QUE SAIS-JE ? Histoire des universités CHRISTOPHE CHARLE JACQUES VERGER Introdu
QUE SAIS-JE ? Histoire des universités CHRISTOPHE CHARLE JACQUES VERGER Introduction e présent ouvrage remplace celui qu’avait publié dans la même collection, en 1973, le recteur M. Bayen. Ni son livre, ni celui plus ancien encore de Stephen d’Irsay, qui étaient à ce jour les seuls existant en français sur le sujet, ne peuvent plus en effet être tenus pour satisfaisants dans un domaine largement renouvelé par l’essor récent des travaux historiques. Notre seule ambition a été de présenter un bilan rapide et nécessairement provisoire des résultats aujourd’hui acquis. Le format restreint d’un « Que sais-je ? » nous a contraints à sacrifier la plupart des nuances qu’imposerait normalement la présentation de recherches menées le plus souvent à l’échelle monographique, parfois régionale, rarement nationale. Le titre même de l’ouvrage, auquel nous sommes restés fidèles, appelle une justification. Les universités n’ont jamais représenté qu’une partie de ce qu’on pourrait appeler plus largement l’enseignement supérieur. Depuis l’invention de l’écriture, bien des civilisations, antiques ou extérieures à l’Europe occidentale, ont créé, sous une forme ou une autre, un enseignement supérieur. L’histoire mériterait, à coup sûr, d’en être faite. En décidant de partir des universités au sens propre – sans pour autant nous y limiter strictement –, nous avons adopté une démarche particulière. Si l’on accepte de donner au mot université le sens relativement précis de « communauté (plus ou moins) autonome de maîtres et d’étudiants réunis pour assurer à un niveau supérieur l’enseignement d’un certain nombre de disciplines », il semble bien que cette institution soit une création spécifique de la civilisation occidentale, née en Italie, en France et en Angleterre au début du xiiie siècle. Ce modèle, à travers des vicissitudes multiples, a perduré jusqu’à nos jours (malgré la persistance, non moins durable, de formes différentes ou alternatives d’enseignement supérieur) et s’est même répandu dans toute l’Europe et, à partir du xvie et surtout des xixe et xxe siècles, sur tous les continents ; il est devenu l’élément central des systèmes d’enseignement supérieur et même les institutions non universitaires se situent dans une certaine mesure par rapport à lui, en situation de complémentarité ou de concurrence plus ou moins affichée ; il ne nous a donc pas semblé totalement arbitraire de faire de l’histoire des universités un objet spécifique d’étude, à condition, bien sûr, de ne l’abstraire ni de l’histoire d’ensemble des systèmes L éducatifs, ni a fortiori de l’histoire des sociétés et des pays dans lesquels il était immergé. La continuité (et souvent l’inertie) de l’institution universitaire ne doit pas cacher qu’elle s’est profondément transformée à travers les siècles. La recherche d’une introuvable définition de l’université, coincée entre tautologie (« est université ce qui se nomme soi-même université ») et anachronisme, doit donc céder le pas à une approche diachronique, voire discontinue, mais fermement ancrée sur les grandes articulations de l’histoire générale. C’est ce que nous avons fait dans ce petit volume où seront étudiées successivement les universités anciennes, avant tout européennes, du Moyen Age et de l’époque moderne (chap. I à IV dus à J. Verger), puis celles des xixe et xxe siècles (chap. V et VI dus à Ch. Charle), marquées par la montée rapide des effectifs, l’expansion mondiale de l’institution, l’éclatement des diversités nationales, l’alliance inégalement réussie selon les pays et les époques de l’enseignement et de la recherche. La période postérieure à 1945, qui mériterait à elle seule un livre, tant la croissance devient exponentielle, n’a pu être présentée ici ; la conclusion indiquera les grandes lignes d’une histoire dont nous sommes aujourd’hui encore les témoins ou les acteurs. Malgré ces grandes ruptures, l’histoire des universités, segment décisif de l’histoire de la culture occidentale, permet aussi de mieux comprendre une partie de notre héritage intellectuel et du fonctionnement de nos sociétés. Chaque époque a dû résoudre le dilemme renaissant de la préservation du savoir passé et de l’intégration de l’innovation, de l’évaluation des compétences et du changement des critères d’appréciation. La comparaison des temps et des lieux permettra donc peut-être au lecteur d’amorcer des réflexions sur le présent incertain des enseignements supérieurs grâce au recul critique fourni par le regard historique. Première partie : Les universités du Moyen Age et de l’Ancien Régime Chapitre I Naissance et essor des universités au Moyen Age es premières universités, au sens indiqué dans notre introduction, sont apparues en Europe occidentale au début du xiiie siècle. A aucune on ne peut assigner de date précise de naissance mais on peut considérer comme quasiment contemporaines les universités de Bologne, Paris et Oxford ; à peine plus récente fut sans doute l’Université de médecine de Montpellier. Tant par leur structure institutionnelle que par leur rôle social et intellectuel, ces universités n’avaient pas de véritable précédent historique. Elles n’ont cependant pas surgi ex nihilo. Elles étaient même, à bien des égards, les héritières d’une longue histoire. I. Des écoles du haut Moyen Age aux universités Les disciplines qui y étaient enseignées étaient en effet, pour l’essentiel, celles que l’Antiquité, entendons l’Antiquité christianisée des Pères de l’Eglise, avait déjà considérées comme constituant la culture savante, la forme la plus haute de savoir intellectuel à laquelle pouvait prétendre un homme libre : les « arts libéraux » (grammaire, rhétorique, logique, arithmétique, musique, astronomie, géométrie) en formaient la base, la science sacrée (on dira plus tard la théologie) le couronnement ; des disciplines plus pratiques, comme le droit ou la médecine, mais capables cependant d’un niveau suffisant d’abstraction, trouvaient également leur place dans ce système. Les encyclopédistes du haut Moyen Age, les réformateurs et les pédagogues des époques carolingienne et ottonienne (ixe- xe siècles) ne firent guère que reprendre, souvent en l’appauvrissant, ce programme. L 1. Les écoles du XIIe siècle Cette longue tradition pédagogique venue de l’Antiquité a été revivifiée, surtout en Italie et en France, dans les dernières années du xie siècle. Le réseau scolaire s’est considérablement étoffé. Si les écoles monastiques, sans disparaître, sont retombées dans l’ombre, les écoles cathédrales, jusque-là modestes voire inexistantes, se sont multipliées. Les prélats plus savants et plus efficaces que la réforme de l’Eglise a alors placés sur de nombreux sièges épiscopaux, se sont employés à doter leurs cathédrales d’écoles actives pour former les clercs instruits dont ils avaient besoin ; à la tête de ces écoles, ils ont mis des « écolâtres » eux-mêmes compétents et zélés. C’est ainsi que, dès la première moitié du xiie siècle, la plupart des cathédrales de la moitié nord de la France – Angers, Orléans, Paris, Chartres, Laon, Reims, etc. – ou des pays mosan et rhénan possédaient une école permanente de bon niveau où on enseignait les arts libéraux et l’Ecriture sainte. Aux écoles cathédrales vinrent s’ajouter celles que les nouveaux ordres de chanoines instituèrent dans certaines de leurs abbayes. Enfin, dans quelques centres, apparurent ce qu’on pourrait appeler des écoles privées. Des maîtres s’installaient à leur compte et, forts de leur seule réputation, enseignaient à ceux qui acceptaient de payer pour s’inscrire auprès d’eux. En France, ce furent surtout les arts libéraux qui furent professés de cette manière. Le centre le plus actif était Paris. Abélard (1079-1142) fut un des initiateurs du mouvement mais dès le milieu du siècle c’était par dizaines qu’on comptait les maîtres enseignant, le plus souvent sur la rive gauche de la Seine, la grammaire ou la logique. A Orléans, la discipline majeure fut plutôt la rhétorique. Cet essor spontané inquiéta l’Eglise qui, depuis le haut Moyen Age, affirmait son monopole en matière scolaire et elle mit en point le système de la licentia docendi : pour ouvrir une école, même privée, il fallait désormais être en possession d’une « autorisation d’enseigner » délivrée dans chaque diocèse par l’autorité épiscopale. Ce système s’imposa d’autant mieux que par ailleurs la plupart des maîtres restaient, par leur statut personnel, des clercs. Plus indépendantes encore et nettement plus laïques furent les premières écoles de droit et de médecine qui apparurent à la même époque, surtout dans les pays méditerranéens. Ici aussi, il s’agissait d’écoles privées, fonctionnant de manière autonome, sous la seule responsabilité du maître qui passait contrat avec ses auditeurs. Les premières écoles de droit surgissent en Italie du Nord dès la fin du xie siècle, en particulier à Bologne, les plus anciennes écoles de médecine sont celles de Salerne en Italie du Sud. Dans le courant du xiie siècle, des maîtres formés dans ces diverses écoles italiennes commencèrent à essaimer au-delà des Alpes et à enseigner, au moins épisodiquement, en Provence, en Languedoc, en Catalogne, bientôt même en France du Nord et en Angleterre. 2. Le renouveau des savoirs Ce renouveau scolaire ne s’explique pas seulement par l’essor général de l’Occident, le renouveau économique, la croissance urbaine, l’accélération des échanges. Il tient à ce que l’Eglise et, dans une moindre mesure, les pouvoirs laïques et les classes dirigeantes, spécialement dans les pays méditerranéens, ont ressenti de plus en plus le besoin de faire appel à des lettrés compétents, maîtrisant les disciplines savantes et toutes les techniques de l’écrit, pour gérer leurs affaires, tant privées que publiques. Le uploads/Litterature/ charle-verger-histoire-des-universites-charle-christophe-verger-jacques.pdf
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- Publié le Fev 17, 2022
- Catégorie Literature / Litté...
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