156 Français 1re – Livre du professeur CHAPITRE 3 Séquence 1 Fonctions du poète

156 Français 1re – Livre du professeur CHAPITRE 3 Séquence 1 Fonctions du poète, du Moyen Âge au xxe siècle. p. 236 Problématiques : Comment les poètes décrivent-ils et jugent-ils le monde qui les entoure ? Comment remettent-ils en question ce monde ? Comment rendent-ils compte de la place de la poésie ? Éclairages : La séquence vise à faire percevoir la « manière singulière d’interroger le monde » dans l’œuvre poétique, en abordant la question du « rôle et [de] la fonction du poète » (B.O.). Les textes mettent en lumière le lien qui unit le poète et sa société. Texte 1 – François Villon, L ’Épitaphe Villon (1489) p. 236 OBJECTIFS ET ENJEUX – – Aborder un poème dans la langue du xve siècle. – – Montrer l’originalité de cette prière poétique. LECTURE ANALYTIQUE « Ballade des pendus » Le poème se compose à la façon d’une prière comme le montrent les impératifs ou les subjonctifs d’ordre. Villon s’adresse essentiellement aux autres hommes, dans les trois premières strophes, comme le prouve l’apostrophe du vers 1 : « Frères humains qui après nous vivez ». La dernière strophe s’ouvre sur une autre apostrophe : « Prince Jésus, qui sur tout a maîtrie » (v. 31), dont la structure est similaire. Le pathétique de la situation des pendus est accen- tué par la présence d’une nature hostile : les élé- ments abîment les cadavres, comme on le voit aux vers 21 et 22 : « la pluie » et « le soleil » sont men- tionnés dans deux vers consécutifs qui marquent la succession des jours et des états contraires. Le pré- fixe dé- à valeur intensive dans « débués » et « dés- séchés », qui s’opposent pour le sens, mais se ressemblent pour leurs sonorités (allitération en [e]), accentue le pathétique. Des oiseaux funestes, « pies, corbeaux » (v. 23), contribuent eux aussi à l’accomplissement du châtiment : les cadavres sont « plus becquetés d’oiseaux que dés à coudre » (v. 28). La comparaison souligne l’impression d’étrangeté du poème. Le plus frappant dans ce poème est la fiction de la mort mise en place par le poète : Villon attire la com- passion en évoquant sa mort et celle de ceux qui, comme lui, sont pendus. De nombreux termes y font référence : « occis » (v. 12), « sommes transis » (v. 15), « nous sommes morts » (v. 19). Le poète donne une image très concrète de sa mort : le corps est envisagé (« chair », v. 6 ; « os », v. 8 ; « les yeux », v. 23 ; « la barbe et les sourcils », v. 24), mais le corps est ici décomposé : « dévorée et pourrie » (v. 7), « desséchés » (v. 21), « noircis » (v. 21). Le cadavre évoqué est « cendre et poudre » (v. 8). De manière surprenante, le poète semble émettre cette prière alors qu’il est déjà mort : les verbes au présent évoquent cette décomposition, qui se pro- duit sous les yeux du lecteur horrifié, dans un lent processus : « elle est piéça dévorée et pourrie » (v. 7). Les verbes au passé composé (« la pluie nous a débués et lavés », v. 21) insistent sur le résultat d’actions passées. Un plaidoyer Nous observons une évolution dans le poème : la prière s’adresse d’abord aux vivants, puisqu’ils peuvent intercéder pour les pendus, par leurs prières (v. 15‑16) ; puis le poète invoque Jésus Christ, comme garant de l’au-delà. Le lexique religieux par- court le texte, jusque dans le refrain : « Mais priez Dieu que tous nous veuille absoudre » (v. 10). Le poète appelle à la miséricorde pour lui-même et pour tous les autres hommes, les pendus : il emploie la première personne du pluriel. La prière en acquiert plus de force. Il attire la compassion sur cette com- munauté en évoquant leur malheur (« nous pauvres », v. 3 ; « notre mal », v. 9). Divers arguments invitent à la pitié. Tout d’abord, il fait espérer un ave- nir meilleur à ses contemporains s’ils lui accordent leur compassion : « Dieu en aura plus tôt de vous merci[s] » (v. 4). Au Jugement Dernier, ceux qui lui auront pardonné seront récompensés. Mais le poète rappelle aussi que tous les hommes sont faillibles : « tous hommes n’ont pas bon sens rassis » (v. 14) ; il faut donc pardonner à ceux qui n’ont pas su lutter. Dans une langue commune, avec des images réa- listes, le poète adresse une prière aux vivants. Synthèse Le poète évoque sa situation de façon pathétique : il s’envisage comme déjà mort, et détaille les avanies subies par son propre corps. Si celui-ci ne manifeste pas explicitement sa souffrance, elle est perceptible dans cette mention du corps en décomposition. La prière invite le lecteur à faire preuve de compassion : le refrain, en particulier, constitue une supplique lancinante.  157 Écriture poétique et quête du sens du Moyen Âge à nos jours – Séquence 1 GRAMMAIRE Le -e final dans le verbe « rie » (v. 9) indique qu’il s’agit d’un subjonctif présent qui doit se comprendre comme un subjonctif d’ordre. Depuis la fin du xviie siècle, celui-ci se marque par l’emploi, en début de proposition, de « que », comme on le voit au vers 17 : « Que sa grâce ne soit pour nous tarie ». S’ENTRAÎNER À LA DISSERTATION Si les images réalistes peuvent frapper le lecteur en lui présentant directement ce qu’il ne voit pas (les avanies subies par le corps des pendus, dans le poème de Villon), elles peuvent en revanche cho- quer et susciter le dégoût : le lecteur peut fermer le livre, interrompre sa lecture, et oublier le message de l’auteur. PISTES COMPLÉMENTAIRES ➤ ➤Un groupement de textes : « Dire la mort » Le programme propose d’étudier des textes poé- tiques ancrés sur des grands thèmes de la littéra- ture : « Dire la mort » fait partie des thèmes proposés. Un groupement de textes sur l’évocation de la mort en poésie peut être constitué. Des poèmes réalistes dans lesquels le poète évoque sa propre mort ou sa maladie, comme ceux de Pierre de Ronsard, Der- niers vers, « Je n’ai plus que les os… », et de Jules Laforgue, Les Complaintes, « Complainte d’un autre dimanche », peuvent être groupés avec d’autres, dans lesquels ce thème est traité de façon métapho- rique : Leconte de Lisle, Poèmes barbares, « Le der- nier souvenir » et Henri Michaux, L ’Espace du dedans, « Sur le chemin de la mort ». ➤ ➤Question de synthèse Comment le thème de la mort est-il abordé de façon poétique ? On peut ainsi mettre en évidence le jeu sur le langage dans le texte de Ronsard avec l’em- ploi récurrent du préfixe dé-, l’inscription dans le paysage de la maladie du poète chez Laforgue et l’emploi de la métaphore pour évoquer l’inconnu, l’indicible dans les poèmes de Leconte de Lisle et Michaux. Texte 2 – Agrippa d’Aubigné, « Jugement », Les Tragiques, vii (1616) p. 238 OBJECTIFS ET ENJEUX – – Étudier un poème engagé. – – Montrer la force de cette argumentation, grâce aux images employées. LECTURE ANALYTIQUE Les hommes mis en accusation D’Aubigné, afin de dénoncer les actions des hommes, emploie la figure de l’allégorie : la nature est personnifiée dans les différents éléments qui la composent : « le feu » (v. 6), « l’air » (v. 9), « les eaux », (v. 13), « les monts » (v. 15), « les arbres » (v. 17). Chacune de ces entités prend la parole suc- cessivement, composant une prosopopée. Ces paroles au discours direct sont placées à des endroits différents du vers et sont de plus en plus brèves, créant une impression de rapidité : les accu- sations se font de plus en plus pressantes. La Nature s’adresse aux puissants, à ceux qui ont abusé de leur pouvoir : les feux sont devenus « bourreaux », instruments d’une justice expéditive, ou encore « valets de votre tyrannie » (v. 8). Au vers 11, ils sont désignés comme des « tyrans et furieuses bêtes ». Les mots « bourreaux » (v. 8), « vos meurtris » (v. 13), « vos précipices » (v. 16), « gibets » (v. 18), donnent l’image d’une société violente, où le pouvoir et la justice s’exercent de façon inhumaine. Les ques- tions de la nature qui commencent toutes par « pourquoi » montrent l’altération, la perversion apportée par les hommes, visibles aux deux der- niers vers : « faits/D’arbres délicieux exécrables gibets », où deux expressions s’opposent. Ces accusations sont véhémentes : la répétition du mot « pourquoi », en anaphore comme aux vers 16 et 17, traduisent l’incompréhension de la Nature. Les images employées sont frappantes (par exemple, la transformation de « l’argent » des ruisseaux en « sang » au vers 16, ou la mention des « charognes » au uploads/Litterature/ c03-ldp-empreintes-litt-1re.pdf

  • 45
  • 0
  • 0
Afficher les détails des licences
Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise
Partager