Le numéro 6/2003 des Cahiers Benjamin Fondane ne saurait decevoir ceux qui – s’

Le numéro 6/2003 des Cahiers Benjamin Fondane ne saurait decevoir ceux qui – s’intéressant à cet écrivain – se sont habitués à suivre cette excellente publication. Elle paraît, rappelons-le, depuis 1994 (tout d’abord, de 1994 à 1996, sous la forme de Bulletins Benjamin Fondane, à périodicité sémestrielle, puis, depuis 1997, sous la forme de Cahiers annuels), éditée par la Société d’études Benjamin Fondane et rédigée par un comité ayant à sa tête Monique Jutrin, rédacteur- en-chef. Y collaborent de distingués universitaires, chercheurs, critiques littéraires, essaiystes, écrivains etc ., de Roumanie, de France, d’Israël et d’autes pays. Sa plus récente livraison témoigne, comme les précédentes, du dessein de ses éditeurs : offrir aux lecteurs une image complète de Fondane en tant qu’écrivain (roumain, puis français) et penseur, mais aussi en tant que « personnage » (personnage historique, ayant dû subir la tragique agression de l’Histoire, mais aussi personnage de la vie privée, quotidienne, homme exceptionnel qui fascinait ses familiers). L’homme et le créateur sont admirablement ressuscités, reconstitués, « recomposés » à partir de – et par le truchement de – textes. De textes de Fondane, mais surtout de textes sur Fondane : ce sont des études d’histoire littéraire, des témoignages, des entretiens, des essais critiques, des contributions biographiques ou bibliographiques et, bien entendu, des documents, souvent inédits ( il s’agit, dans ce dernier cas, notamment de textes appartenant à Fondane lui- même ou à des contemporains de celui-ci : lettres, dédicaces, notes, brouillons ou textes achevés mais inédits etc. ). On peut dire, sans exagérer, que les Cahiers Benjamin Fondane représentent une sorte de modèle de revue mono-thématique, consacrée à une personnalité ( y compris son côté « culte », pratiquement inévitable dans toute entreprise de ce genre, et d’ailleurs pas dérangeant du tout : en fait, toute forme de célébration ou de perpétuation de la mémoire d’une figure illustre des arts ou des lettres, des sciences etc. relève du culte profane, et pour cause !…). Le sommaire de ce plus récent numéro des Cahiers Benjamin Fondane illustre et confirme ce que je viens de dire ci-dessus en essayant d’esquisser une présentation générale de cette revue. Les textes y sont regroupés suivant quelques thèmes principaux, formant ainsi quelques « dossiers » : La collaboration de Fondane aux revues, Interférences, Dossier Fondane- Cioran, ce à quoi s’ajoutent une rubrique de Mélanges, le bref compte-rendu (en fait, la liste des communications, publiées, pour la plupart, dans ce Cahier même) de la seconde édition des Rencontres de Peyresq (22-27 juillet 2002) et, comme d’habitude, une très fournie Bibliographie récente (qui fait état de toutes les publications, rééditions ou republications, traductions, mentions critiques, références ou citations, photographies etc. relevant de, visant, se rapportant à ou ayant trait à B. Fundoianu-Benjamin Fondane, et qu’on aura pu dépister depuis la précédente parution des Cahiers ). En fait, le sommaire est tellement riche et les contributions qui y figurent sont – dans le cadre, bien sûr, des quelques grands thèmes qui structurent le numéro – tellement divers, qu’il est pratiquement impossible d’en rendre compte en détail en quelques lignes. Je me résignerai donc à citer quelques titres et d’y ajouter quelques réflexions ou remarques éparses. Ainsi, par exemple, le « dossier » sur La collaboration de Fondane aux revues –- lequel est, et de loin, la plus consistante (quantitavement, comme nombre de pages et comme nombre de textes composants) des sections de ce numéro des Cahiers Benjamin Fondane –- comprend le texte de la recherche de Remus Zăstroiu sur B. Fundoianu journaliste, celui de Ion Pop sur la collaboration de Fondane à Integral ( revue roumaine d’avant-garde, d’orientation plutôt « constructiviste », qui a paru en 1925-1928 et qui avait une sous-rédaction parisienne formée de Claude Sernet et de Fondane, justement ), une étude de Eric Freedman traitant de La collaboration de Benjamin Fondane aux revues françaises ( et accompagnée d’une liste bibliographique complète des collaborations fondaniennes à des périodiques français et bruxellois, de 1928 à 1944 : 115 titres, en tout), deux textes de Olivier Salazar-Ferrer (Réflexions sur la place de Benjamin Fondane dans les revues des années trente et Benjamin Fondane et la politique de la revue Fontaine) et l’étude de Monique Jutrin sur La collaborations de Fondane aux périodiques bruxellois. Le « dossier » est complété par des textes de Fondane lui-même : sept lettres inédites adressées à Max-Pol Fouchet et la réponse à une enquête (lancée par la revue Fontaine, en 1940) sur la poésie et la guerre. Quant au dossier Interférences (il s’agit, précisons-le, d’interférences, au niveau de la démarche philosophique de Fondane, avec des penseurs de son époque, à savoir Lévy-Bruhl, Heidegger et le théologien protestant suisse Karl Barth), moins fourni en textes, mais, on peut dire, autrement plus substantiel quant à l’analyse herméneutique, à l’interprétation, à l’examen de philosophie comparée. Y sont réunis des textes de Dominique Guedj, Ricardo Nirenberg et Claire Gruson, plus des notes inédites de Fondane sur Lévy-Bruhl. Eh bien, de tout cela – la lecture en est très intéressante, parfois captivante – on retient mille et une choses. Des choses – même pour un lecteur s’étant déjà intéressé à Fondane, mais non pas en «spécialiste» – peu, ou mal, ou pas assez connues, ou inconnues pour de bon, ou, par contre, déjà très bien connues, mais qu’il n’est jamais inutile d’approfondir. On apprend ( ou se rappelle ), ainsi, que, tout jeune, encore élève de lycéee, celui qui allait devenir Benjamin Fondane était présent – et actif – dans les colonnes de nombreux journaux et revues de Roumanie, utilisant diverses signatures (B. Wechsler, F. Benjamin, B. F., B.W. etc. ) ou pseudonymes ( dont son nom de plume qu’il allait consacrer en tant qu’écrivain roumain : B. Fundoianu ). La thématique de ses collaborations était idéologique et culturelle (il a collaboré aussi à des périodiques d’orientation sioniste, y traitant y compris de la problématique spécifique de la population juive) ou bien littéraire. À parcourir les textes publiés par Fundoianu dans la presse de Roumanie, avant son départ pour la France, l’on est – comme l’a pu constater Remus Zăstroiu – « frappé par la vigueur avec laquelle il exprime très tôt la confiance en sa propre valeur. Et aussi par la surprenante maturité manifestée par sa démarche d’écrivain ou de journaliste ». Les informations précises et les faits foisonnent dans les études publiées dans les Cahiers Benjamin Fondane. Mais ce qui me semble être le plus frappant, comme effet d’ensemble ( pour un lecteur attentif mais « non-professionnel » ), c’est, je le répète, le portrait – portrait intellectuel et affectif, en même temps, plein de couleur et de relief – qui se dessine peu à peu à partir de l’accumulation des détails dépistés et consignés par la recherche, aparemment aride ou « technique », d’histoire littéraire. Fondane apparaît comme un personnage effectivement hors pair, intéressé surtout par l’authenticité, par la « vie », par l’adéquation existentielle de toute démarche, réfractaire à quelque doctrine que ce soit, se refusant à tout conformisme Parfois – dès sa jeunesse –, un avocat des causes perdues d’avance, mais en même temps un combattant inlassable pour la victoire de ses idées. Un anti- bourgeois et un antifasciste qui gardait cependant ses distances par rapport à la gauche communiste d’inspiration stalinienne, pourtant à la mode, à l’époque. Un irrationaliste, certes, mais, néanmoins, humaniste, se plaçant sur une position tout à fait à part. Sa manière de se prononcer en matière philosophique ou culturelle est surtout polémique, sa pensée « apparaît toujours comme une confrontation de forces reflétée par une confrontation d’idées dans le champ de l’intertextualité »(Olivier Salazar-Ferer). Fondane était un esprit esentiellement dynamique, perpetuellement inquiet (« L’achèvement, de même que la réussite, ne sont […] pas des concepts fondaniens. L’écriture fondanienne évolue dans l’inachevé, dans le mouvement perpetuel de la relecture et du repensé », idem ). On peut remarquer l’isolement de la voix existentielle de Fondane, son indépendance structurale et permanente : c’est « l’autonomie existentielle du poète », qui explique sa réserve par rapport à l’engagement communiste et qui, par exemple, le détermine de répondre, à une enquête sur la « poésie de guerre », en les termes suivants : « Il reste que le poète peut prendre à la guerre des motifs, des images, des chocs, mais blessé ou non il ne retrouvera que soi- même au centre de tout. Ce ne sera pas une „poésie de guerre“, mais une poésie du moi bousculé par la guerre ». En général, tout le contenu de cette parution des Cahiers Benjamin Fondane fournit une éclatante demonstration du pouvoir de l’histoire littéraire d’ « insuffler de la vie » à une personnalité disparue : des détails factologiques, des références et citations, pertinemment commentés, ainsi que du « montage » de fragments d’évocations et des témoignages, c’est Fondane tout entier – et tout vivant – qui surgit devant nous, sous la forme d’un inoubliable portrait en pied. Particulièrement intéressant s’avère être le Dossier Fondane-Cioran, lequel regroupe des letres inédites de Cioran, le uploads/Litterature/ cahiers-fondane.pdf

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