Charles Bovary Nous étions à l'Etude, quand le Proviseur entra suivi d'un nouve

Charles Bovary Nous étions à l'Etude, quand le Proviseur entra suivi d'un nouveau habillé en bourgeois et d'un garçon de classe qui portait un grand pupitre. Ceux qui dormaient se réveillèrent, et chacun se leva comme surpris dans son travail. Le Proviseur nous fit signe de nous rasseoir; puis, se tournant vers le maître d'études : Monsieur Roger, lui dit-il à demi - voix, voici un élève que je vous recommande, il entre en cinquième. Si son travail et sa conduite sont méritoires, il passera dans les grands, où l'appelle son âge. Resté dans l'angle, derrière la porte, si bien qu'on l'apercevait à peine, le nouveau était un gars de la campagne, d'une quinzaine d'années environ, et plus haut de taille qu'aucun de nous tous. Il avait les cheveux coupés droit sur le front, comme un chantre de village, l'air raisonnable et fort embarrassé. Quoiqu'il ne fût pas large des épaules, son habit-veste de drap vert à boutons noirs devait le gêner aux entournures et laissait voir, par la fente des parements, des poignets rouges habitués à être nus. Ses jambes, en bas bleus, sortaient d'un pantalon jaunâtre très tiré par les bretelles. Il était chaussé de souliers forts, mal cirés, garnis de clous. On commença la récitation des leçons. Il les écouta de toutes ses oreilles, attentif comme au sermon, n'osant même croiser les cuisses, ni s'appuyer sur le coude, et, à deux heures, quand la cloche sonna, le maître d'études fut obligé de l'avertir, pour qu'il se mît avec nous dans les rangs. Nous avions l'habitude, en entrant en classe, de jeter nos casquettes par terre, afin d'avoir ensuite nos mains plus libres ; il fallait, dès le seuil de la porte, les lancer sous le banc, de façon à frapper contre la muraille en faisant beaucoup de poussière ; c'était là le genre. Mais, soit qu'il n'eût pas remarqué cette manœuvre ou qu'il n'eût osé s'y soumettre, la prière était finie que le nouveau tenait encore sa casquette sur ses deux genoux. C'était une de ces coiffure d'ordre composite, où l'on retrouve les éléments du bonnet à poil, du chapska du chapeau rond, de la casquette de loutre et du bonnet de coton, une de ces pauvres choses, enfin, dont la laideur muette a des profondeurs d'expression comme le visage d'un imbécile. Ovoďde et renflée de baleines, elle commençait par trois boudins circulaires ; puis s'alternaient, séparés par une bande rouge, des losanges de velours et de poils de lapin ; venait ensuite une façon de sac qui se terminait par un polygone cartonné, couvert d'une broderie en soutache compliquée, et d'où pendait, au bout d'un long cordon trop mince, un petit croisillon de fils d'or, en manière de gland. Elle était neuve ; la visière brillait. - Levez-vous, dit le professeur. Il se leva ; sa casquette tomba. Toute la classe se mit à rire. Il se baissa pour la reprendre. Un voisin la fit tomber d'un coup de coude, il la ramassa encore une fois. - Débarrassez-vous donc de votre casque, dit le professeur, qui était un homme d'esprit. Il y eut un rire éclatant des écoliers qui décontenança le pauvre garçon, si bien qu'il ne savait s'il fallait garder sa casquette à la main, la laisser par terre ou la mettre sur sa tête. Il se rassit et la posa sur ses genoux. - Levez-vous, reprit le professeur, et dites-moi votre nom. Le nouveau articula, d'une voix bredouillante, un nom inintelligible. - Répétez! - Le même bredouillement de syllabes se fit entendre, couvert par les huées de la classe. - Plus haut ! cria le maître, plus haut ! Le nouveau, prenant alors une résolution extrême, ouvrit une bouche démesurée et lança à pleins poumons, comme pour appeler quelqu'un, ce mot : Charbovari. Ce nouveau, Charles Bovary, était un « gars de la campagne ». Il arrivait d'un village aux confins du pays de Caux et de la Normandie où ses parents s’étaient retirés. Son père était un incapable qui n'avait su qu'accumuler les échecs. Sa mère, aigrie, chercha à compenser ses déceptions par son amour pour son fils. Il quitta le collège à la fin de la troisième pour étudier la médecine à Rouen. Très médiocre étudiant, il échoua une première fois à l'examen et ne réussit qu’à passer celui d'officier de santé qui permettait à l'époque d'exercer la médecine sans avoir le titre de docteur en médecine. Il s'installa à Tostes et sa mère lui fit épouser une veuve de quarante-cinq ans « laide » et « sèche », Mme Dubuc, mais qui avait du bien. Elle l'aima à la passion mais exerça à son égard une véritable tyrannie. Ainsi, la vie conjugale parut être au jeune homme une nouvelle prison. Une nuit d'hiver, il fut appelé à la ferme des Bertaux. Le père Rouault, le maître des lieux, un paysan qui paraissait assez aisé, venait de se casser la jambe. L'officier de santé fut sensible au charme de Mlle Emma, sa fille. Il multiplia les visites aux Bertaux, jusqu'au jour où son épouse jalouse lui interdit d'y retourner. Au début du printemps, le notaire de celle-ci disparut en emportant ses fonds, la laissant à demi ruinée. Elle mourut brusquement une semaine plus tard. Peu après, le père Rouault l'invita aux Bertaux, pour le distraire... Il revit Emma et, durant l'été, prit conscience de son amour pour la jeune fille. À l'époque de la Saint Michel, il se décida à la demander en mariage. La noce fut fixée au printemps suivant, l'hiver fut occupé par les préparatifs. Après les noces, Charles découvrit dans mille petits détails le bonheur près d'Emma. Il s'émerveillait de trouver en elle une épouse accomplie, sachant aussi bien conduire convenablement son ménage que dessiner, jouer du piano, recevoir avec élégance. Mais la jeune femme était loin de faire semblable découverte. La réalité ne correspondait pas à ce qu'elle avait lu dans ses livres car elle avait été élevée dans un couvent, parmi des jeunes filles du monde, s’y était délectée de livres pieux, mais aussi de Bernardin de saint-Pierre, de Chateaubriand, de Lamartine, de Walter Scott, de romans sentimentaux et historiques, de poèmes romantiques, avait rêvé devant des images pieuses, des assiettes peintes, des gravures anglaises ou exotiques représentant des scènes d'amour. Et cette influence fut très forte sur « son tempérament sentimental », faisant naître en elle toutes sortes de songes romanesques, d’amours fabuleuses et de luxe, dont la vie humble et rangée que lui offrait un époux bon mais médiocre, totalement dépourvu de mystère et de raffinement, ne permettait pas la réalisation. La jeune femme que l'ennui menaçait devait se heurter, de plus, à l'hostilité jalouse de sa belle-mère. Peu à peu leur vie est devenue de plus en plus ennuyeuse parce que leur caractère étaient totalement diffèrent. Flaubert - Madame Bovary http://www.bacdefrancais.net/madame-bovary-flaubert-incipit.php Proviseur- Chef d'établissement d'un lycée… directeur, principal. Bourgeois - citoyen habitant un bourg, détenteur du droit de cité et disposant de certains privilèges. Se rasseoir - S'asseoir après s'être levé. Maître d'étude- Surveillant d'une école. Angle = coin Peine = Chagrin, douleur morale. Gars = garçon, jeune homme Chantre – personne qui chante dans les services religieux Embarrassé (adj.) - Gêné, qui montre de la gêne ; honteux. Habit-veste = redingote Gêner – mettre (qqn) à l’étroit ou mal à l’aise, en causant une gêne physique. Fente – fissure à la surface d’un solide Parement – revers extérieure d’un mur revêtue de pierres de taille. Poignets – articulation qui réunit l’avant-bras à la main. Oser = risquer Cuisse - Partie de la jambe de l'homme ou d'un animal située entre la hanche et le genou S’appuyer- Se servir de quelque chose comme support, soutien. uploads/Litterature/ charles-bovary.pdf

  • 20
  • 0
  • 0
Afficher les détails des licences
Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise
Partager