1 Position du problème À la faveur du phénomène de grande portée non seulement

1 Position du problème À la faveur du phénomène de grande portée non seulement économique et politi- que, mais aussi historique et culturelle que constitue la mondialisation, et afin de donner un nom à l’époque actuelle, certaines tendances de la pensée bourgeoise ont ajouté un segment supplémentaire à l’histoire universelle. C’est ainsi qu’après la préhistoire et l’histoire, le pré-moderne et le moderne, l’humanité serait entrée dans un nouveau cycle historico-culturel, celui de la posthistoire ou, plus généralement, de la postmodernité. Selon Lipovetsky (2004:28), « la postmodernité représente le moment historique précis où tous les freins institutionnels qui contrecarraient l’éman- cipation individuelle s’effritent et disparaissent, donnant lieu à la manifestation de désirs singuliers, de l’accomplissement individuel, de l’estime de soi. Les grandes structures socialisantes perdent de leur autorité, les grandes idéologies ne sont plus porteuses, les projets historiques ne mobilisent plus, le champ social n’est plus le prolongement de la sphère privée: l’ère du vide s’est installée, mais sans tragédie ni apocalypse ». La logique culturelle de l’économie néolibérale Mais, comprendre aujourd’hui les idéologies postmodernes, c’est avant tout, saisir la logique culturelle du capitalisme avancé (Jameson 1991) ou encore les conséquen- ces culturelles de la globalisation (Appadurai 1996). La vérité est que « le libre jeu des marchés et le libéralisme économique sont à la mode chez les postmodernes de l’ère postindustrielle » (Barber 1996:241). C’est donc comme phénomène culturel et idéologique lié aux grandes mutations du capitalisme mondial que le postmodernisme s’est imposé à la conscience philosophique contemporaine. Profondes, ces muta- tions n’ont pas manqué de retentir sur le contenu et le destin de l’humanisme lui- même, en tant que grande synthèse politique et culturelle de l’époque moderne. Créateur de communauté, l’humanisme constitue, pour ainsi dire, l’âme vivante de l’État-nation bourgeois, construit d’après le modèle de la société littéraire (Sloterdijk 2000). Chap 1.pmd 25/11/2008, 10:54 29 30 Le postmodernisme et le nouvel esprit du capitalisme Le roman réaliste est très significatif de ces évolutions. Produit de son temps, l’histoire de ce roman est inséparable des mutations structurelles et idéologiques propres à la société bourgeoise. Ces mutations sont avant tout celles induites par les progrès de la science et de la philosophie: la physique de Newton, le positivisme de Comte, la méthode expérimentale de Claude Bernard, etc. Pensons seulement à Zola ou encore à Balzac. Le roman réaliste prend donc son essor dans une société profondément travaillée par le rationalisme, la causalité, le déterminisme historique, la croyance au progrès scientifique et moral de l’humanité. Dans ce roman, le héros, figure nette et bien identifiable, témoigne de son monde, qui se veut rationnel, par- faitement intelligible. Sujet universel parlant au nom de l’humanité, le héros du ro- man réaliste est porteur de significations, parce que le monde et l’histoire eux-mê- mes ont un sens interprétable par tout sujet raisonnable. Sa mission est donc de délivrer à toute l’humanité un message audible et intelligible. Le monde post-littéraire et post-humaniste Le discours de Sloterdijk sur la domestication de l’homme moderne s’appuie sur les considérations de cet ordre. Les rappeler donc, c’est, dans le même temps, montrer en quoi la crise de l’État-nation moderne par exemple est de la même nature que la crise qui ébranla l’humanisme, la métaphysique, bref l’ensemble de l’édifice de la culture moderne. Depuis l’offensive néolibérale, l’arrogante et dogmatique séquelle du postmodernisme et de la mondialisation se plaît à rappeler que la brève parenthèse ouverte par l’ère humaniste s’est refermée, que par conséquent, les sociétés contem- poraines sont de la nature des sociétés post-littéraires, post-humanistes, post-méta- physiques, et donc post-nationales. À la suite de nombreux autres critiques, Sloterdijk (p. 13) tente d’établir que la raison profonde de ces transformations est à chercher dans deux phénomènes convergents: l’irruption de la culture dite de masse et la révolution des réseaux. La culture de masse et les réseaux auraient ébranlé les assises sur lesquelles reposait l’être-ensemble des hommes de l’époque moderne. Car, la lecture des classiques et des génies nationaux ne suffirait plus à cimenter le lien social, culturel et politique dans les sociétés de masse. Il s’agit là d’une autre façon de dire que la société post-humaniste ou postmoderne est une société où la littérature ne constitue plus le moyen privilégié de production de la synthèse politique et cultu- relle, les nouveaux médias de la télécommunication politique et culturelle ayant dé- trôné le schéma désormais caduc « des amitiés nées de l’écrit » (ibidem). Le tournant nietzschéo-heideggerien signifierait donc que nous avons définitivement tourné le dos à cette période d’un siècle et demi, où l’on connut non seulement la domination sans partage de l’idéal de clarté et de raison, mais aussi le « pouvoir absolu d’imposer les classiques à la jeunesse et d’affirmer la validité universelle des lectures nationa- les » (p. 12), l’objectif étant de fabriquer un sujet moderne, lucide, maître de ses passions et raisonnable. Chap 1.pmd 25/11/2008, 10:54 30 31 Position du probléme Il serait erroné de penser que la société spectaculaire (Debord 1992) et de réseau (Castells 1998), suffit à elle seule à expliquer ces mutations. Deux autres facteurs semblent plus décisifs encore: • Sur le plan politique, il s’agit des mutations structurelles induites par un capi- talisme arrivé à maturité et prêt à inaugurer l’époque impérialiste et coloniale. La montée de l’irrationalisme vers la fin du XIXè siècle et au début du XXè siècle reflète sur le plan idéologique, ces mutations. La philosophie de pen- seurs comme Nietzsche, Bergson, Spengler, James et plus tard Heidegger, serait inintelligible sans ce contexte. C’est la période où le corps est réhabilité en tant que siège des phénomènes les plus irrationnels de l’âme et où l’ins- tinct, l’intuition et l’élan vital détrônent le savoir, la pensée logique. Les idéo- logies racistes de l’époque impérialiste trouvent ici également leur explication, tout comme les deux grandes guerres mondiales. On oublie souvent de sou- ligner le caractère impérialiste de ces conflits en se contentant de leur trouver des causes métaphysiques fictives: dictature de la raison, impasse de l’huma- nisme moderne, dogmatisme des philosophies de la totalité, etc. Faire l’im- passe sur les rivalités de puissance pour expliquer des guerres qui sont de nature inter-impérialiste, c’est se condamner à errer sur l’essentiel. Seul le capitalisme de l’époque impérialiste avait un intérêt idéologique à déconstruire la métaphysique traditionnelle, la raison et l’humanisme. Il s’agissait pour lui, de s’affranchir de ces entraves et de libérer les instincts, au besoin, en les barbarisant. L’objectif visé était de justifier une politique inhumaine: la con- quête impérialiste du monde, le pillage des nations, la guerre, le racisme. • Sur le plan scientifique, il s’agit d’une mutation décisive dans le domaine des sciences: la découverte par Einstein de la théorie de la relativité. Involontaire- ment, et malgré les réserves de son auteur lui-même, la théorie de la relativité fournit un argument philosophique de poids aux partisans du relativisme et de la déconstruction des philosophies dites de la totalité. C’est cette ambiance qui vit naître le Nouveau Roman français. Ses thèmes fonda- mentaux alimentent abondamment la postmodernité et se résument ainsi: rejet de la logique et de la dictature de la raison; inefficacité des catégories rationnelles; mé- fiance à l’égard de la pensée classificatrice; refus des systèmes; fin du héros; rejet de la causalité, du déterminisme et de l’histoire; installation de l’homme dans le présent et dans un univers sans épaisseur; prévalence de l’idée de chaos universel; recon- naissance de l’immensité du monde, de son caractère complexe, changeant, poly- morphe, etc.; méconnaissance de l’essence humaine et affirmation du caractère multiple de l’identité de l’homme; affirmation du caractère métamorphique du monde et de l’être; rejet de l’utopie et refus de l’engagement; parti pris en faveur du perspectivisme (le savoir que nous avons du monde et des choses est relatif à nos opinions, à nos croyances, à notre situation et à nos goûts) (Robbe-Grillet 1963). Le Nouveau Roman signe la fin de la littérature à thèses, du roman « scientifi- que », reflet des aspirations positivistes de l’auteur; il décrète la mort de la littérature Chap 1.pmd 25/11/2008, 10:54 31 32 Le postmodernisme et le nouvel esprit du capitalisme de combat, porteuse des idéaux de révolution sociale et politique. Comme le surréa- lisme, il déplace l’accent vers l’inconscient, le moi subjectif, la mystique. Depuis la révolution surréaliste, l’on s’était en effet habitué à l’idée que la créa- tion scientifique, artistique et littéraire relevait d’un ordre différent de celui de la raison. Par exemple, le surréalisme se définit lui-même comme un « automatisme psychique pur par lequel on se propose d’exprimer, soit verbalement, soit par écrit soit de toute autre manière, le fonctionnement réel de la pensée » (Breton 2003:36) L’œuvre d’art qui rompt avec le formalisme, le conscient, la raison, s’autorise toutes les fantaisies, en fonction de l’inspiration du moment ou de l’état de grâce du créa- teur. Comme tentative de libération de la pensée et de la créativité humaine, le surréalisme s’adresse directement à l’inconscient et propose aux créateurs de tra- vailler sous sa dictée. Le surréalisme, écrit Breton, c’est la « dictée de uploads/Litterature/ chap-1.pdf

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