TROUS NOIRS EN EAUX PROFONDES Eric SIMON Roman 1 2 © Eric Simon - Tous droits r

TROUS NOIRS EN EAUX PROFONDES Eric SIMON Roman 1 2 © Eric Simon - Tous droits réservés www.ca-se-passe-la-haut.fr 3 TROUS NOIRS EN EAUX PROFONDES Eric SIMON Roman 4 5 - 1 - 7 avril 2017 — Mais oui, c’est possible ! Ça ne peut que marcher ! Regarde comment on est tous sur le pied de guerre : depuis hier les gars sont au taquet à Hawaï, en Espagne, au pôle sud, et au Chili... — Dis tout de suite que les gars ne sont pas au top en Arizona et au Mexique ! rétorqua James. — Bien sûr qu’on est prêts aussi au LMT et au SMT, c’est une évidence non ? souriait Paul, le directeur du consortium de l’Event Horizon Telescope. Tu as vu les dernières prévisions météo, elles sont très favorables. Ça va le faire, je te dis, ça va le faire ! La campagne d’observations inédite de l’Event Horizon Telescope avait commencé depuis deux jours maintenant, depuis le cinq avril sur les huit sites exactement en même temps. L’EHT, l’Event Horizon Telescope, était un radiotélescope très particulier, c’était un télescope virtuel, 6 composé d’une multitude d’antennes réparties dans huit observatoires différents situés sur plusieurs continents, une première mondiale. Le principe était fondé sur l’interférométrie et comme les différents radiotélescopes étaient éloignés de plusieurs milliers de kilomètres, on appelait cette technique l’interférométrie à très longue base. Le secret de l’EHT résidait dans la longueur de sa base, la distance séparant les deux radiotélescopes les plus éloignés. C’était cette base qui donnait le diamètre équivalent du télescope virtuel, et le diamètre, qu’il soit virtuel ou bien réel, était le paramètre fondamental qui fournissait la valeur théorique de la résolution angulaire atteignable. Les deux sites les plus éloignés dans l’Event Horizon Telescope étaient le South Pole Telescope, situé comme son nom l’indiquait quasi au pôle sud géographique, non loin de la base Amundsen Scott, et le radiotélescope de l’IRAM, l’Institut de Radioastronomie Millimétrique, à Pico Veleta en Espagne, que les radioastronomes appelaient simplement PV ou Pico. Ces deux installations radio-astronomiques permettaient à l’EHT de montrer fièrement une base de plus de dix mille kilomètres. Paul Griese avait pris la direction du consortium dès 2010 et ne l’avait jamais lâchée depuis. Les européens avaient finalement accepté qu’un américain soit à la tête de l’une des expériences d’astrophysiques les plus en vue. Ils avaient en revanche imposé que le responsable 7 scientifique, un des deux bras droits de Paul, soit européen. Les américains fournissaient il est vrai le gros des troupes avec des équipes de l’Université de l’Arizona, de l’Université de Chicago, du Smithonian et du MIT, sans compter les équipes techniques des installations du Submillimeter Array, le SMA, et du James Clerck Maxwell Telescope, le JCMT, tous le deux situés à Hawaï. James Haywell assurait non seulement la gestion du projet dans sa globalité, mais surtout la coordination des différentes équipes, surtout depuis le 5 avril et les premières prises de données. Il fallait que tout fonctionne à la perfection et simultanément. James était bien moins calme qu’une semaine auparavant. Il savait que la prochaine fenêtre d’observation avec au moins huit observatoires ne se reproduirait probablement que l’année suivante vers la même époque. C’est le South Pole Telescope qui donnait le la. Non seulement il était incontournable pour atteindre la plus longue base interférométrique que l’Homme n’ait jamais réalisée, mais sa situation géographique très particulière faisait qu’il ne pouvait être utilisé que durant cinq mois dans l’année, entre l’été et le début de l’automne austral, de décembre à avril. La base d’Amundsen Scott était presque désertée durant l’hiver antarctique, et les premiers vols spéciaux ne reprenaient qu’au début décembre lorsque les températures redevenaient à peu près vivables. 8 La météo était un facteur crucial pour la campagne d’observation. Bien que les ondes radio fussent moins affectées par l’atmosphère que la lumière visible, infra- rouge ou ultra-violette, elles subissaient néanmoins certaines absorptions dans des longueurs d’ondes utiles du fait de la présence de vapeur d’eau dans l’atmosphère. Les observatoires constituant l’Event Horizon Telescope étaient déjà situés en haute altitude, que ce soit sur des hauts plateaux ou sur des volcans, dans le but de minimiser la quantité d’atmosphère à traverser, mais il fallait également que la couverture nuageuse soit la plus restreinte possible durant ces sept jours, et sur les huit sites simultanément. C’était un challenge hors du commun et Paul et James étaient rivés sur les prévisions que leur fournissait l’agence météorologique américaine qui leur avait monté un programme d’observation spécifique. Ils avaient ainsi pu décider quel créneau d’observation ils prenaient parmi les trois créneaux qu’ils avaient pu obtenir sur les huit observatoires formant le grand radiotélescope virtuel. La pièce maîtresse de l’EHT était sans conteste le réseau ALMA avec ces 66 antennes, situé sur un haut plateau du désert de l’Atacama au Chili. Paul avait réussi, après de multiples négociations plus fastidieuses les unes que les autres, à obtenir 65 heures d’observations sur ALMA, qui étaient divisées en cinq périodes de treize heures chacune. La contrepartie qui lui avait été imposée par les 9 administrateurs de l’ESO qui gérait l’observatoire le plus performant en radioastronomie était de mettre à disposition de la communauté scientifique leur radiotélescope virtuel dans sa version à très longue base incluant ALMA. Paul avait fini par accepter la proposition qui avait pris la forme d’un ultimatum. Sans ALMA, l’EHT n’aurait jamais pu atteindre la performance requise pour imager le trou noir supermassif de notre Galaxie et celui de la galaxie M87. *** Cette semaine s’annonçait parfaite sur tous les sites, y compris le SPT, le South Pole Telescope. — Tu me fais un petit point ? demanda Paul. — Alors, justement, du côté du SMT, les gars à Safford m’ont annoncé tout à l’heure que tout était nominal. Les données s’accumulent, et tout est OK a priori pour l’horloge atomique. Idem pour nos amis du LMT, le Gran Telescopio Milimétrico se comporte à merveille et l’indice d’humidité est de 0% pour les dix jours qui viennent. — Les chiliens ? — Les dernières news que j’ai eues de ALMA et de APEX datent de ce matin. On est toujours sur 59 antennes 10 avec ALMA, on laisse tomber les sept autres. C’est pas dramatique, Jürgen me l’a confirmé. Avec 59, on est bons. Pour APEX, tout était nominal comme d’habitude. Leurs horloges sont nickel. Par contre, leur prévision météo est un peu moins bonne qu’annoncé hier, ça va se dégrader un peu pour eux à partir de demain matin. James continuait de dérouler les informations qu’il avait reçues des différents observatoires. — Hawaï : on fonctionne avec sept des huit antennes de 6 m du SMA, là pareil, ça ne pose pas de problème pour nous, ils ont configuré pour avoir la plus longue base locale. Pour le JCMT, rien à signaler sinon que tout est parfait comme d’habitude avec l’équipe de Peter. Les horloges sont aussi nickel pour les deux. Paul Griese prenait des notes dans un cahier sur lequel il avait tracé huit colonnes. — Alors, au PV, les équipes de l’IRAM ont dû arrêter les acquisitions pendant environ deux heures cette nuit malheureusement. Mais ils ont relancé les enregistrements et tout marche parfaitement maintenant. L’horloge n’a pas été touchée pendant l’interruption. Côté météo, pas de soucis pour eux. Je t’ai gardé les mauvaises nouvelles pour la fin : Gary n’a pas encore pu joindre Lea au SPT. La liaison est interrompue pour une raison qu’on ignore. Ça nous avait déjà fait ça il y a deux semaines, exactement la même chose… C’était revenu après 36 heures… Bref, 11 on n’a pas de nouvelles plus fraiches que celles d’hier. Je ne peux pas t’en dire plus, hélas. — Faudrait pas que ça dure aussi longtemps que la dernière fois. Il faut qu’on les suive de près, on peut plus se permettre d’être en aveugle avec le SPT, maintenant ! On va avoir besoin d’eux… Paul avait pris son air le plus sérieux, son visage un peu ridé posait son autorité de manière naturelle. Le chercheur qui portait plutôt bien sa qualification de quinquagénaire, alors qu’il commençait sérieusement à perdre ses cheveux pas encore grisonnants, savait que les choses sérieuses allaient maintenant commencer. Les deux premiers jours d’observations étaient une sorte de mis en jambe, même si il y avait l’autre trou noir au programme. Katie et Heinz ouvrirent la porte du grand bureau au moment où Paul se connectait sur Slack, la plateforme de communication instantanée qu’ils avaient choisie pour communiquer facilement entre les sites pendant cette grosse semaine qui se promettait d’être riche. — Salut ! Désolée du retard…, lança Katie encore un peu essoufflée. Heinz faisait la tête de celui qui s’excusait pour quelque chose dont il n’était pas responsable. Ils venaient tous les deux du laboratoire du MIT où ils travaillaient depuis de longs mois sur les algorithmes de reconstruction. La traversée de Cambridge le long de la Charles River pour rejoindre le bâtiment du Smithonian 12 Center for Astrophysics uploads/Litterature/ trous-noirs-en-eaux-profondes.pdf

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