6 PARTIE 1 : AILLEURS Avant d’aborder la question de la prostitution à l’échell

6 PARTIE 1 : AILLEURS Avant d’aborder la question de la prostitution à l’échelle insulaire, il m’apparaît indispensable d’évoquer ici les différents travaux qui ont été menés sur ce sujet à travers le monde afin d’établir des éléments de comparaison cohérents et concrets avec les données locales. Ainsi je vais m’atteler, dans ce chapitre, à faire l’énoncé, dans l’ordre chronologique, des multiples données scientifiques auxquelles j’ai pu avoir accès lors de mes recherches. 7 DE L’ANTIQUITÉ AU MOYEN-ÂGE Origines Il est commun d’évoquer la prostitution comme une réalité universelle, atemporelle, bénigne, ou du moins normale, comme une fatalité inhérente à l’Homme. Cette conception se traduit régulièrement par l’assertion suivante : « C’est le plus vieux métier du monde ». Il s’agit d’une des idées reçues sur la prostitution parmi les plus fausses et les plus dangereuses. Elle sous-tend qu’il est vain de lutter contre, que c’est un métier comme un autre, que ceux qui le pratiquent n’endurent aucune souffrance. S’il est vrai qu’il peut sembler vain de vouloir lutter contre un fléau aussi profondément enraciné dans les mœurs et les mentalités, il est en revanche erroné de prétendre que c’est le plus vieux métier du monde. En effet la prostitution n’a pas partout ni toujours existé. Dans les sociétés dites primitives, elle est inexistante. On note seulement, chez certaines d’entre elles, des pratiques d’hospitalité sexuelle qui consistent à offrir une fille à un hôte de passage, sans intention vénale mais par souci de métissage génétique. La prostitution n’est donc pas une donnée universelle mais bel et bien un phénomène social qui, en tant que tel, a une histoire. Que cette histoire soit ancienne ne fait en rien de cette pratique une réalité atemporelle. Jean Bottéro2 est un des rares historiens à s'être posé la question des origines de la prostitution dans son ouvrage « Mésopotamie ». Il considère que les premières femmes à avoir été consacrées à la prostitution sacrée pour honorer la déesse de la fertilité, Inanna à Sumer, devenue Ishtar3 pour les Babyloniens, étaient les femmes stériles. Ne pouvant assurer la procréation au sein d'une famille avec un seul homme, elles trouvent une place dans la société en servant la déesse, devenant l'épouse de tous. Tout en étant invoquée dans le cadre de relations matrimoniales, Ishtar est également la patronne des prostituées. Plusieurs de ses temples, comme celui de Lagash, sont appelés « cabaret sacré ». Le « cabaret/taverne » jouant souvent le rôle de maison de passe, et la cité d'Uruk4 est qualifiée dans le mythe d'Erra comme la « ville des prostituées, courtisanes et filles de joie, qu'Ishtar a privées d'époux, afin de les garder à merci », tandis que les prostituées sont appelées dans un texte rituel « Filles d'Inanna ». Un hymne sumérien assimile même la déesse à une prostituée : Prostituée, tu te rends au cabaret et, telle un fantôme qui se faufile par la fenêtre tu y rentres. [...] Lorsque les valets ont laissé en liberté les troupeaux, lorsque les bœufs et les moutons ont été rentrés à l'étable, alors, ma Dame, telle une femme sans nom, tu portes un seul ornement. Les perles d'une prostituées sont autour de ton cou, et tu peux alors emporter n'importe quel homme présent au cabaret.5 Des prostituées sacrées, quelquefois nommées « harots » officient dans les temples d'Ishtar et d'autres divinités des civilisations de Mésopotamie. Le Code de Hammurabi6, notamment la loi 181, fait référence à une hiérarchie des prostituées sacrées sans faire ouvertement référence à une rémunération par les fidèles. Il semblerait qu'une prostitution masculine7 ait existé (le terme « assinum », homme prostitué, apparaît dans la tablette 104 de la série Summa Alum). Mais beaucoup d'incertitudes demeurent. Dans 2 Jean Bottéro, Mésopotamie : l’écriture, la raison et les dieux, Gallimard, 1987 3 Othmar Keel et Université de Fribourg Musée Bible + Orient, L'Eternel féminin: une face cachée du Dieu biblique, Labor et Fides, 2007 4 G. Algaze, The Uruk World System: The Dynamics of Early Mesopotamian Civilization, Chicago, 1993 5 The Electronic Text Corpus of Sumerian Literature 6 Les connaissances sur l'histoire politique du règne de Hammurabi sont présentées dans Charpin 2003, p.43-106 7 Véronique Grandpierre, Sexe et amour de Sumer à Babylone, France, Gallimard, 2012, 234 pages. 8 le récit mythologique sumérien d'Enki et Ninmah, le dieu Enki donne à un être asexué une place au service du roi. En pratique, si à la cour et au temple on trouvait des hommes déguisés en femmes (ou efféminés), leur rôle semble loin de n'être centré que sur des activités sexuelles ou de prostitution. On trouve, parmi leurs occupations auprès du roi, des rôles de comptable ou de conseillers. Au service du temple de la déesse Ishtar, on trouve des hommes efféminés dont le rôle se rapprochait aussi des arts, de la musique, de la danse et du chant. Dans le culte de Cybèle8, déesse d'origine phrygienne, il existait une prostitution sacrée particulière. Le parèdre de Cybèle, Attis, s'étant émasculé pour plaire à la déesse, les prêtres de Cybèle en faisaient autant. Ces eunuques portaient le nom de Galles, et étaient connus dans toute l'antiquité pour se livrer à une prostitution sacrée dans le temple et ses abords. Aux premiers temps de la civilisation méditerranéenne, le point de départ de la prostitution semble à la fois religieux et familial. Dans les cultes religieux, les rites reproduisent l’action divine exemplaire. Les cultes de la déesse-amante, présents dans toutes les sociétés anciennes, ont pour rite essentiel l’union sexuelle des hommes avec des prostituées sacrées, qui sont des femmes (ou des hommes, généralement castrés) au service de la déesse. Ces unions sont censées ressourcer la force génitale des fidèles masculins afin que cette force renouvelée étende ses effets positifs à la fertilité des troupeaux et des sols. On trouve encore aujourd’hui des femmes « maraboutes » vivant dans des demeures qui regroupent les filles spirituelles d’un saint et se livrant à l'exercice de la prostitution sacrée. Parfois même toutes les femmes d’une tribu sont concernées par cette pratique qui apparaît comme une survivance de rites d’initiation sexuelle. Aux époques historiques, dont on a conservé les écrits, ces comportements se monnaient : les sanctuaires s’enrichissent des sommes payées par les fidèles désirant accomplir le rite, de même que les chefs de famille rentabilisent le prêt des femmes qui sont leur propriété. Les responsables des États, à Babylone comme dans tout le Moyen-Orient, ne laissent pas échapper cette source de revenus, et se mettent à créer leurs propres maisons de prostitution. Les prostituées se multiplient autour des temples, dans les rues et dans les tavernes. Prostitution dans la Grèce Antique La prostitution est une composante importante de la vie quotidienne des Grecs antiques dès l'époque archaïque. Dans les cités grecques les plus importantes et en particulier les ports, elle emploie une part non négligeable de la population et représente donc une activité économique de premier plan. Elle est loin d'être clandestine : les cités ne la réprouvent pas et les maisons closes existent au grand jour. À Athènes, on assiste à la création de lupanars étatiques à prix modérés, les « dicterions ». Ensuite s’ouvrirent des « kapailéia » qui étaient des établissements privés : un Priape rouge leur servait d’enseigne. Bientôt, outre les esclaves, des femmes grecques de basse condition s’y firent recevoir comme pensionnaires. Les dicterions étaient considérés comme si nécessaires qu’ils avaient été reconnus comme lieux d’asile inviolables. Cependant les courtisanes étaient notés d’infamie, elles n’avaient aucun droit social, leurs enfants étaient dispensés de les nourrir, elles devaient porter un costume spécial d’étoffes bariolées ornées de bouquets de fleurs et se teindre les cheveux en safran. La prostitution concerne inégalement les deux sexes : femmes de tous âges et jeunes hommes se prostituent, pour une clientèle très majoritairement masculine. Le pseudo-Démosthène9 déclare, au IVe avant JC, devant les citoyens assemblés en tribunal : Nous avons les courtisanes en vue du plaisir, les concubines pour nous fournir les soins journaliers, les épouses pour qu'elles nous donnent des enfants légitimes et soient les gardiennes fidèles de notre 8 Jean Markale, La Grande Déesse: Mythes et sanctuaires. De la Vénus de Lespugue à Notre-Dame de Lourdes, Paris, Albin Michel, 1997, 299 p. 9 Vie de Démosthène par Auguste-Aimé Boullée (1834). 9 intérieur. Si la réalité est sans doute moins caricaturale, il n'en reste pas moins que les Grecs n'éprouvent pas de scrupule moral au recours courant à des prostituées. Parallèlement, les lois réprouvent très sévèrement les relations hors mariage avec une femme libre (dans le cas d'un adultère, le mari trompé a le droit de tuer l'offenseur pris en flagrant délit), de même que le viol. L'âge moyen du mariage étant de 30 ans pour les hommes, le jeune Athénien n'a pas d'autre choix, s'il veut avoir des relations hétérosexuelles, que de se tourner vers ses esclaves ou vers les prostituées. Ces prostituées sont classées en plusieurs catégories. En bas de l'échelle se trouvent les « pórnai10 » ou « dictériades », qui comme l'étymologie l'indique (le mot vient uploads/Litterature/ ma-cmoire-master-2-histoire-alunni-corto-part-2.pdf

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