L'ère du téléphone portable Marinette Matthey, Université Stendhal Grenoble 3,

L'ère du téléphone portable Marinette Matthey, Université Stendhal Grenoble 3, membre de la Délégation à la langue française de la ClIP Cé 1 Blog pa 1 portable 1ci on pari 1 langag ke lé um1 peve comprendr no Si tu ve une reponse a ta kestion,essé 2 te fer ComiT contr le langage SMS é lé fote volont R Aperçu sur le blog tizel.free,fr 1. Leprincipe phonographique Le principe phonographique est dès ses débuts considéré comme réformateur. Ceux qui le défendent observent, dès le XVIe siècle, que beaucoup de personnes parlent très bien fran- çais, et ne savent plus le latin. Il faut dès lors l'évolution de l'orthographe: entre habitudes et outils ne adapter l'orthographe (encore très «latino- graphe») si l'on veut élargir l'accès à l'écrit de la population. Comme le dit un réformateur nor- mand, Robert Poisson, auteur d'un Alfabet nou- veau de la vrée etpure ortographeen 1609: il faut concevoir une orthographe pour «lagrande part des Fransois, qui ne savent mot de Latin, ni cognoissent lettre qelqonqe: comme marchans, & artizans parlans bien & correctement, & entendans bien se q'is dizent»l. On remarquera en passant que Poisson met en pratique sa théorie puisque «seq'is disent» ren- voie à la forme usuelle du français d'aujourd'hui «cequ'i(ls) disent» et que cette graphie vieillede 400 ans est une trace de l'ancienneté de cette prononciation, qui n'est donc pas une détériori- sation actuelle de la langue mais le résultat de l'évolution phonétique régulière du latin au fran- çaIS. r l « Dèsle XVIe siècle, beaucoup de personnes parlent très bien français et ne savent plus le latin. Ilfaut dès lors adapter l'orthographe » r- 2. Leprincipe sémiographique Le courant sémiographique regroupe quant à lui plutôt des défenseurs de la tradition qui crai- gnent déjà pour la pérennité de l'orthographe et assurent que les personnes lettrées auront à cœur de n'entrer en matière sur aucun change- ment. Comme le grammairien Anthoine Oudin, secrétaire interprète de Louis XIII, qui publie en 1632 une Grammairefrançoiseavec un «Aduis touchant l'orthographe»: de m'estonnede quelquesmodernes,qui sansaucu- ne considerationse sont meslez de reformer,mais plustost de renuerser nostre orthographe (...). Ne vous arrestezdoncpas aux nouuellesescritures: car ie vous asseure que lesplus renommez du temps n'ont point d'autre opinion que celle que ie vous mets icy.2» 3. Le poids du principe phonographique Avec le recul historique, on peut dire cependant que le principe phonographique a tendance à s'imposer, et qu'il culmine dans les écrits conversationnels contemporains produits par les nouvelles technologies (SMS et tchats en parti- culier). Deux exemples anciens à l'appui de cette thèse. Educateur 09,06 1 '.: l, 1 . 1 j 1: 1 Ii '1 Il ii; Iii 1; Il,. Ii' " 33 . J Dossier «Onrecomman- de encore au XVIIesièclel'usa- ge duy enfinale (icy,celuy...) parcequele jambagede la lettre permetde fairede beaux ornements» AuXVIesiècle,lesimprimeurs- typographesfrançaisrechignent à changerd'habitudes 34 a) L'introduction de J et V Le premierestla décisiond'utiliserleslettresJet V pour coder respectivement/Z/ et /v/, alors qu'il fallait auparavant connaître le mot pour pouvoir restituer le bon phonème (cf. l'ortho- graphe du secrétairede Louis XIII:le pour Je; aduis pour avis; nouuelles pour nouvelles)3. Ce sont les réformateurs «phonéticiens»,dès le XVIe siècle, qui introduisentlesphonogrammes j et v pour distinguer i voyelle(Ii/) dei conson- ne (lZ /) et u voyelle(ly/) deu consonne(lv/). Il s'agit d'améliorer la lisibilité des mots en ren- voyantdirectementà leur prononciation, cequi facilite la lecture pour les non-latinistes.Cette innovation seraentérinéepar l'Académie fran- çaiseplus de centansplus tard (1694). b) La suppression des lettres muettes Le deuxième exemple est celui de la suppres- sion de la majorité des lettres muettes à l'inté- rieur des mots. Dans le texte d'Oudin, elles sont encore nombreuses: aduis, m'estonne, meslez, plustost, escritures, mais elles disparaitront au tournant du XVIIe et XVIIIe siècles. Ainsi, on écrit Paulsment,saulter,saulmon (jusqu'en 1694); Paictneant (orthographe actuelle depuis 1740); Loing (idem); Adjuster (jusqu'en 1694). Leur suppression signifie aussi une allégeance au principe phonographique. Les graphies commen (comment),justemen (jus- tement), ke (que), aprè (après), etc., régulière- ment attestées sur les blogues et les tchats, illus- trent également la force de ce principe phonographique, qui est d'abord un principe au service du scripteur. En effet, il est plus facile d'écrire un texte en phonétique que de le lire et c'est souvent en oralisant des graphies phoné- tiques que l'on comprend de quoi il s'agit (cf. le «doukipudonktam premier mot de Zazie dans le métro de R. Queneau). On parle volontiers de disorthographiepour qualifier ces manières de mettre en lettres, bien qu'elles obéissent en fait à un des deux principes qui sont à la base de notre orthographe. 4. le rôledes contraintes techniques et des habitudesdans l'évolutionde l'orthographe Dans cette évolution des principes orthogra- phiques, les réflexions des grammairiens et des spécialistes de tout bord jouent bien sûr un rôle important, mais les aspects pratiques, liés aux habitudes des différents professionnels de l'écrit et à l'outil même qu'on utilise ont également un effet non négligeable. a) Les habitudes L'introduction des minuscules v et j dans les imprimés illustre bien le rôle successif des diffé- Educateur 09.06 1 J rents acteurs (ce qu'on appellerait aujourd'hui des différentes communautés de pratiques). Au XVIe siècle, les imprimeurs-typographes fran- çais rechignent à changer d'habitudes et conti- nuent d'utiliser les anciennes graphies qui ne distinguent pas le u voyelle du u consonne, au grand dam de certains auteurs qui, dans leur manuscrit, ont adopté cette réforme et aime- raient voir leur texte imprimé avecl'orthographe qu'ils ont choisie. Pour s'imposer, l'innovation devra venir de l'étranger - des imprimeurs hol- landais de textes français, en l'occurrence, influencés par des confrères protestants français ayant dû se réfugier aux Pays-Bas lors de la contre-réforme. Quand les nouvelles pratiques sont bien installées chez les imprimeurs français (dès le milieu du XVIIe), ces derniers se plai- gnent à leur tour que certains maîtres-écrivains n'aient pas saisi l'intérêt de ces nouvelles gra- phies et qu'ils ne transmettent pas à leurs élèves les nouvelles manières d'écrire... Cette plainte se justifie par le fait que les imprimeurs typo- graphes préfèrent souvent copier les graphies manuscrites des textes qu'ils reçoivent (loi du moindre effort)! Entre ces différents métiers de l'écrit s'instaure un cercle vicieux, et les pra- tiques n'évoluent que très lentement. b) L'outil Les aspects liés à la matérialité de l'écriture ont également une influence. Ainsi, les maîtres-écri- vains qui enseignent l'écriture manuscrite recommandent encore au XVIIe siècle l'usage de y en finale (icy,celuy...)parce que le jambage de la lettre permet de faire de beaux ornements calligraphiés (notons en passant que l'art de la calligraphie perdure, par exemple, dans les graphes qui ornent nos villes, même s'ils néces- sitent des outils et des supports que nos ancêtres ne pouvaient imaginer)! Cette technique de cal- ligraphie à la plume disparaît avec l'imprimerie et favorise donc l'usage de i... sauf quand il n'y en a plus dans les casses en raison de sa fréquen- ce d'utilisation, comme le remarque le réforma- teur Lesclache en 1685: «Comme l'amploi de i ét tres-commun dans l'écriture, les Compozi- teurs d'Imprimerie ont souvant recours à l'y, cand la câséte, ou (comme ils parlent) le câsetin du premier est vuide.»4 Cette question des caractères disponibles explique aussi, selon Lesclache, un certain flou quant à la formation des pluriels en x ou en s: les imprimeurs «ont abuzé de la létre x, pour épargner l's, dont la câséte étét trop tôt épuizée»! La persistance de l'utilisation de la graphie ez en lieu et place de és est également justifiée par les exigences de l'écriture manuscrite, comme L'èredutéléphoneportable Latouche é a tendance à être surutilisée l'explique le grammairien Mauconduit (1669): «Cette maniere serait insupportable aux per- sonnes qui écrivent vîte, qui seroient pour cela obligez, afin de marquer une si grande quantité d'accens, de lever continuellement la main ou de les ômettre tout à faiu5 Et comme les ouvriers typographes ne sont pas capables pour la plupart (ou ne veulent pas prendre le risque) d'apporter les changements préconisés par les grammairiens, ils ne font que recopier les manuscrits. Ils perpétuent ainsi par manque de connaissances l'usage ancien. C'est ce que dit l'imprimeur Jrilodrad (1686), qui mentionne aussi les spécificités de l'écriture manuscrite par rapport à cette question de l'ac- cent: «[Les ouvrier] suivent la plus grande partie la copie qu'on leurdonne;& ceusqui écriventmetent toutes ces sortes de mots avec un z,parce qu'ils font l'e & le z tout d'une tire, au lieu que s'ils metoient un é & une s cela leur fairoit perdre du tèms, ce qui fait qu'ils font l'e & le z tout ènsèmble». L'explication par l'ergonomie du geste semble encore pertinente aujourd'hui, quand on com- pare les usages manuscrits et «claviéresques)} des élèves et des étudiants. Dans leurs copies manuscrites, surtout celles réalisées en situation d'examen, les accents aigus, graves et circon- flexes ont tendance à disparaître massivement (c'est bien le phénomène déjà mis en évidence par Mauconduit il y a 350 ans), mais ce n'est pas le cas sur les tchats puisque la touche é exis- te sur les claviers et qu'il n'est pas plus coûteux de taper é que e. 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