1 [Encyclopédie berbère : XIX, 1997, p. 2880-2886] FONCTIONS (SYNTAXIQUES) Sale
1 [Encyclopédie berbère : XIX, 1997, p. 2880-2886] FONCTIONS (SYNTAXIQUES) Salem CHAKER On appelle fonction la relation qu’entretient un constituant de l’énoncé avec un (ou les) autre(s) élément(s) de l’énoncé (Cf. Marouzeau : 97 ; Martinet (dir.) 1969 : chap. 15 ; Dubois et al. : 216. Pour une langue déterminée, on identifie les fonctions syntaxiques comme étant les relations régulières existant entre les diverses classes d’unités, au sein des énoncés. La fonction prédicative C’est la fonction centrale, nécessaire à l’existence même de l’énoncé. Le prédicat est l’élément (ou le groupe d’éléments) obligatoire, non supprimable, autour duquel s’organise le reste de l’énoncé. En berbère, langue à opposition verbo-nominale, c’est, très classiquement, le verbe qui constituent généralement le noyau prédicatif. Le verbe, qui est donc quasiment un uni- fonctionnel prédicatif, peut cependant, dans certains contextes (notamment en proposition relative), perdre cette fonction pour devenir un simple déterminant lexical équivalent à un adjectif (Cf. infra). Mais le nom – précisément les substantifs, les adjectifs et tous les pronominaux libres – peut également occuper la fonction de prédicat. Il existe donc en berbère, dans tous les dialectes, de nombreux type de phrases nominales. – Soit, comme en touareg, par simple juxtaposition de nominaux (phrase nominale "pure") : Mûsa, amàar n Ahaggar Mûsa, chef de Ahaggar = Moussa est le chef de l’Ahaggar – Soit, comme dans la plupart des dialectes berbères nord, grâce à un auxiliaire de prédication spécialisé (d = "il y a/c’est") : d amur-iw d part-ma = c’est ma part – Soit dans le cadre de constructions préposionnelles diverses : àur-s sin yezgaren (kabyle) chez-lui deux boeufs = il a deux boeufs dar-s iqariŸen (chleuh) chez-lui argent = il a de l’argent Enfin, dans de nombreux dialectes, la fonction prédicative peut aussi être assumée par divers éléments invariables, de type adverbial : ulaš aman (kabyle) abence eaux = il n’y pas d’eau 2 Les fonctions nominales primaires Si le nom peut être prédicatif, c’est avant tout un pluri-fonctionnel qui assume des fonctions très diverses dans l’énoncé. Dans une perspective structuraliste, ce sont les travaux de Lionel Galand (complétés et précisés par Penchoen, Bentolila, Chaker et Leguil) qui ont identifié les principales fonctions nominales. Le complément explicatif [C.E.] Il s’agit du lexème nominal, marqué par l’état d’annexion, postposé à l’élément qu’il détermine, souvent le prédicat : y-rwel umak°ar-nni il s’est enfui voleur-là = le voleur s’est enfui Ce constituant nominal est facultatif (y-rwel, "il s’est enfui", seul, constitue un énoncé) et on peut le rencontrer dans d’autres contextes où il détermine autre chose qu’un verbe : a- un prédicat nominal : d amaga°ad umak°ar-nni d peureux voleur-là = le voleur (était) un peureux b- un pronom personnel affixe régime ‚‚f-n t umak°ar-nni ont saisi-ils le voleur-là = ils l’ont attrapé, le voleur (énoncé dans lequel umak°ar reprend et explicite le pronom personnel affixe régime direct -t, "le"). On a donc affaire à une fonction qui n'est pas spécifiquement liée au prédicat : celle d'explicitation lexicale, le plus souvent d'une marque personnelle (indice personnel du verbe, pronoms régimes). Cette redondance apparente peut être analysée comme une recherche d'économie : on recourt d'abord à des paradigmes grammaticaux très restreints et peu spécifiques (dont les unités ont une très haute fréquence) et on ne fait intervenir les moyens lexicaux que pour lever les risques d'ambiguïté. Selon une belle formule de Galand (1975 : 176), on aboutit à une véritable division [du travail] entre les "êtres lexicaux" et les "êtres grammaticaux", les premiers ayant pour fonction de pallier l'imprécision des seconds, qui, pour leur part, véhiculent les relations entre les participants. Il est donc difficile de considérer ce nominal à l’état d’annexion comme un "sujet", du moins si l’on conserve à ce terme sa définition syntaxique courante en linguistique générale. C’est pour cet ensemble de raisons que Lionel Galand (1967) a proposé de dénommer cette expansion nominale "complément explicatif", puisqu’il explicite un élément qui le précède. Certains auteurs ont proposé d’autres appellations (Chaker 1983 : "expansion référentielle" ; Leguil 1984 : "complément référentiel") mais elles ne changent rien à l’analyse syntaxique sous-jacente. Plusieurs auteurs récents (notamment Touratier 1986 et Cadi 1991) ont néanmoins proposé de revenir à la terminologie classique de "sujet" ; on reste réservé devant cette proposition dans la mesure où elle implique que l’on ne donne pas une définition strictement syntaxique (formelle) du sujet et que l’on introduise nécesssairement des considérations sémantiques et/ou énonciatives. 3 Le complément direct [C.D.] Le complément direct est le nominal directement postposé au verbe, avec la marque de l’état libre. Il s’agit là d’une fonction nominal caractéristique de l’énoncé à prédicat verbal (contrairement au complément explicatif). La fonction complément directe peut être assumée par un lexème nominal ou par un substitut grammatical, c’est-à-dire un pronom personnel affixe de la série particulière des régimes directs : y-fka idrimen = il a donné (de) l’argent y-fka ten = il a donné les = il l’a donné (idrimen étant un pluriel) On notera qu’en berbère le complément direct est à la forme non marquée du verbe, i.e. la forme de l’état libre. Le complément indirect [C. ind.] Le complément indirect est un syntagme nominal relié au prédicat par un morphème relationnel (préposition) quelconque. Le noyau nominal lui-même est généralement à l’état d’annexion. Le cas typique est celui du syntagme attributif à préposition i (à) : y-fka aksum i temàart il-a donné viande à vieille = il a donné de la viande à la vieille Dans ce cas, le syntagme nominal peut être remplacé par un substitut grammatical, un pronom personnel affixe de la série régime indirect : y-fka - yas aksum il-a donné - à elle viande = il lui a donné de la viande. L’indicateur de thème. [I. Th.] Les énoncés bebères, verbaux ou non-verbaux, comportent très fréquemment, le plus souvent en position initiale, des syntagme nominaux à l’état libre, séparés du reste de l’énoncé par un décrochage intonatif très net (Chaker 1995 : chap. 8). Soit les couples d’énoncés suivants : (a) n-zla azgr nous-avons égorgé boeuf = "nous avons égorgé un boeuf" (b) azgr, n-zla (t) boeuf nous-avons-égorgé (le) = "un/le boeuf, nous (l) avons égorgé" (a) y-mmut wrgaz-is il-est mort mari-son = "son mari est mort" (b) argaz-is, y-mmut = "son mari, il est mort" La thèse classique (Basset 1950) parlait pour les énoncé du type (b) d'anticipation. Le terme même implique une antériorité logique de la phrase neutre (a) et le caractère non fondamental au plan syntaxique de la mise en relief. Cette terminologie indique aussi que Basset avait surtout été sensible au paramètre de la position (anticipation = mise en tête d'énoncé = "extraposition"). 4 Les travaux de L. Galand (1964) ont introduit une rupture nette en proposant le concept d'"Indicateur de thème", considéré comme une fonction particulière des syntagmes nominaux. Les auteurs ultérieurs (Penchoen, Bentolila, Leguil, Chaker...) suivent généralement Galand, mais non sans hésitations. Pour notre part, après avoir nié le caractère spécifique de cette fonction "Indicateur de thème" (Chaker 1975), nous nous sommes rallié à l'analyse de L. Galand (Chaker 1978/1983). Cette difficulté à reconnaître la thématisation comme une fonction syntaxique indépendante provient, au moins partiellement, de ce que la présentation classique permet une simplification de la description : l'énoncé à "anticipation" est ramené à la séquence neutre dont il ne se différencie que par une mise en relief, à valeur stylistique. Au plan de l'analyse syntaxique, cette thèse (nominal thématisé = expansion primaire + mise en relief) s'appuie sur le fait que les expansions nominales primaires sont des syntagmes autonomes (leur fonction est indiquée par la marque d'état ou un fonctionnel) et sont donc, par définition, déplaçables. On en vient alors aisément à considérer l'anticipation comme une variation stylistique, syntaxiquement non pertinente, de ces expansions. Ainsi, si l'on examine les couples d'énoncés ci-dessus, on pourrait les analyser comme syntaxiquement identiques, avec simple extraposition du complément d'objet direct (azgr) et du "sujet lexical" (wrgaz-is). Mais la confrontation avec les données de l’usage réel montre que cette analyse est trop simplificatrice et qu'elle se heurte à des objections sérieuses. – On relève d’abord de nombreux énoncés avec thématisation de deux (ou plus) nominaux qu'aucune marque formelle ne différencie (alors qu'ils correspondraient à des fonctions distinctes en énoncé "neutre") : tamàart,, aksum, y-fka - yas- vieilles, viande, il-a donné - à elle = "la vieille, de la viande, il lui en a donnée". Bien souvent, seules les informations extra-linguistiques et/ou la vraisemblance sémantique permettent le décodage univoque de tels énoncés. En position d'"anticipation", la distinction entre les diverses expansions nominales peut ne reposer sur aucun procédé syntaxique. Ce qui revient à constater que l'opposition syntaxique entre les trois expansions nominales fondamentales (C.E., C.D. et C. ind.) n'existe plus dans ce contexte. Le syntagme thématisé est vis-à-vis du prédicat dans un rapport non-spécifié par la syntaxe : l’interprétation repose essentiellement sur le niveau signifié. – D'autre part, l'"anticipation" peut porter sur un nominal qui ne correspond pas à l'une des expansions primaires fondamentales ; on relève ainsi fréquemment dans cette position un nominal déverbatif abstrait, uploads/Litterature/ chaker-97-fonction.pdf
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- Publié le Jul 23, 2022
- Catégorie Literature / Litté...
- Langue French
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