ACADEMIE INTERNATIONALE D 'HISTOIRE DES SCIENCES ARCHIVES INTERNATIONALES D'HIS

ACADEMIE INTERNATIONALE D 'HISTOIRE DES SCIENCES ARCHIVES INTERNATIONALES D'HISTOlRE DES SCIENCES Estratto daI n. 148 Vol. 52/2002 ISTITUTO DELLA ENCICLOPEDIA ITALIANA FONDATA DA GIOVANNI TRECCANI SAVANTS DU BOUT DU MONDE: LES JÉSUITES ASTRONOMES DE SALVADOR CARLOS ZILLER CAMENIETZKI* La Compagnie de Jésus est une institution qui, depuis sa fondation, n'a cessé dartirer I'attention des érudits et des historiens. La complexe trajectoire de Ia 'prerniêre' Compagnie et les innombrables controverses qu'elle a suscitées depuis le milieu du XVle siêcle témoignent de l'intérêt exceptionnel qu'a connu l'ordre fondé par Ignace de Loyola. En effet, pour I'historien, celui-ci représente un riche espace de tensions pour l'analyse de tous les phénornênes liés à Ia vie culturelle, politique et religieuse de I'âge moderne 1. En particulier, l'examen des travaux scientifiques et philosophiques des jésuites a donné matiêre à d'importantes réflexions sur les tensions intellectuelles qui ont parcouru le XVIIe siêcle, autour notamment de Ia question des entraves religieuses aux débats sur les idées nouvelles ou sur les moyens de Ia diffusion scientifique et de l'éducation savante 2. Ce que je souhaite aborder dans ce travail est le rôle joué par les connaissances astronomiques des jésuites dans Ia vie culturelle et intellectuelle d'une 'terre de mission' du bout du monde, Ia ville du Salvador, Bahia, capitale de I'América Portuguesa. La tâche n'est pas des plus aisées. En premier lieu parce que les historiens des temps passés n'ont pas tenu à examiner ce genre de problême dans leurs travaux, comme par exemple, Antonio Serafim Leite, auteur de I'ouvrage le plus important sur Ia Province jésuite du Brésil, qui n'a pas prêté beaucoup d'attention aux travaux des savants jésuites qui travaillaient à Salvador 3. D'ailleurs, les documents des membres de l'ancienne Compagnie ont été dispersés ou détruits, I L'auteur remercie le CNPq pour lui avoir octroyé les moyens de réaliser cette recherche. 2 Plusieurs études ont été publiées depuis une quinzaine d'années sur ces aspects culturels de l'histoire de Ia Compagnie: voir notamment Luce Giard (dir.), Les [ésuites à Ia Renaissance. Systême éducati] et production du sauoir, Paris, PUF, 1995;John W. O'Malley, SJ et al. (dir.), The [esuits. Cultures, Sciences, and Ar/s, 1540-1773, Toronto, University of Toronto Press, 1999 et Antonella Romano, La Contre-Reforme matbématique. Constitution et diffusion d'une culture matbématique jésuite à Ia Renaissance, Rome, École Française de Rome, 1999. Ces travaux offrent vastes indications bibliographiques, auxquelles je renvoie le lecteur. J A. Serafim Leite, SJ, História da Companhia de Jesus no Brasil, Lisboa/Rio de Janeiro, Portugália/INL, 1938-1950. Le récent travail de Dauril Alden, The Making 01an Enterprise. The Society of lesus in Portugal, its Empire, and Beyond 1540-1750, Stanford, Stanford University Press, 1996, semble suivre Leite dans ce point particulier. * Museu de Astronomia e Ciências Afins/MCT, Rua General Bruce, 586 20921 030 Sao Cristovao Rio de Janeiro (Brazil) ziller@mast.br. 148 Carlos Ziller Carnenietzki à l'exception des importants fonds administratifs et politiques encore conservés à Lisbonne et à Rome 4. Comme beaucoup d'autres institutions culturelles de 1'América Portuguesa, les collêges jésuites du Brésil reproduisaient un modele d' éducation qui avait été élaboré en métropole. La Province essayait d' organiser les études selon les rêgles du Colégio das Artes de Coimbra et de l'Université de Evora - créée par Ia Compagnie en 1559.5 L'établissement de Lisbonne, le Colégio de Santo Antão, présentait quant à lui quelques particularités, du fait de son rôle dans l'enseignement de I'astronomie et dans Ia formation des marins du royaume. Plus que n'importe quel autre college de 1'Assistance du Portugal, 'Santo Antão' était un lieu de rassemblement pour les missionnaires et ou plusieurs mathématiciens jésuites venus de toute 1'Europe donnaient des cours sur Ia sphêre 6. Aprês 1580, quand le Portugal fut incorporé à Ia couronne de Castille, ce collêge et son cours devinrent le centre le plus important pour les études astronomiques, même si Ia fonction de 'Cosmographe du royaume' avait parallêlernent disparu. Port de départ pour 1'Orient, Lisbonne recevait des jésuites de tous les coins du Vieux Monde et les mathématiciens restaient quelque temps dans le collêge de Ia ville, du double fait des besoins en savants pour Ia mission de Chine et du nécessaire apprentissage de Ia langue portugaise. Au collêge de Bahia, rien n'exigeait que 1'on prit appui sur le modele de Lisbonne; apparemment rien ne justifiait des études approfondies de mathématiques à Salvador. Là, 1'agenda de Ia Compagnie était tout autre. Les Européens ne s'étaient pas trouvé face à de vastes royaumes bien organisés qu'il fallait détruire, ou face à un empire auquel il était nécessaire de s'adapter pour les besoins du commerce, de Ia politique et de Ia diffusion de Ia religion de Rome. Au contraire, les civilisations de 1'América Portuguesa étaient infiniment plus fragiles. 11 s'agissait donc de les réduire et d'instituer Ia société civile. 4 Les fonds les plus importants se trouvent au Portugal, à I'Arquivo Nacional da Torre do Tombo et en Italie à I'Archivum Historicum Societatis Iesu. , On peut trouver d'irnportants informations sur le travail des jésuites dans ces deux institutions dans I'ouvrage Francisco Rodrigues, SJ, História da Companhia de Jesus na Assistência de Portugal, Porto, Livraria Apostolado da Imprensa, 1931-1950. En outre, plusieurs ouvrages ont été consacrés aux universités du Portugal, voir J. Pinharanda Gomes, Os Conimbricensis, Lisboa, Instituto de Cultura e Língua Portuguesa, 1992; Mário Brandão, O Colégio das Artes, Coimbra, Universidade de Coimbra, 1924; Friedrich Stegmüller, Filosofia e Teologia nas Universidade de Coimbra e de Euora no século XVI, Coimbra, Universidade de Coimbra, 1959;João Pereira Gomes, Os Professores de Filosofia da Universidade de Éuora, Évora, 1960. 6 Il n'existe pas d'étude de détai! sur cet important établissement, cependant, grâce à quelques travaux, on dispose d'une image assez précise des activités mathérnatiques de 'Santo Antão': Luis de Albuquerque, "A Aula de Esfera do Colégio de Santo Antão no Século XVII", Anais da Academia Portuguesa de História, 2a s., n. 21 (1972),335-391; Ugo Baldini, "L'Insegnamento della Matematica nel Collegio di S. Antão a Lisbona, 1590-1640", in Nuno da Silva Gonçalves (org.), A Companhia de Jesus e a Missionação no Oriente (Lisboa: Brotéria, 2000), 275-310; AaVv, História das Ciências Matemáticas - Portugal e o Oriente, Lisboa, Fundação Oriente, 2000. Savants du bout du monde: les jésuites astranames de Salvador 149 Établis dans le Nouveau Monde depuis le milieu du XVIe siêcle, les jésuites soccupaient surtout de Ia conversion et des aldeamentos 7 des Indiens, de l'assistance spirituelle aux chrétiens et de l'éducation de leurs enfants. En fait, Ia politique qu'ils adoptêrent au sujet des Indiens les plaçait au centre d'un conflit assez dur avec les colonisateurs. Ils prétendaient en effet exercer leur fonction pastorale en rassemblant les natifs en 'villages' organisés par l'Ordre. 'Protégés' des assauts des colons à Ia recherche de bras pour le travail sous Ia forme de Ia mise en esclavage, les Indiens vivaient sous le contrôle rigide de Ia Compagnie et constituaient des réserves humaines importantes pour accomplir diverses tâches de Ia vie coloniale, correspondant toujours aux intérêts de l'Ordre. Les colons, et tout particuliêrernent ceux qui étaient installés sur les marges des zones d'occupation européennes, ne pouvaient pas accepter cette situation et un important conflit s'établit entre eux et les pêres de Ia Compagnie, dont témoigne une bonne partie des sermons de António Vieira. Ce problêrne a été constitutif de Ia vie de l'ordre ignatien jusqu'à ce qu'il fut définitivement résolu vers Ia fin XVIIe siêcle: on peut dire qu'il a imprimé à l'histoire de Ia Compagnie au Brésil une marque particuliêre, Si le collêge de Salvador est créé dês 1560, il ne prend sa forme définitive que vers Ia fin du siêcle, avec l'organisation des cours réguliers de philosophie. Il accueille les enfants des colons distingués en leur offrant une éducation qu'on veut Ia plus sophistiquée possible. Étant donné les caracteres de Ia vie civile à Salvador - mais aussi des autres villes portugaises du continent -, le collêge est devenu le plus important centre culturel de l'América Portuguesa, dont les fonctions allaient bien au delà de celles habituellement dévolues à un institut de formation intellectuelle et religieuse. Outre que l'éducation qu'on y délivrait était supposée comparable à celle qu'on pouvait recevoir dans le royaume, les familles distinguées de Ia ville y trouvaient des activités culturelles inexistantes ailleurs: théâtre, musique, poésie, manifestations académiques, etc. Le plan des études devait suivre celui qu'on trouvait ordinairement dans le royaume, à l'exception des cours réguliers de mathématiques - on peut aujourd'hui conclure à leur inexistence puisqu'on n'a toujours pas trouvé, dans les sources, de solides indices de leur enseignement à Salvador. Cependant, certaines questions d'astronomie y étaient traitées pendant les cours philosophiques et on connait relativement bien quelques études réalisées par les pêres de Ia Compagnie dans ce domaine. De plus, nous sont parvenus des ouvrages d'astronomie écrits par certains des professeurs du collêge. En fait, s'il s'agit de témoignages fragiles d'une activité 7 r;aldeamento était Ia solution proposée par Ia Compagnie pour les natifs capturés et convertis. Ils étaient rassemblés, sans grand égard pour les distinctions entre les diverses nations indiennes, dans un 'village' établi à cette fin uploads/Litterature/ camenietzki-carlos-ziller-savants-du-bout-du-monde-les-jesuites-astronomes-de-salvador.pdf

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