominées par la place des mythologies, et montre l’importance que l’étude comparatiste accorde aux relations des œuvres avec leur contexte culturel lorsqu’il évoque, par exemple, ce que Verdi a fait de Shakespeare : 1. Ibid., p. 12. 2. George Steiner, « Qu’est-ce que la littérature comparée ? », traduit de l’anglais par Louis Evrard, L’Idée d’Université.—XXII, p. 383-393 ; citation p. 383. 3. Ibid., p. 384. 4. Ibid., respectivement p. 385-6, p. 384 et p. 388. 9 Introduction ▼ © Armand Colin – Toute reproduction non autorisée est un délit. « Chez Verdi, Otello et Falstaff entretiennent une relation étroite, que l’on pourrait dire exponentielle, avec l’intelligence de Shakespeare dans le romantisme européen tardif1. » L’identité de la littérature comparée était ainsi interrogée en rapportant la démarche comparatiste, dans son caractère fondamental, à l’histoire et au développement de la discipline, ainsi qu’aux champs de recherche parcourus par la discipline. Un an plus tôt à peine, la question de l’identité de la discipline était encore posée dans l’ouvrage de Susan Bassnett, Comparative Literature. A Critical Introduction. Elle formait le titre de l’introduction, mais en apportant une nuance : « What is Comparative Literature Today ? » (« Qu’est-ce que la littérature comparée aujourd’hui ? »). Par l’ajout de l’adverbe, S. Bassnett suggérait à la fois l’évolution de l’identité même de la discipline au fil de son histoire, mais aussi l’interrogation qui se porte sur ce qu’elle est devenue aujourd’hui. Son point de départ est cette assertion de Matthew Arnold, lors de la leçon inaugurale qu’il a donnée à Oxford en 1857 : « Aucun événement singulier, aucune littérature singulière ne peut être appréhen- dée de manière adéquate en dehors de sa mise en relation avec d’autres événements, avec d’autres littératures2. » La littérature comparée est alors envisagée comme un mouvement naturel de l’esprit qui établit des rapprochements pour comprendre. A partir de ce point de départ, S. Bassnett évoque les inflexions de la littérature comparée en suivant un fil chronologique qui ne fait que révéler ses ondulations : sa définition par rapport à la Weltliteratur de Goethe, la « crise de la littérature comparée » évoquée déjà par René Wellek, l’extension géographique de la discipline hors de l’Europe et de l’Amérique du nord, la manière dont elle a réfléchi sur les zones géographiques, sur l’identité, par exemple, de l’Orient, à partir des apports d’un Edward Saïd, enfin les champs de recherche les plus actuels, comme les études de traduction. La définition de la littérature comparée semble alors non plus échapper, mais écla- ter. Pour tous ceux qui pratiquent la discipline, la question de son identité demeure, plus que jamais, un leit motiv. Catherine Coquio souligne son caractère lancinant : « Qu’est-ce que la littérature comparée, ou comment répondre à cette question dans un dîner en ville3 ? » demande-t-elle en intertitre d’un article consacré à la discipline. Elle évoque alors la difficulté à répondre la question ; par une mise en scène amusante, mais surtout suggestive, de son interlocuteur fictif, elle montre comment les réponses peuvent varier : si l’interlocuteur est d’une « curiosité intense », « je la lui fais payer par un exposé sur la littérature comparée hier et aujourd’hui, ses ramifications, ses débats, ses ennemis » ; si la situation ne se prête pas à une si longue réponse, « je dis 1. Ibid., p. 391. 2. Susan Bassnett, Comparative Literature. A Critical Introduction, Oxford UK & Cambridge USA, Blackwell, 1993, p. 1. uploads/Litterature/ la-litterature-comparee-histoire-domaines-et-methodes.pdf

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